b- Des exploitations récemment investies dans la vente directe, comme recherche de solution face à un modèle en crise

A partir des années 2000, on observe une généralisation de la pratique de la vente directe, dans une recherche de solution économique complémentaire ou alternative à un modèle qui n’est plus viable.

L’engouement pour ce mode de commercialisation semble significatif. Sur les 13 stands enquêtés, 9 ont été créés après 2000, dont 2 producteurs devenus revendeurs et 1 producteur qui quitte sa coopérative. Sur les 17 producteurs pratiquant la vente directe, 8 le font seulement depuis 2000. Certes, nous n’avons pas pu recenser le phénomène inverse, soit les stands qui existaient et qui ont disparu sur la même période, toutefois, les personnes interrogées sur les stands ont été questionnées sur leur perception de l’évolution actuelle : « est-ce une pratique en augmentation ? » « Sentez-vous la concurrence augmenter ? ». Sur ce point, 7 des 13 personnes déclarent observer de plus en plus de stands, de producteurs et de revendeurs, depuis une dizaine d’années environ. S’il est nécessaire de rester prudent sur l’interprétation de discours souvent influencés par l’actualité, l’ensemble des observations converge néanmoins pour confirmer l’augmentation de la pratique de vente de fruits sur les circuits courts310.

Cette évolution des pratiques de commercialisation est parfois bien vécue, et d’autres fois subie comme un mal nécessaire qui modifie les projets habituels du modèle de productivité. L’exemple de ce jeune agriculteur, qui a dû revoir son projet initial d’installation, est particulièrement significatif : « Et la venue d’un jeune sur l’exploitation ben généralement ça se traduit par…ben, faire plus vite, plus loin, plus haut…Mais pour moi ça s’est traduit par un chiffre d’affaires divisé par 2. On a beaucoup arraché, donc depuis cette années, on essaye un petit peu…Notamment pour les abricots, les cerises...la vente en direct quoi. Puis honnêtement, je crois que…Pas trop de monde va vous dire ça, mais si on arrive à retourner comme on était avant, à avoir les surfaces qu’on avait…je sais pas si, si j’arrive à vivre de ma production en gros, je sais pas si je vais me casser…me casser le bonnet on va dire, à faire le «pimpin » à expliquer comment ça marche et comment on fixe les prix quoi. Mais ceci dit, je pense que ça peut être pas inintéressant. C’est vrai qu’on n’est pas non plus de très bons communicateurs dans l’agriculture, et c’est vrai que l’aspect communication et tout, je pense que c’est un plus. » 311

Les stands les plus récemment installés illustrent la recherche, parfois tâtonnante, de solutions économiques de la part de producteurs qui jusqu’à présent commercialisaient par les circuits d’expédition (Figure 40). En effet, les stands 3, 4 et 7, ouverts en 2006, correspondent à deux exploitations qui jusqu’à présent expédiaient tout elles-mêmes et une troisième qui était en coopérative. Cette dernière est en cours de cessation d’activité. Devant la baisse des prix et suite à des difficultés climatiques (notamment la grêle de 2006 qui a entraîné le déclassement de sa production), le producteur a préféré se reconvertir dans le métier de revendeur primeur. Il a ouvert un magasin proche de l’agglomération valentinoise et le stand sur le bord de la route lui permet d’écouler de gros volumes de fruits en saison312. Le stand 6 a, quant à lui, été ouvert en 2007 par un exploitant qui était également en coopérative, mais qui s’en est désengagé car il était insatisfait des prix, pour assurer lui-même sa commercialisation, un petit peu au détail mais surtout aux primeurs et détaillants régionaux. Ces exploitations présentent des vergers de taille importante (excepté celle qui arrête la production) : de 30 à 95 ha. La pratique de la vente directe apparaît comme un complément permettant de récupérer de la valeur ajoutée et des liquidités nécessaires en ces périodes où prix bas et difficultés sanitaires malmènent l’équilibre économique des exploitations. Les producteurs concernés sont soit des jeunes récemment installés, soit des producteurs préparant la reprise d’un fils. Ce sont donc des exploitations dans une situation de transition délicate, qui ont besoin de relance et de perspectives nouvelles. La vente directe est mobilisée comme une solution de secours, demandant peu d’investissement tout en permettant d’apporter un peu d’oxygène financier le temps de stabiliser le projet d’avenir. La gamme proposée est généralement restreinte aux principales espèces de fruits produites sur les exploitations : pêches, abricots, pommes. Certains producteurs achètent quelques melons et tomates afin de compléter leur offre. Le projet de diversifier les productions est cité. Certains tâtonnent s’essayant à de nouvelles cultures (nouvelles variétés de pommes, légumes, melons), mais les producteurs sont encore incertains quant à leur avenir.

Figure 41 : Comparaison de la répartition des exploitations fruitières selon leur taille économique Sachant que 16 UDE correspondent à seulement 2,6 ha de vergers, 40 UDE valant 6,5 ha et 100 UDE équivalant à 16,4 ha. et leur pratique de la vente directe en Ardèche et en Drôme

Sources : données du RGA 2000 analysées par Patrick Mundler, réalisation C. Praly

Ainsi, il y a une réelle expansion du nombre et du type d’exploitations concernées par la vente directe et sur les circuits régionaux. Si cela concernait auparavant des producteurs qui décidaient de sortir du modèle d’expédition (choix idéologique ou plus pragmatique), cette pratique concerne désormais tout type de producteur, même des jeunes attachés à la logique d’expédition et des exploitations de taille importante. En effet, l’analyse des statistiques départementales montre que plus les exploitations fruitières sont de grande taille économique, plus elles ont tendance à pratiquer la vente directe (Figure 41). Cela contredit le préjugé selon lequel cette pratique serait l’apanage des petits producteurs retraités ou pluriactifs. Cette évolution montre que le modèle d’expédition ne suffit plus, à lui seul, à assurer la viabilité d’une grande majorité des exploitations. Les producteurs s’orientent facilement vers la vente directe parce que c’est un mode de commercialisation qui convient particulièrement à la valorisation des spécificités des fruits frais.

Notes
310.

Ce constat a été confirmé par des entretiens avec deux directeurs de coopérative et deux animatrices des OPA, rencontrés en février et mars 2008.

311.

Producteur pratiquant la vente directe, enquêté en décembre 2007.

312.

Au cours du mois de juillet 2007, ce commerçant déclare avoir vendu 2000 petits plateaux de 2 kg et 900 grands plateaux de 4 kg de pêches, soit 7,6t.

313.

Sachant que 16 UDE correspondent à seulement 2,6 ha de vergers, 40 UDE valant 6,5 ha et 100 UDE équivalant à 16,4 ha.