c) Complémentarité avec les circuits d’expédition locaux pour écouler le surplus

La vente directe, quelle que soit sa forme, ne suffit pas à écouler la totalité des fruits produits par les cinq exploitations. Le volume du surplus restant varie annuellement et quotidiennement, selon le rendement de la production et les ventes réalisées. Or, les producteurs n’ont pas de réseaux commerciaux stables, du fait de la variabilité et de la diversité de leurs produits, et du peu de temps qu’ils ont à consacrer aux relations commerciales. La diversité des circuits d’expédition locaux offre ainsi une solution souple et peu contraignante pour eux.

Certains circuits d’expédition apparaissent mieux adaptés que d’autres aux besoins de ces exploitations. C’est le cas du marché de production de Pont-de-l’Isère, qui est fréquenté par deux exploitants de ce profil285. Le marché offre au producteur, déjà très occupé par son magasin ou ses marchés de détail, une voie de commercialisation connue, souple d’utilisation et relativement satisfaisante économiquement. Sans besoin d’apprentissage particulier de la part du producteur (les règles de fonctionnement sont établies depuis deux générations), ni de préparation d’une offre spécifique, le marché permet ainsi de maîtriser la vente dans un temps minimum. Il en est autrement pour la vente par les expéditeurs ou les industriels locaux. En effet, leur apporter une production de qualité et de quantité variables ne permet ni l’établissement d’une relation de confiance, ni l’élaboration d’une offre correspondant aux créneaux porteurs du marché d’expédition. Le résultat se traduit généralement par l’obtention de prix très faibles286, parfois en PAV287. Certains producteurs renoncent même à récolter, découragés par les prix obtenus les années précédentes.

Les prix payés par un expéditeur et par un acheteur du marché sont-ils si différents ? Est-ce le seul élément expliquant la relative satisfaction des producteurs fréquentant le marché ? Plusieurs éléments expliquent ce constat. D’une part, la satisfaction des producteurs vendeurs sur le marché de production est liée au sentiment de maîtriser leurs prix de vente. Le fait de pouvoir « défendre son produit », négocier avec l’acheteur, et décider en dernière instance de vendre ou non facilite l’acceptation du prix. Par ailleurs, se rendre au marché permet une meilleure connaissance de la réalité des cours du jour. A l’inverse, livrer des fruits sans savoir le prix, sans possibilité de négociation, est plus difficile à accepter pour ces producteurs épris d’indépendance et d’autonomie.

D’autre part, l’offre de fruits issus du surplus de la vente directe est mieux adaptée en quantité et en qualité à la demande du marché de production de Pont-de-l’Isère qu’à celle des expéditeurs. Ce surplus est en effet constitué de lots de volumes moyens d’une gamme de fruits cueillis mûrs : « Moi je vais tomber sur le petit détaillant qui fait le marché de Bourg-lès-Valence ou à côté le lendemain matin quoi. Donc il a besoin pour son petit marché de 15 ou 16 plateaux de fraises, donc là on arrive à se mettre d'accord. » 288 . Sauf exception289, les expéditeurs ont, au contraire, besoin de volumes importants de fruits capables de supporter quatre ou cinq jours de délai avant d’être vendus au détail. Enfin, dans le cas de la vente aux transformateurs, les fruits sont payés au même prix que ceux importés du monde entier, dont ils ne se différencient ni par la qualité (sans certification), ni par la régularité d’apport.

La stratégie du type « vente directe dominante, expédition en complément » repose sur un optimum entre des charges de production minimisées (main d’œuvre familiale) et la valorisation maximale de toute une gamme de production adaptée à la qualité demandée par les consommateurs (maturité, goût). Si la vente directe demeure la stratégie dominante, la vente du surplus peut être vendue sur le marché de production de Pont-de-l’Isère. Les autres circuits d’expédition sont en revanche peu adaptés pour valoriser ce surplus.

Notes
285.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que sur les 25 exploitations enquêtées, les deux seules qui mentionnent ce débouché sont celles dont la stratégie dominante est la vente directe aux consommateurs.

286.

Par exemple, une distillerie de la vallée achète la poire entre 0,10 et 0,16€/kg. En 2004, suite à la grêle, des abricots Bergeron vendus en PAV via un expéditeur de la vallée ont été payés 0,15€/kg au producteur.

287.

Prix après vente. Cela signifie que le producteur livre sa marchandise à l’expéditeur et que le prix qui lui est payé ne sera fixé qu’une fois la vente réalisée par le metteur en marché. De ce prix de vente, les charges de l’expéditeur sont déduites, ce qui peut conduire à un résultat très faible pour le producteur.

288.

Producteur qui vend sur le marché de Pont de l’Isère, enquête personnelle 2006.

289.

Un producteur de ce profil souligne d’ailleurs qu’il travaille avec un grossiste « qui accepte et valorise les fruits mûrs, ce qui est rare aujourd’hui » [enquête personnelle 2006].