4. Des limites au développement difficiles à surmonter sans une dimension collective

Le développement de la vente directe est entravé par des contraintes organisationnelles qui amènent spontanément à rechercher des solutions par l’organisation collective.

a) Contraintes organisationnelles : temps de travail, accessibilité, variation des volumes

La vente directe nécessite une importante charge de travail supplémentaire, qui recouvre différentes étapes. Au niveau de la vente, ce sont : l’astreinte de la vente, qui souvent ne peut être assurée que par le producteur ou un membre de sa famille ; les déplacements importants pour la vente sur les marchés et les foires ; le travail de tri et de présentation des produits pour l’étal. Au niveau de la production, le travail peut également être amplifié pour ceux qui élaborent une offre spécifique pour la vente directe : récolte à part des fruits mûrs par le producteur, formation de cueilleurs dédiés à la récolte des fruits mûrs, plantation et culture de légumes et diversification des variétés de fruits pour élargir la gamme. Le critère temps de travail est donc le principal facteur limitant, d’autant que pour les fruits frais, la vente intervient en même temps que la récolte, qui est déjà une période critique en termes de charge de travail. Certains producteurs et productrices interviewés évoquent d’ailleurs une fatigue, un stress important lié à cette période critique, qui empiète sur leur vie de famille et peut même causer des problèmes de santé.

L’accessibilité entre l’offre et le demande influence le développement de la vente directe dans certains espaces de la Moyenne Vallée du Rhône. Les exploitations situées à proximité de lieux de consommation, comme les centres urbains et les routes importantes, bénéficient d’un accès rapide aux consommateurs, mais subissent en retour la concurrence du marché local, comme l’illustre la densité des stands de vente de fruits le long des principaux axes de circulation (Figure 40). Pour les exploitations situées plus en retrait, comme dans les piémonts ruraux, les producteurs sont obligés de se déplacer davantage pour approcher les consommateurs, mais bénéficient également du climat moins concurrentiel de ces espaces. Par ailleurs, la contrainte liée à l’accessibilité n’est pas propre à la vente directe. Elle se pose également pour l’accès aux circuits d’expédition, dont la majorité des opérateurs est située au cœur de la vallée. Ainsi, pour les producteurs interrogés, l’accessibilité aux consommateurs apparaît plus comme un facteur d’orientation vers telle ou telle modalité de vente directe que comme une contrainte au développement de cette pratique.

L’imprévisibilité des ventes en direct est également une contrainte mentionnée, contrairement aux circuits d’expédition où l’on est presque sûr d’écouler les volumes (mais sans savoir le prix). Les producteurs doivent apprendre à gérer cette incertitude, être souples et réactifs pour ne pas jeter de marchandise. Cela s’apprend relativement rapidement, les seuls qui évoquent cet aspect étant des « jeunes » pratiquant de la vente directe. Les plus expérimentés expliquent volontiers leurs méthodes pour pallier à cet aléa. Certains incitent les clients à passer des commandes à l’avance, ainsi ils peuvent récolter et préparer les lots en fonction. D’autres notent toutes leurs ventes, ainsi ils évaluent les volumes demandés et s’adaptent d’une année sur l’autre. Enfin, pour la plupart, la règle est de produire toujours un peu plus que le nécessaire, pour être sûr de servir la vente au détail, et le surplus est vendu sur les marchés de production.

La transformation est également un moyen de réguler les ventes en directe, d’étaler l’offre hors saison et de ne pas perdre les fruits invendus. Les équipements et les savoir-faire nécessaires font néanmoins défaut. Si quelques solutions locales existent, comme l’ouverture d’un atelier de fabrication de jus par une coopérative à la demande de ses adhérents (Rhodacoop), ou la création d’un atelier associatif en Ardèche (Nect’Ardéchois), la plupart des producteurs travaillent avec des industriels plus éloignés, dans les départements de l’Isère et du Rhône.

Le temps de travail supplémentaire exigé par la vente directe, difficile à déléguer hors de la famille, constitue le principal facteur limitant cette activité. Cela est renforcé par la dimension individuelle de cette pratique.