a) La proximité géographique entre production et transformation, ressource devenue insuffisante dans le marché international

L’analyse des exploitations qui vendent à des industries locales montre qu’il n’y a plus aucune valeur ajoutée dégagée de la seule proximité géographique entre la production et l’IAA. En effet, deux producteurs de poires vendent encore parfois leurs surplus à des distilleries locales, mais les fruits sont très peu payés349. De même, d’autres déclarent livrer à la transformation les abricots de catégorie II, dont les prix obtenus couvrent à peine les coûts de production.

Un responsable des achats d’une des IAA350 confirme cette situation, et explique que si l’approvisionnement local a été une ressource pour l’entreprise, cela est aujourd’hui en passe de disparaître. Jusqu’à il y a peu d’années, la politique d’achat était en effet tournée vers les produits locaux, parce que l’entreprise utilisait cette image de marque auprès de ses clients. Ils travaillaient tous les fruits de la Moyenne Vallée du Rhône (pêches et fraises du Nord Drôme, framboises de l’Ardèche, poires et abricots, etc.) et complétaient avec d’autres fruits marqués par une identité territoriale comme les pruneaux du Sud-Ouest et la mirabelle de Lorraine : « On était quand même assez attachés à l’image locale des produits »351.

L’augmentation de la concurrence étrangère, ainsi que l’intégration de l’entreprise au marché normalisé a déplacé le curseur de la compétitivité de l’approvisionnement. Les premières années, la concurrence étrangère s’est développée sur des fruits produits en quantité, à des prix très bas, qui constituaient une bonne matière première. Récemment, certains pays comme la Pologne, qui étaient compétitifs en termes de prix, le sont également devenus sur la qualité organoleptique et la sécurité alimentaire. « Ce qui s’est passé ces dernières années c’est qu’on a été obligés de réorienter nos achats locaux vers des pays de ce type là, parce qu’on ne pouvait plus justifier la différence de prix »352. Les fruits polonais offrant de meilleurs prix (transport inclus353) et un niveau qualitatif équivalent aux fruits français, il n’est plus possible de justifier d’un prix d’achat plus élevé devant la direction du groupe. En conséquence, les achats locaux sont en train de diminuer très brusquement : - 50% des achats de poires et arrêt des achats de fraises sont prévus pour 2006.

Par ailleurs, le lien entre les producteurs et l’entreprise, qui était construit sur une relation de confiance, est en train de glisser vers une convention normée, de type industrielle, nécessaire pour l’intégration des produits dans un système agroindustriel d’envergure internationale. L’objectif de l’entreprise est de maintenir le lien avec les apporteurs habitués, car ils connaissent et s’adaptent à la demande de l’entreprise. Jusqu’à présent il n’y a pas de contrat entre les producteurs et l’entreprise, mais simplement un prévisionnel de commande passé en hiver en fonction des prévisions des commerciaux. Il peut y avoir ensuite des rectifications en cours d’année, selon les ventes. Le contrat ne se fait que lors de la livraison. L’évolution du fonctionnement du groupe, avec le passage de la gestion à flux tendu, rend la situation plus risquée pour les producteurs. De fait, dans le cas où le tonnage demandé est revu à la baisse, auparavant l’entreprise pouvait acheter les quantités prévues et les stocker, alors qu’aujourd’hui elles restent à la charge du producteur ; c’est à lui de trouver comment la commercialiser.

La tendance actuelle est enfin d’inciter les producteurs à mettre en place des certifications, de plus en plus demandées par les clients de l’entreprise. Des cahiers d’exploitations, ou mieux, des normes de traçabilité ou le référentiel EurepGap sont de plus en plus appréciés, et interviennent dans la sélection des producteurs fournisseurs.

Ainsi, le fonctionnement traditionnel des bassins de production fruitiers du Sud-Est, qui consiste à envoyer à l’industrie les écarts de tri, n’est plus compétitif devant les importations de fruits d’industrie des pays d’Europe de l’Est, de l’hémisphère Sud ou encore de la Chine. Les industries ont désormais besoin d’un approvisionnement homogène et régulier, répondant à des standards de fabrication et des certifications internationales. A l’instar de la « conserverie-poubelle » étudiée par Claudine Durbiano dans le Comtat (Durbiano, 1997), l’industrie-poubelle ne rémunère plus, bien qu’elle soit située à quelques kilomètres de l’exploitation. La proximité géographique de l’approvisionnement ne suffit pas à faire ressource dans le marché international standard. Toutefois les IAA ayant une réelle stratégie de qualification liée à la dimension locale de l’approvisionnement peuvent offrir des débouchés intéressants.

Notes
349.

Pour exemple, pour la campagne 2006 les poires étaient payées au producteur 0,10€/kg par la distillerie (3ème choix), 0,25€/kg par la coopérative (1er et 2nd choix) et il en vendait également à des particulier pour faire distiller à 0,22€/kg (3ème choix).

350.

La confidentialité a été demandée concernant ce cas.

351.

Responsable des achats, enquête personnelle 2006.

352.

Responsable des achats, enquête personnelle 2006.

353.

Les achats sont toujours négociés avec le transport inclus, en « prix arrivé ».