1. Les stratégies de valorisation de la production locale par les grossistes, quand proximité rime avec connaissance

On distingue, dans la Moyenne Vallée du Rhône, les grossistes d’envergure nationale travaillant sur les marchés d’expédition, des grossistes spécialisés des marchés haut de gamme.

a) Des « petits » grossistes spécialistes du haut de gamme et des délais courts

Les grossistes d’envergure nationale et internationale, comme CRENO ou CANAVESE335, valorisent une qualité commerciale normée souvent co-construite par l’adaptation des pratiques de production de l’arboriculteur aux demandes du grossiste. Les référentiels internationaux sont mis en place, la norme qualité le plus appliquée étant EurepGap. Le label AB est également porteur dans un contexte où la production fruitière bio est inférieure à la demande du marché. Pour ces grossistes dont l’approvisionnement est international, visant la constitution d’une gamme diversifiée et stable sur l’année, aucune référence n’est faite aux particularités territoriales. Il est d’ailleurs éloquent de constater qu’un des producteurs fournisseurs de ces grossistes, spécialisé dans la production d’abricots Bergeron et situé en plein cœur de son terroir agronomique et historique (Glun), reconnaît et décrit très bien cet effet terroir336, sans pour autant revendiquer de stratégie commerciale autour de cela. Pour lui, cette situation est un état de fait, considérée comme un moyen de production agronomique, mais les enjeux commerciaux sont évoqués uniquement en termes de catégories Extra ou I, et de types d’emballage. Ainsi, s’il peut y avoir construction d’une ressource organisationnelle par les liens entre le grossiste et ses producteurs337, et par les facilités logistiques permises par la proximité géographique, les prix et les normes de qualité demeurent ceux du marché standard d’expédition.

En parallèle de ces groupes internationaux, des « petits » grossistes locaux ont développé une stratégie différente pour se maintenir sur ce marché très concurrentiel. Nous en avons recensé au moins quatre (Tableau 32) situés en Moyenne Vallée du Rhône. Ces unités sont de très petite dimension et leur stratégie commerciale repose sur deux logiques fortes : l’élaboration d’une offre de qualité « très haut de gamme », impossible à traiter sur des volumes importants, et la recherche d’un marché demandeur de cette qualité, avec la constitution d’un portefeuille clients de plusieurs centaines de débouchés, afin de ne pas être dépendant d’un seul.

La qualité « très haut de gamme », pour ces professionnels spécialistes du fruit, intègre aux critères commerciaux standards (catégories extra et I) des critères de goût et de fraîcheur. La qualité gustative est assurée par la sélection de fruits provenant des meilleurs terroirs fruitiers, ainsi que sur la mise en avant de réputations territoriales positives. La fraîcheur est liée à la notion de délai de livraison et d’expédition : les fruits sont livrés en fin de journée par les producteurs dans les entrepôts de la vallée du Rhône, ils sont transportés et livrés dans la nuit sur les marchés de gros de la Côte d’Azur ou de Rungis pour pouvoir être sur les étals des épiceries spécialisées le lendemain matin. L’échelle du marché visé dépend de la capacité logistique à maintenir ce délai court.

Tableau 32: Petits grossistes valorisant la connaissance des terroirs fruitiers
Grossiste Volume traité / Chiffre d’affaires Main d’oeuvre Date de création Localisation Marché visé
La Source aux Fruits 2 900 000€ 20 UTA 1990 Chanos-Curson Epiceries fines et détaillants spécialisés, grossistes de Paris- Rungis, Suisse, Cote d’Azur
Prim’Soleil ~ 300t / 500 000€ 3 UTA 2001 Châteauneuf-sur-Isère / Toulon Epiceries et restaurants haut de gamme de la Côte d’Azur.
Soleil Saveur 338 800 000€ < 5 UTA 2006 Chanos-Curson  
Select Fruits 650 000€ < 5 UTA 1996 Le Cheylard  

Sources : enquêtes personnelles, 2007-2008.

Le cas d’un de ces grossistes permet de saisir la logique de fonctionnement de ces professionnels. Le créateur de l’activité est le seul employé à l’année, et il emploie trois autres personnes de mai à octobre, pendant la saison. Il travaille avec un minimum d’investissements et une structure adaptée aux volumes qu’il traite : un entrepôt à Châteauneuf-sur-Isère doté d’une chambre froide et d’une petite calibreuse (il peut lui arriver de refaire le conditionnement, pour satisfaire à certaines demandes), ainsi qu’un entrepôt à Toulon à proximité du marché de gros, où il a un box. Spécialisé dans les petits fruits rouges et l’abricot « très haut de gamme », son marché est réparti entre 320 clients, dont 100 principaux, essentiellement des épiceries fines, haut de gamme, localisées entre Aix-en-Provence et Saint-Tropez. Il traite annuellement environ 120 t. d’abricots, 100 t. de cerises, 45 t. de fraises et de framboises, qui sont ses produits phares, ceux avec lesquels il obtient les meilleurs prix. Il s’approvisionne auprès de 200 producteurs, situés pour l’essentiel dans les départements de l’Ardèche, de la Drôme, de la Loire et de l’Isère. Il propose également de nombreux produits en complément de gamme339, pour lesquels il cherche toujours des produits originaux et de meilleure qualité. Il les achète sur le marché de Châteaurenard, auprès de producteurs venant du Vaucluse, du Gard, et du Ventoux. Les fournisseurs sont ainsi choisis en fonction de deux critères : d’abord leur localisation géographique, ensuite la qualité de leur production.

Notes
335.

Le groupe CRENO est le premier groupe français de commerce de gros de fruits et légumes frais et de produits de la mer frais. En France, il dispose de neuf bureaux d’achats et stations d’approvisionnement dans les régions, qui traitent 500 000 t. de volumes annuels. La station CRENO de Valence spécialisée dans les pêches, nectarines, abricots et kiwi expédie 10 000 t. chaque année. Le groupe CANAVESE est adhérent du groupe CRENO, il dispose également d’une plate-forme à Bourg-lès-Valence.

336.

D’après ce producteur, les terrains sableux de l’Ile de Glun, du plateau de Larnage-Mercurol et du plateau ardéchois donnent une meilleure coloration aux fruits.

337.

Dans un cas, il y a même un début d’organisation des producteurs autour d’un grossiste : ceux-ci se rassemblent de manière informelle pour demander collectivement le suivi d’un technicien de la Chambre d’agriculture, ou pour passer des commandes groupées de produits phytosanitaires et d’emballages via le grossiste.

338.

Cette entreprise a été dissolue en 2008.

339.

Il propose également des pêches, des melons, des tomates, des raisins de table, des pommes, des cassis, des groseilles, des châtaignes, des champignons, etc.