c) Relocaliser l’approvisionnement des IAA, une manière de valoriser la ressource environnementale

Sous l’influence médiatique du Grenelle de l’environnement (2007) et de la hausse du prix du pétrole, la notion de relocalisation de l’approvisionnement des IAA vient bousculer la pratique établie de recherche du moindre coût sans prise en compte des distances. Le faible prix du pétrole des dernières décennies avait contribué à lisser l’espace, faisant que la distance d’approvisionnement était devenue une variable sans influence dans la stratégie des IAA (Durbiano, 1997). Or, dans un monde de pétrole cher et où l’impact environnemental est pris en compte, la distance d’approvisionnement redevient et sera de plus en plus à l’avenir une donnée importante à considérer. La prise de conscience et les changements organisationnels que cela nécessite n’en sont qu’à leurs débuts, mais devront être rapides dans cet univers de flux tendus et d’innovations marketing sans cesse renouvelées. Le positionnement sur ces nouveaux créneaux de marché est une voie explorée par certaines IAA de la Moyenne Vallée du Rhône, mais cela suppose des modifications organisationnelles au niveau de la production et de la première mise en marché.

Un exemple est donné par l’entreprise Delifruits358, appartenant au groupe Refresco-France, située à Saint-Donat-sur-l’Herbasse (Drôme). Productrice de boissons aux fruits (jus, nectars, concentrés, thés, eaux), ses produits sont destinés aux marques de distributeurs (MDD) des grandes enseignes. Lorsque le groupe Casino a évoqué, fin 2007, le projet de mettre en place un système équivalent à la « pastille verte », identifiant les produits dont le bilan carbone de l’approvisionnement n’est pas trop négatif, l’entreprise s’est trouvée obligée de rechercher des fruits locaux. En effet, bien que fondée en 1969 par des arboriculteurs drômois (sous forme de SICA) dans l’objectif de transformer les fruits non commercialisés en frais, l’entreprise s’approvisionne aujourd’hui essentiellement à l’étranger. Les coûts de production sont, de fait, plus avantageux qu’en France pour une qualité industrielle égale. Sous l’injonction du distributeur, l’industriel a donc commencé à envisager de structurer une filière d’approvisionnement dans la Moyenne Vallée du Rhône. Le responsable du projet de Delifruits, connaissant mal l’organisation de la filière locale, a tâtonné pour trouver un interlocuteur adapté : après avoir appelé à la Chambre régionale d’agriculture, qui l’a renvoyé au Comité Stratégique Fruits Rhône-Alpes, c’est finalement la Chambre d’agriculture de la Drôme et la Chambre du commerce et de l’industrie qui ont repris le projet. A l’heure où nous écrivons ces lignes nous ne sommes pas en mesure de savoir quelle organisation émergera. Néanmoins cet exemple montre le paradoxe actuel d’une IAA qui s’est peu à peu déterritorialisée tout en s’insérant dans le marché mondial (rupture des liens avec la production locale, intégration dans un groupe mondial), et qui aujourd’hui, sous l’injonction de ce même marché, est obligée de reconstruire de nouveaux partenariats avec la production locale. Se pose alors de nombreuses questions organisationnelles : avec quels opérateurs de la production ? Comment formaliser le lien ? Comment assurer l’approvisionnement en qualité et en quantité adaptée aux besoins de l’industrie ?

Le cas de l’entreprise Hero France, par son exemple de structuration de l’approvisionnement local, donne quelques éléments de réponse à ces questions. Celle-ci fabrique des compotes et desserts aux fruits. Ici également, l’industrie fut créée par des arboriculteurs locaux, la SICA Brunella en 1976, puis intégrée au groupe Hero en 1996. Aujourd’hui, l’industrie drômoise traite chaque année 42 000 t. de produits finis, dont 10% de produits bio (qui représentent 12% du chiffre d’affaires). L’approvisionnement en fruits frais et transformés bio est problématique : en septembre 2007 seules 20% des matières premières sont d’origine française. Or l’industriel souhaite développer l’approvisionnement local afin de diminuer les impacts environnementaux. Pour cela, fin 2007 un partenariat a été mis en place avec une entreprise de commercialisation de fruits bio pour l’industrie (sous formes frais ou transformés en purée, oreillons, cubes) EFELNAT SAS. Située dans le sud de l’Ardèche, cette entreprise est en train d’élaborer un projet de contractualisation avec des producteurs de pommes biologiques destinées à la gamme « baby food »359 de Hero France. Les vergers devront être conçus, implantés et conduits selon un cahier des charges spécifique, et l’industriel s’engage à acheter les pommes pour les cinq ans à venir. Les termes du contrat en termes de prix d’achat, de conditions de paiement, de surfaces ou de volumes contractualisables, de renouvellement etc. n’avaient pas été précisés lors de la présentation de ce projet pilote, en septembre 2007360. Il demeure que ce projet, initié par l’aval de la filière, pose question à la production tout autant qu’il ouvre des perspectives de marché. Il serait effectivement nouveau dans la Moyenne Vallée du Rhône de concevoir des vergers entièrement dédiés à l’industrie. Certes, il existe déjà des vergers conduits spécialement pour la production de « baby food », sous un cahier des charges de production extrêmement exigeant, mais appliqué à des vergers conçus et implantés comme pour la production de fruits frais. L’engagement contractuel de cinq ans semble court au regard de la durée de vie et d’amortissement d’un verger de pommiers. Que faire des fruits si au terme du contrat EFELNAT SAS n’en veut plus ? En revanche, cet exemple de structuration d’un approvisionnement local, en mobilisant les professionnels du bassin, montre que la Moyenne Vallée du Rhône dispose des structures et des compétences nécessaires.

A défaut de résultats solides en termes de réalisation361, ces deux projets soulignent combien la notion d’approvisionnement local peut être synonyme de ressource environnementale valorisable pour les IAA, sur les circuits conventionnels, et surtout sur les circuits bio et haut de gamme. Cela ouvre de nouvelles perspectives de valorisation pour les producteurs locaux, à condition de ne plus considérer l’industrie comme le déversoir des écarts de tri. Une organisation réelle de la production destinée à l’industrie, une formalisation du partenariat entre production et transformation sont à inventer : les industries ont besoin de sécuriser leur approvisionnement en quantité et en qualité, avec des impératifs de prix compétitifs, et en retour, pour investir dans un verger spécialisé pour l’industrie, les producteurs nécessitent une sécurité d’écoulement et de prix d’achat. Il s’agirait de construire un dispositif équilibré entre, d’une part, un prix d’achat compétitif pour l’industrie et rémunérateur pour le producteur, et d’autre part, des pratiques de production optimisées entre l’objectif de qualité souhaitée et leur coût. Dans de tels dispositifs, se pose alors la question de la quasi intégration de la production par l’industrie, et surtout celle de la dépendance des producteurs vis-à-vis du transformateur.

En définitive, la même tendance se dessine pour les opérateurs de l’aval, que ce soit les grossistes ou les IAA : par rapport aux prix pratiqués sur les circuits d’expédition standard, certains peuvent offrir une valorisation supplémentaire pour la production locale, à condition qu’il y ait construction d’une qualité spécifique dédiée à des marchés adaptés. Il s’agit des marchés suivants :

Pris isolément, ces multiples circuits ne représentent pas des tonnages très importants, mais l’ensemble constitue un débouché non négligeable pour la production locale, d’autant qu’il est en croissance. Les enjeux organisationnels quant à la constitution de « micro-filières » autour de demandes spécifiques d’industries locales ne sont pas encore résolus.

La grande diversité de ces circuits confirme la tendance montrée dans les chapitres précédents, qui consiste à aller vers la diversification des stratégies de commercialisation et des offres proposées pour valoriser toutes les qualités de fruits sur les différents marchés possibles, existants, en émergence ou à créer. Une caractéristique est néanmoins commune à ceux-ci, la mobilisation d’une proximité géographique à laquelle s’ajoute une dimension institutionnelle (partage de connaissances sur les terroirs, même définition de la qualité) entre production et opérateurs intermédiaires comme condition permettant la construction d’une qualité spécifique dédiée à un marché ciblé. Les intermédiaires sont donc les chevilles ouvrières de la valorisation ainsi construite, leurs connaissances de la production, des marchés, leur construction de la qualité et leur capacité à mettre en adéquation des qualités avec des marchés adaptés constituent une ressource organisationnelle pour le bassin de production. Leur apport en termes de connaissances, de services, de logistique, permet de toucher des marchés inaccessibles pour les producteurs seuls, et inadaptés aux volumes traités par les coopératives. En revanche, le marché de détail régional n’a pas besoin de cette compétence supplémentaire, synonyme de prix plus élevés, puisque les marchés de production permettent un approvisionnement direct entre producteurs et détaillants.

Notes
358.

Officiellement ce nom n’existe plus, c’est maintenant Refresco France, mais localement le nom est encore beaucoup employé, c’est pourquoi nous le reproduisons ici.

359.

Produits destinés aux enfants, à haute valeur ajoutée, et répondant à des normes sanitaires extrêmement exigeantes.

360.

Présenté lors des ateliers du Salon Tech & Bio, à Chantemerle-lès-blés (26), les 7 et 8 septembre 2007.

361.

Au printemps 2010 aucun des deux projets n’avait abouti, les industriels et les producteurs n’étant pas parvenus à trouver un partenariat satisfaisant. Néanmoins ils demeurent en réflexion, accompagnés par la Chambre d’agriculture de la Drôme et soutenu par le Conseil Général. Ces travaux mériteraient d’être suivis et analysés dans la poursuite de nos recherches.