b) Un fonctionnement reproductible ?

Quels enseignements apporte cette étude économique à la question des formes de valorisations de la Moyenne Vallée du Rhône ? Répondre à cela nécessite d’abord de discuter la méthode employée, ensuite de replacer cette analyse dans la dynamique de l’exploitation, avant de pouvoir formuler quelques grands enseignements.

La méthode employée est construite sur une connaissance fine de l’exploitation et de ses pratiques de commercialisation. Ainsi, si les indicateurs calculés ne sont pas généralisables, la logique du raisonnement peut être adaptée à chaque exploitation. En effet, les charges sont calculées d’après la localisation des clients, la manière dont le producteur s’organise pour les livraisons, le taux estimé de remplissage du camion par voyage, etc. En ce sens, les chiffres qui en résultent demeurent spécifiques à ce cas particulier. En revanche, il est possible de raisonner le calcul de la marge partielle de mise en marché comme nous l’avons fait ici pour d’autres exploitations. Il s’agira alors d’estimer les charges en fonction des exploitations, en identifiant au cas par cas tous les postes qui varient avec les types de débouchés, les équipements utilisés, les pratiques, etc. Certaines exploitations peuvent en effet différencier leurs pratiques de production et de récolte en fonction des circuits de commercialisation (cf chapitre 4), ce qu’il faudra intégrer dans le calcul des charges.

A ce titre, le cas analysé ici ressemble à une exploitation idéale dans laquelle les pratiques de production et de récolte ne sont pas différenciées et la mise en marché hors coopérative bénéficie d’équipements déjà présents pour l’activité castaneïcole (chambre froide, camion). En outre, le producteur a su et pu développer une clientèle géographiquement regroupée, et proche de la coopérative, ce qui lui permet d’optimiser ses voyages de livraisons. Ainsi, les charges de mise en marché supplémentaires pour les débouchés hors coopérative sont restreintes.

En outre, la campagne 2007 qui constitue le cas étudié correspond à une année de faible production, pendant laquelle l’abricot était recherché. Le producteur était donc en position de force pour négocier ses prix, le marché étant demandeur. Néanmoins les cours étaient aussi favorables à la coopérative qu’aux autres débouchés. Cela n’explique donc qu’en faible partie la différence de prix. Ce contexte justifie en revanche l’importante proportion des volumes vendus cette année hors de la coopérative (80%). Le tonnage correspondant est en fait équivalent à celui des autres années, sauf que d’habitude les volumes apportés à la coopérative sont plus élevés. La proportion « habituelle » de vente hors de celle-ci est plus proche de 50% des volumes que de 80%. Mais le cas de l’année 2007, si exceptionnel qu’il soit, illustre le risque que les coopératives perdent leur approvisionnement justement les années où elles en ont le plus besoin. De fait, si en 2007 le producteur a préféré maintenir le volume de ses livraisons hors de la coopérative au détriment de celle-ci, c’est d’une part parce que les débouchés sont plus rémunérateurs, et d’autre part, parce qu’il ne souhaite pas perdre le lien commercial avec ses clients indépendants. Ne pas les approvisionner une année signifie risquer de se faire remplacer définitivement par un autre producteur.

Ainsi, parce que l’exploitation bénéficie de conditions rendant la commercialisation hors coopérative intéressante, et après plusieurs années de relations commerciales avec les mêmes grossistes et détaillants, le producteur a finalement choisi de quitter sa coopérative pour la campagne 2010306. Malgré les avantages du système coopératif et l’attachement du producteur à ses valeurs, ce choix entérine la viabilité économique de la commercialisation construite sur l’ensemble des grossistes et détaillants. Cela signifie que la totalité des qualités produites au verger, notamment des calibres, pourra être commercialisée et rémunérée via les débouchés autres que la coopérative. Pour l’exploitation, cette réorientation de la mise en marché nécessite un investissement supplémentaire : l’agrandissement de la chambre froide. En l’état du projet, c’est la seule charge de mise en marché qui devrait augmenter. Par ailleurs, le producteur envisage d’utiliser une marque territoriale existante307 pour différencier sa production. A condition que ses clients, grossistes et détaillants, se déclarent intéressés par cette démarche, la cotisation devrait lui ajouter quelques centaines d’euros annuels de charge.

En définitive, nous soulignerons deux grands enseignements issus de cet exemple. Le premier concerne l’importance de raisonner la mise en marché à partir d’un volume global de fruits, toutes qualités confondues, issus d’une exploitation. Ceci amène à considérer l’ensemble des débouchés utilisés par l’exploitation comme un équilibre cohérent permettant de valoriser au mieux l’ensemble des fruits, chaque débouché rémunérant particulièrement chaque type de qualité. Ainsi, la réussite du système de commercialisation analysé ici réside dans la combinaison de grossistes et détaillants qui permettent de valoriser aussi bien les gros que les petits calibres, ainsi que les gros et les petits volumes.

Le second enseignement souligne l’importance de considérer la notion de temps de travail à l’intérieur de l’exploitation. De fait, la mise en marché par une coopérative a initialement été promue comme une solution pour mutualiser les moyens nécessaires, mais également pour libérer le producteur de ce travail pour qu’il puisse, dès lors, se consacrer à la production (chapitre 2). Cet exemple montre que la différence de marge de mise en marché entre la coopérative et un ensemble d’autres débouchés ne justifie plus le fait que le producteur investisse son temps de travail à la seule production. Economiquement, il est plus intéressant pour lui de partager son temps entre la production et la commercialisation. Pour d’autres exploitations pour lesquelles les conditions de mise en marché hors coopérative seraient peu intéressantes, ce temps pourrait être investi dans d’autres activités potentiellement productrices de revenu pour l’exploitation, comme l’accueil touristique, la transformation ou autre.

Historiquement l’adhésion à une structure collective avait pour objectif de garantir au producteur de pouvoir écouler sa marchandise, d’être payé, d’avoir accès à divers services. Cela est toujours vrai aujourd’hui, le producteur est assuré de cela par un cadre juridique tangible. Pour autant, le travail avec des grossistes ou détaillants privés n’est pas aussi « aventureux » que ce qu’il y parait. Commercialiser la production d’une exploitation auprès de différents opérateurs permet de valoriser l’ensemble des qualités produites. La relation avec ces opérateurs, établie sur la confiance et la durée, engage également des services, des « dépannages ». Elle ne peut perdurer sur des arnaques, que ce soit de la part de l’acheteur ou du producteur. Et d’autant plus aujourd’hui où la production de fruits dans la Moyenne Vallée du Rhône diminue nettement : les grossistes sont à la recherche de fournisseurs. Cette solution commerciale apparaît donc viable, l’ensemble des débouchés (nombre, type, localisation, etc.) étant à élaborer et à adapter à chaque type d’exploitation (structure, localisation, etc.).

Reste un point à souligner concernant la vente à des acheteurs privés, telle que la pratique le producteur étudié ici : le stress et la quantité de travail demandés, à la fois en termes de gestion de la récolte, du conditionnement, de la vente, de la négociation, des livraisons. C’est un paramètre non mesurable économiquement, mais toute personne n’est pas disposée, ni capable, d’assumer cela.

La question du volume de production commercialisable par les circuits régionaux demeure posée. Le producteur concerné ici envisage sérieusement, à l’avenir, de vendre ses 60 t. de production annuelle hors-coopérative. Une autre exploitation, analysée dans le type 4 du chapitre précédent, commercialise entre 1 500 et 2000 t. de fruits par an auprès de détaillants régionaux. A l’échelle d’une exploitation, les volumes absorbables par ces circuits peuvent donc être importants, mais il n’est pas question qu’ils assurent la distribution de la totalité de la production fruitière de la Moyenne Vallée du Rhône.

Notes
306.

Enquête personnelle, décembre 2009.

307.

Pour des raisons de confidentialité, nous ne la mentionnerons pas.