3. Des ressources organisationnelles fondées sur les proximités entre producteurs et metteurs en marché

Les ressources mobilisées pour la commercialisation à l’échelle suprarégionale, comprenant les stratégies de type 1 et de type 2, sont essentiellement organisationnelles. Elles reposent sur les proximités institutionnelles et géographiques entre producteurs et metteurs en marché, qui se combinent entre elles de deux manières.

La première utilise les organisations commerciales du bassin pour faciliter la mise en marché, sans qualification particulière des fruits. Dans ce cas, il peut y avoir territorialisation de la ressource organisationnelle par l’implication des acteurs locaux au sein des organisations collectives de mise en marché, comme dans les coopératives. Néanmoins, l’absence de stratégie de différenciation des fruits en lien avec le territoire fait que ces organisations de mise en marché restent en tension entre l’enjeu d’ancrage des producteurs et la stratégie d’expansion de l’approvisionnement pour satisfaire aux marchés de volumes. Les fruits ne se démarquent pas de la concurrence internationale et la logique de prix bas reste dominante, malgré les efforts d’organisation locale pour optimiser les charges de mise en marché. Ainsi, la ressource organisationnelle mise en œuvre demeure fragile et exposée à la délocalisation.

La seconde combinaison emprunte également les organisations commerciales du bassin pour faciliter la mise en marché, mais il y a en outre qualification des fruits. Les stratégies de qualification des fruits sont généralement portées par des expéditeurs privés spécialistes d’un type de produit, comme la poire haut de gamme ou l’abricot des plateaux ardéchois, ou par des producteurs-expéditeurs. La différenciation des fruits par rapport aux marchés de volumes peut se faire par des qualités labellisées sans lien au territoire, comme les label rouge et AB, ou par des qualités haut de gamme liées aux terroirs agronomiques, mais dont la référence à l’origine est peu médiatisée, comme pour la poire de la Valloire, ou encore en faisant référence explicite à l’origine, par exemple par des marques privées ou collectives.

Dans ce dernier cas, il s’agit de tracer le produit, de transmettre avec lui, hors du bassin de production, la qualité subjective liée à une origine donnée. On retrouve la logique de passage d’un signal de provenance à un attribut de qualité pour le produit (Lacroix et al., 2000). Pour cela, les outils commerciaux classiques sont mobilisés : marques privées ou collectives, supports de communication divers (plaquettes, étiquettes, logos, sites Internet). Les deux seules « origines » revendiquées dans la Moyenne Vallée du Rhône sont « Châteauneuf – Drôme » dans une moindre mesure, et surtout « Ardèche ». En outre, dans le cas de la marque « Haute Ardèche » la référence à la montagne ajoute des valeurs positives. Nous n’avons pas identifié d’autres mentions de lieux de la Moyenne Vallée du Rhône dans les stratégies des exploitations. Ainsi, le lien entre les fruits et certains terroirs fruitiers constitue une ressource différenciative, puisque la qualité spécifique est reconnue par certains opérateurs de la filière.

La plus-value obtenue au niveau de l’exploitation dépend ainsi du dispositif commercial permettant de transmettre l’information. Soit elle est transmise oralement entre le producteur et des expéditeurs spécialisés, qui se partagent alors la plus-value. Soit elle est appropriée par le producteur, lorsqu’il met lui-même en marché, par l’utilisation d’une marque commerciale faisant référence à une origine reconnue. Dans tous les cas, cette information faisant valeur-ajoutée ne parvient pas jusqu’aux consommateurs. C’est à l’opérateur qui en maîtrise l’utilisation que revient la plus grande partie de la marge. Malgré tout, pour un producteur, la marque privée n’est pas un outil suffisant pour s’affranchir du pouvoir des intermédiaires tant qu’elle reste inconnue des consommateurs et qu’elle ne concerne que de petits volumes.

Figure 24: Echelles des organisations collectives de mise en marché

Réalisation C. Praly.

Avec ou sans stratégie de différenciation, pour ces deux profils-types l’élément fédérateur des organisations collectives est l’obtention d’une qualité homogène en une quantité dépassant la production d’une seule exploitation, le tout pour satisfaire les marchés d’expédition. Gérer une qualité homogène en fruit frais nécessite des flux rapides, ce qui suppose une logistique efficace. Pour cela la proximité géographique reste une variable structurante. Elle se décline à différentes échelles selon le nombre de producteurs à fédérer et le type de qualité visée. Ainsi, le schéma suivant représente les interactions entre l’échelle géographique de l’organisation collective de mise en marché, le nombre d’apporteurs impliqués et l’objectif de qualité visé (Figure 24).

L’échelle de la proximité géographique est celle qui permet de rassembler un grand nombre de producteurs autour d’une station d’expédition. La proximité entre la station et les vergers permet au metteur en marché d’avoir une bonne connaissance de la production et d’assurer une logistique efficace et peu coûteuse. Cela lui facilite le travail de mise en adéquation entre son approvisionnement et ses commandes, et lui confère une capacité d’anticipation et de réactivité sur les marchés. L’échelle de proximité observée dans les organisations collectives de mise en marché correspond à un temps de trajet d’1h-1h30 entre l’exploitation et la station. Les producteurs doivent pouvoir assurer quotidiennement les livraisons de fruits.

Un second périmètre d’échelle se dessine, formé par un petit nombre de producteurs rassemblés autour d’une station de mise en marché. La distance séparant les opérateurs est compensée par le fait que leur faible nombre facilite l’entente sur les modes de production et la qualité visée, ainsi que l’organisation logistique des flux. La référence à une qualité normative, qu’elle soit standard ou haut de gamme (label rouge, AB), permet son application dans les divers vergers, même éloignés les uns des autres. En outre, la logistique est simplifiée puisque souvent la station centrale de mise en marché n’assure que la commercialisation, le conditionnement se faisant sur les lieux de production. La marchandise ne transite pas obligatoirement par le lieu où s’effectue sa commercialisation. Ces réseaux oligopolaires sont donc fédérés par une proximité institutionnelle permettant l’élaboration d’une même stratégie commerciale, qui repose sur une formalisation de la qualité.

Une même organisation collective de vente peut s’inscrire soit dans la proximité géographique, soit dans une construction oligopolaire, ou bien combiner un approvisionnement selon ces deux échelles. C’est le cas de presque toutes les coopératives de la Moyenne Vallée du Rhône. A partir de ce schéma général, il est possible de préciser différents rôles des producteurs, selon qu’ils appartiennent aux stratégies des types 1 ou 2. Dans le type 1, où il y a délégation de la mise en marché, le producteur ne maîtrise pas la stratégie d’expédition, sauf forte implication dans le conseil d’administration d’une coopérative. En revanche, dans le type 2, le producteur est pilote de sa stratégie d’expédition et s’est entouré d’une organisation collective de mise en marché adaptée.

En définitive, l’efficacité de ces types de stratégie relève de la proximité, géographique ou institutionnelle, entre la production et les stations d’expédition, puisque cette efficacité est liée aux impératifs organisationnels de production et de regroupement d’un volume de fruits de qualité homogène. Plus le nombre d’apporteurs est élevé, plus la concentration du collectif sur une échelle restreinte est nécessaire pour assurer une bonne coordination de l’approvisionnement. De même, plus la qualité du produit est spécifiée et fondée sur des références informelles, plus la proximité géographique et institutionnelle entre les opérateurs doit être grande. Si la proximité institutionnelle est indispensable à l’élaboration d’une qualité spécifiée collective, elle peut également remplacer la proximité géographique dans les organisations oligopolaires.