Il est difficile de saisir l’évolution des pratiques de commercialisation dans le temps, surtout lorsque celles-ci ne laissent aucune trace écrite. L’observation participante mise en place durant la période des récoltes n’étant applicable qu’au présent, il est impossible de décrire les pratiques passées aussi bien que les actuelles. Néanmoins, nous nous sommes attachée à toujours questionner les producteurs sur leurs pratiques de commercialisation antérieures, correspondant au début des années 1980. Les réponses peuvent être considérées comme fiables puisque dans 13 cas le producteur était déjà installé à cette période, et dans 12 cas c’était les parents qui exploitaient. En revanche, le détail des petites formes de commercialisation « accessoires », « satellites », qui peut être saisi sur le terrain n’est pas évident à faire émerger dans le discours sur le passé. Ce n’est qu’en confrontant la pratique actuelle, en questionnant « et depuis combien temps ? », « cela existait-il avant ? », que l’on peut avoir une idée un peu plus claire de l’évolution réelle des pratiques. Ainsi, en toute rigueur, il convient de considérer l’écart entre les résultats déclarés pour 1980 et ceux observés en 2006 de manière atténuée. Il n’en demeure pas moins que la différence entre les deux périodes est si flagrante qu’elle peut être considérée comme significative.
Dans le tableau ci-dessous (Tableau 29), les différentes pratiques de commercialisation citées par les exploitations ont été classées en lignes, selon un gradient qui intègre le degré d’internalisation de la marge commerciale sur l’exploitation et l’échelle du circuit de commercialisation. Ainsi, les pratiques situées en bas du tableau sont celles qui correspondent à la délégation totale du travail de conditionnement et de première mise en marché, pour une expédition nationale et à l’export. Au niveau intermédiaire se trouvent les pratiques pour lesquelles l’exploitation maîtrise au moins la première mise en marché, mais toujours pour une expédition nationale et à l’export. Enfin, les pratiques du haut du tableau correspondent à des formes de commercialisation maîtrisées par le producteur et pour des circuits locaux et régionaux.
Pratiques de commercialisation citées | Nombre d’exploitations concernées | |
1980 | 2006 | |
AMAP | 2 | |
Transformation pour VD | 7 | |
Magasin collectif de producteurs | ||
Magasin de VD | 3 | |
VD à la ferme ou s/ route | 3 | 7 |
Marché forain en MVR | 7 | |
Transformateurs locaux | 4 | |
Transformation pour distributeurs locaux | 3 | |
Détaillants régionaux | 2 | 4 |
VD extérieure à MVR | 2 | |
Marché de production local | 2 | |
MIN Lyon | 1 | 1 |
Transformateurs nationaux | 1 | |
Expédition nationale/export | 6 | 8 |
Apport conditionné à grossiste | 2 | 5 |
Apport brut à expéditeur | 8 | 5 |
Apport brut à coopérative | 9 | 7 |
TOTAL | 8 pratiques citées | 15 pratiques citées |
Sources : enquêtes personnelles, 2006.
Une exploitation peut exercer plusieurs pratiques de commercialisation différentes, c’est pourquoi nous avons mentionné le nombre d’exploitations concernées par chaque type de pratique. La somme de chaque colonne est ainsi supérieure à 25. Mais ce qui nous intéresse dans un premier temps est de comparer, à l’échelle de l’ensemble du bassin de production, l’augmentation du nombre de pratiques différentes citées par les exploitations. En effet, sur l’ensemble des 25 exploitations enquêtées, seules huit pratiques de commercialisation différentes sont citées dans le début des années 1980, contre 15 en 2006. Cela montre une diversification des pratiques de commercialisation au sein du bassin.
L’évolution de la nature des pratiques apparaît clairement. Durant les années 1980, les débouchés relevant de l’expédition par délégation du travail de conditionnement et de commercialisation sont largement dominants, avec 17 exploitations concernées. Viennent ensuite les débouchés d’expédition dans lesquels les exploitations conditionnent et commercialisent elles-mêmes, qui concernent dix exploitations. Par ailleurs, si la vente directe à la ferme est citée par trois exploitations, c’est toujours en complément d’une pratique d’expédition : apport à une coopérative pour deux d’entre elles et apport à un expéditeur pour la troisième.
En revanche, en 2006, les proportions sont inversées, mais plus équilibrées. Les pratiques de commercialisation par délégation totale ne concernent plus que 11 exploitations, alors que celles maîtrisées par le producteur et inscrites dans un marché régional en concernent 16. Enfin, les pratiques de commercialisation maîtrisées par le producteur mais pour l’expédition concernent 15 exploitations. Ainsi, les pratiques ajoutées relèvent quasi exclusivement de formes de commercialisation permettant d’internaliser les marges commerciales de l’aval sur l’exploitation. Cela concerne d’abord la marge de la première mise en marché292 (13 pratiques déclarées en 1980 contre 26 en 2006), mais surtout celle de la seconde mise en marché (3 pratiques déclarées en 1980 contre 24 en 2006).
Enfin, la majorité des pratiques sont conçues par rapport à la valorisation du produit frais. Cependant, le recours à la transformation en jus semble une tendance en développement, puisqu’il concerne neuf exploitations en 2006, soit pour la vente directe aux consommateurs (7 citations), soit pour vendre aux distributeurs locaux (3 citations).
Sur les 25 exploitations enquêtées, il y a donc une nette diversification des pratiques de commercialisation. Cela tient d’une augmentation du nombre de pratique par exploitation (Tableau 30). En effet, si au début des années 1980, une exploitation exerçait en moyenne 1,3 pratiques de commercialisation, elle en exerce 2,5 en 2006. A cette date, quatre exploitations citent plus de quatre pratiques différentes de commercialisation, et l’une d’elle en dénombre même jusqu’à sept.
Nombre d’exploitations concernées | ||
Nombre de débouchés cités : | 1980 | 2006 |
Un | 17 | 8 |
Deux | 7 | 5 |
Trois | 8 | |
Quatre et plus | 4 | |
TOTAL | 24 | 25 |
Sources : enquêtes personnelles, 2006
Même si les chiffres doivent être considérés avec précaution293, on peut dire que sur la période étudiée les exploitations de l’échantillon ont démultiplié leurs débouchés commerciaux. Cela tient au développement de pratiques de commercialisation permettant d’internaliser les marges de première et de seconde mise en marché sur l’exploitation, essentiellement pour les fruits frais.
Les pratiques relevant de la première mise en marché sont celles qui ont lieu entre un producteur et un intermédiaire de la filière (grossiste, transformateur, distributeur). Les pratiques relevant de la seconde mise en marché sont celles qui ont lieu directement entre le producteur et le consommateur.
Le discours lors de l’entretien peut « oublier », consciemment ou non, de citer des formes de commercialisation qui, d’autant plus à l’époque des années 80, étaient déconsidérées, jugées archaïques, et souvent non déclarées. La facilité de description offerte par la réponse « apport total à la coopérative » peut être tentante dans un premier temps pour le producteur, mais l’enquêteur aura su approfondir et revenir suffisamment sur le thème pour limiter cet écueil.