a) Comparaison entre marge théorique et marge réelle

Les calculs présentés ci-dessus proposent une comptabilité théorique de la totalité des charges engagées post-récolte. Or, en réalité sur cette exploitation, certaines charges ne sont pas « dépensées ». Le producteur et sa famille assument un bon nombre de tâches qu’ils ne se « paient » pas au taux horaire du SMIC. En réalité donc, il y a moins de sortie de trésorerie que ce qui est indiqué dans les calculs théoriques précédents. Le résultat comptable, pour l’exploitation, est donc supérieur.

On peut présenter l’ajustement suivant pour chaque poste de charge de mise en marché :

  • Le travail de tri/calibrage est majoritairement réalisé par la famille (épouse, parents, etc.) qui ne se rémunère pas ce temps de travail. Un salarié saisonnier est parfois pris en renfort. Sa contribution sur ce poste est estimée à moins d’un quart du temps total.
  • Les charges de conditionnement ne sont pas modifiées puisque les plateaux doivent être achetés par l’exploitation.
  • En ce qui concerne le coût des livraisons, elles sont souvent déléguées à un salarié quand c’est pour la coopérative, tandis qu’elles sont assurées par le producteur quand c’est pour les autres acheteurs. Aussi, le coût d’une livraison à la coopérative reste inchangé, mais celui d’une livraison à un autre acheteur fera l’économie du temps de travail.

Ainsi, les coûts des postes concernés peuvent être recalculés :

Calcul du coût du tri/calibrage:  
800 kg d'abricots traités / h à 4 personnes dont 1 salariée    
  = 1*8,44/800 = 0,01055 €/kg  
         
Calcul du coût d'un A/R livraison aux grossistes-détaillants:  
1,5 t. transportées taux d'amortissement= 0,15€/km
         
    coût unitaire coût total  
distance 100 km 0,15 €/km 15  
gasoil 12 L 1,15 €/L 13,8  
    Total 28,8  
    Coût / kg 0,0192 €/kg  

Le tableau-bilan des recettes et des charges par grand type de débouchés est également recalculé (cf. Annexe 11). Et on obtient des marges partielles réelles réévaluées, à la faveur des ventes hors de la coopérative (Figure 39).

Figure 39 : Marges partielles réelles de mise en marché pour la coopérative et l'ensemble des autres débouchés, saison 2007

Réalisation C. Praly

Ainsi la commercialisation par les autres débouchés offre une souplesse à l’exploitation qui peut investir en temps de travail familial sur les fonctions de mise en marché, pour dégager un meilleur résultat économique. Cela peut permettre de supporter les mauvaises années en limitant les pertes. Au contraire, une exploitation qui livre la totalité de ses fruits à la coopérative ne dispose d’aucune capacité d’adaptation en cas de prix très bas, excepté par l’économie de charges de cueillette, en arrêtant la récolte par exemple304.

Par ailleurs, il est également important de mentionner la question des services et garanties non monétaires relatifs aux différents types de débouchés. De fait, s’il est clair que la vente à un ensemble de grossistes et détaillants hors de la coopérative permet une valorisation supérieure des fruits, l’adhésion à une structure collective apporte des avantages non négligeables pour l’exploitation, bien que non chiffrable.

C’est d’abord la garantie de pouvoir écouler toute la marchandise, même si la garantie d’un prix rémunérateur n’est, quant à elle, pas automatique. Le producteur déclare volontiers que, en pleine saison, s’occuper de la commercialisation entraîne un stress supplémentaire. Il faut parvenir à tout vendre. En outre, le surplus de travail assumé par le producteur représente une très grande disponibilité, un stress permanent pendant deux mois, qui se répercute sur la qualité de vie, pour lui et sa famille. Si pour certains, la satisfaction trouvée dans la reconnaissance commerciale de la qualité du produit, dans les relations humaines nouées avec les acheteurs, compense ces inconvénients, d’autres ne sont pas prêts à les accepter ou pas capables de supporter un tel rythme et un tel stress.

C’est ensuite la garantie d’être payé. De fait, le producteur seul est mal armé devant un refus de paiement d’un grossiste qui argue un défaut de qualité, ou tout simplement qui dépose le bilan. Ce risque est souvent cité par les adhérents de structures collectives, mais très peu évoqué par les producteurs qui travaillent avec des opérateurs privés. La situation est en effet plus complexe que ce qu’elle y parait. La relation commerciale avec un acheteur privé se construit, en effet, sur la confiance réciproque, et ni l’un ni l’autre n’a intérêt à flouer son « partenaire ». Certes, un problème de qualité peut arriver, mais cela est également vrai dans les coopératives, où le lot est écarté lors du tri. En revanche, maintenant que la production fruitière tend à diminuer dans la vallée du Rhône, les acheteurs privés n’ont pas du tout intérêt à perdre leurs fournisseurs, surtout s’ils font de beaux fruits. Or, un mauvais payeur serait très vite connu parmi les producteurs (ce type d’information circule vite), et perdrait nombre d’apporteurs.

En outre, l’adhésion à une structure coopérative donne accès à des services variés, notamment techniques ou technico-économiques, que ne peuvent apporter les petits grossistes et détaillants. Certes, il peut y avoir échange de services entre le producteur et certains grossistes de la vallée. Par exemple, l’un d’eux lui laisse stocker quelques palettes d’abricots dans sa chambre froide, pour éviter au producteur de trop nombreux voyages de livraisons. En retour, le producteur facture dix centimes de moins ses abricots. Néanmoins, ces échanges demeurent liés à l’activité de mise en marché, et ne portent pas sur la production et la gestion de l’exploitation.

Enfin, l’adhésion à une coopérative reconnue OP permet au producteur de bénéficier d’aides obtenues par les programmes opérationnels. Ces aides, découplées de la production, peuvent représenter une ressource non négligeable pour les exploitations. Cela peut être des aides à la plantation des vergers, proportionnelles à la surface, versées lors de l’implantation et durant les premières années pour compenser la non production. C’est également des aides à l’hectare certifié en production raisonnée et en Eurepgap305. Certes, ces financements sont versés en contrepartie d’orientations productives de l’exploitation, mais le producteur souligne qu’elles ne sont pas négligeables et peuvent peser dans le revenu d’exploitation, notamment pour les mauvaises années.

Ainsi, la commercialisation par les circuits régionaux permet de dégager une marge supérieure dans la mesure où la gamme des débouchés est adaptée à la diversité des calibres et au volume de production de l’exploitation. L’adhésion à une coopérative apporte des services et la garantie d’écouler le volume de production, mais pas de le rémunérer.

Notes
304.

C’est un phénomène courant pour les cerises dont la récolte demande beaucoup de main d’œuvre. Les exploitations stoppent le travail lorsque les prix deviennent trop bas pour rémunérer son coût.

305.

Dans la coopérative concernée, les aides à la production d’abricots pour l’année 2006 s’élevaient à 228€/ha en production raisonnée et à 342€/ha en certification EurepGap. Ces montants étaient co-financés par le Programme Opérationnel et par la coopérative. Source : compte-rendu d’Assemblée Générale 2006.