Le résultat économique des exploitations du type « vente directe dominante, expédition en complément » provient d’un équilibre fragile entre des charges de production maintenues au minimum (peu d’embauche, petites surfaces, intrants limités), visant un rendement moyen de fruits dont la valorisation est optimisée. L’objectif est de ne rien laisser de côté, ne rien perdre de la production. La stratégie consiste donc à adapter les formes de commercialisation en fonction des espèces, des variétés, des qualités. Ainsi, des marchés supplémentaires sont faits pendant la saison des cerises (non stockables) ; durant la saison, les fruits non vendus ou pas jolis sont transformés pour en tirer un meilleur prix que s’ils étaient livrés à l’industrie ; les espèces porteuses sur le marché d’expédition sont vendues à des grossistes spécialistes (cas du Bergeron ou de la poire de Moras) ; etc.
La constitution d’une offre extrêmement diversifiée présente des avantages commerciaux et organisationnels pour l’exploitation. Cela permet en effet d’offrir une véritable gamme aux clients, sur une saison étendue. Pour l’exploitation, les charges de travail sont étalées, et les risques climatiques et économiques sont répartis. Par ailleurs, aucune des exploitations ne produit sous cahier des charges. La qualité visée est celle plébiscitée par les consommateurs clients, demandeurs de fruits cueillis mûrs, frais et bons. Les producteurs de ce profil sont convaincus que la maturité est fondamentale. C’est leur argument de différenciation d’avec l’ensemble des autres revendeurs de fruits, et de certains autres producteurs qui, d’après eux, récoltent les fruits trop tôt. La qualité environnementale des pratiques de production est également présente dans les discours, souvent associée à la qualité gustative des fruits283. En revanche, aucune exploitation n’est certifiée AB. Les producteurs n’y voient pas d’intérêt, parce que c’est une norme de production rigide et risquée pour les années de climat difficile, et parce qu’ils sont assurés de la confiance que leur portent leurs clients. Ils préfèrent pouvoir adapter leurs pratiques de production, comme traiter davantage si l’année est pluvieuse, et s’en expliquer à leurs clients.
Enfin, l’importance de la main d’œuvre familiale, souple et peu onéreuse, constitue le dernier élément expliquant le résultat économique de ces exploitations. Si trois des conjoints exercent un emploi salarié à l’extérieur de l’exploitation, ils interviennent également sur l’exploitation pour les gros travaux (récolte, éclaircissage). Ce sont aussi fréquemment les conjoints, parents et enfants d’exploitant qui assurent la vente. Les producteurs expriment en effet leur difficulté à déléguer ces tâches clés, la récolte et la vente, à des personnes extérieures à la famille. Il s’agit de savoir ramasser les fruits les plus mûrs, d’être délicat, de les conditionner soigneusement. La vente nécessite d’être expert, de connaître les variétés, de pouvoir conseiller et répondre aux consommateurs, et évidemment, d’être honnête dans la tenue de la caisse (qui n’est pas automatisée). Par ailleurs, les producteurs déclarent que leurs consommateurs demandent à voir directement le producteur, ou un membre de la famille : « si on leur dit que c’est notre fille ou le frère ça va, mais pas un employé ! »284. En termes économiques, cette charge de travail est importante relativement au résultat obtenu, mais elle est acceptée par les producteurs, qui apprécient les avantages liées à la vente directe : l’autonomie de l’exploitant, la satisfaction trouvée dans la relation avec les clients, la souplesse de gestion permise par l’entrée régulière de trésorerie.
La représentation selon laquelle les fruits peu traités sont meilleurs est bien ancrée chez certains producteurs et consommateurs.
Producteur, enquête personnelle 2006.