c) Motivations des acheteurs régionaux : la fraîcheur, l’achat direct aux producteurs, la localisation

Sachant que les prix du MIN de Lyon sont généralement inférieurs à ceux pratiqués sur les marchés de la Moyenne Vallée du Rhône376, la fréquentation encore importante de plusieurs centaines d’acheteurs montre que ces marchés de production offrent des avantages spécifiques. D’après nos enquêtes, ils sont de trois ordres : qualitatif avec la fraîcheur des produits, fonctionnel avec la localisation sur des nœuds de communication, et relationnel avec la relation direct aux producteurs.

Les marchés de production offrent en effet des produits dont la fraîcheur est généralement supérieure à celle des produits proposés sur les MIN, où des lots d’importation et de grossistes côtoient le carreau des producteurs. Ce critère qualitatif est d’autant plus important pour des acheteurs détaillants, qui travaillent justement sur des circuits de proximité, et dont la différenciation par rapport aux étals des grandes surfaces est liée à une qualité gustative et une fraîcheur supérieures. Autant les responsables du marché377, que l’enquête réalisée en 2003 soulignent cet aspect fondamental pour les détaillants : « Leur satisfaction porte essentiellement sur la proximité et la fraîcheur des produits : cueillis le matin, revendus le lendemain matin. » (Villard et al., 2003). Un détaillant déballant sur les marchés forains de la région lyonnaise exprime ainsi le bon rapport fraîcheur/prix trouvé sur les marchés de production : « on travaille directement avec le producteur, comme ça les fruits sont fraîchement cueillis, et le prix correspond. » Concernant plus précisément la qualité commerciale des fruits, la plupart des acheteurs interrogés en sont satisfaits, reconnaissant que le marché de Chanas est réservé à la première catégorie tandis que celui de Pont-de-l’Isère est plus diversifié. Un détaillant de la Loire se déclare mécontent des lots proposés sur ce dernier, comportant trop de second et même troisième choix.

Le rapport direct avec les producteurs est également porteur de satisfaction. Dans un cas, une détaillante elle-même fille d’arboriculteur, cela relève de l’attachement et du soutien qu’elle souhaite porter à la profession locale. Elle préfère donc acheter aux producteurs, et met en avant, sur son marché de Lyon, l’origine française de ses produits. Elle déclare que même si elle n’est pas compétitive au niveau des prix, en criant très fort que c’est français et en proposant de la « belle marchandise », elle a quand même sa clientèle. Néanmoins, cet exemple n’est pas représentatif de la majorité des détaillants. D’autres déclarent également venir à Pont-de-l’Isère en complément de Châteaurenard pour la relation, entre tension commerciale et sympathie, qui peut s’établir avec les producteurs : « Et puis la sympathie, le contact avec les paysans ça va bien… pas toujours, mais enfin ça va bien ! »

D’autre part, la localisation des marchés de Chanas et de Pont-de-l’Isère, chacun à proximité d’une sortie de l’Autoroute A7, à la fois au cœur du bassin de production de la Moyenne Vallée du Rhône et sur l’axe Avignon – Lyon, leur donne un atout fonctionnel majeur. En outre, Pont-de-l’Isère étant le dernier marché d’importance entre ceux du Comtat et celui de Lyon, il reste le lieu d’approvisionnement le plus proche pour l’ensemble des détaillants et professionnels de la Drôme et de l’Ardèche. Même si la plupart d’entre eux s’approvisionne majoritairement sur les marchés du Sud, Pont-de-l’Isère reste le plus rapide d’accès pour un complément, un dépannage, et le mieux fourni en fruits d’été.

A ce titre, la présence de quelques grossistes revendeurs joue un rôle déterminant dans le maintien de la fréquentation des acheteurs, comme le décrit cette détaillante. Elle descend tous les mardis à Châteaurenard acheter le principal de sa marchandise, et le reste de la semaine, elle complète à Pont-de-l’Isère : « Heureusement qu’il y a les revendeurs derrière, sinon s’il n’y avait pas les revendeurs, il n’y aurait plus de marché. C’est d’ailleurs pour ça qu’on vient aussi ici, parce que le problème de Châteaurenard, c’est qu’il y a pas de revendeurs. Ils veulent pas de revendeurs, conclusion, ben toutes nos oranges, nos bananes etc., on est obligés de revenir ici pour les chercher. »

En dernier lieu, il convient également de mentionner un atout propre aux marchés de production qui ne sont pas des MIN. Hors de ce cadre très contrôlé, ils offrent plus de liberté aux usagers, notamment pour ce qui est de la vente au noir. Une détaillante l’évoque avec sincérité : « au marché-gare on ne passe pas un gramme au black. Tout est contrôlé. »

Par ailleurs, les différents points de mécontentement soulevés par les acheteurs de Pont-de-l’Isère sont le manque d’installation contre les intempéries, les horaires trop tardifs qui nécessitent une longue attente après le marché du matin de Cavaillon, les tarifs jugés chers en hiver, la baisse de la qualité des fruits proposés (essentiellement 2nd choix). Les gros acheteurs regrettent également le manque de professionnalisme de certains vendeurs qui souhaitent travailler au noir.

La confrontation des motivations et des sujets de mécontentement, en se contredisant parfois, montre combien le marché de Pont-de-l’Isère constitue un lieu de brassage entre une grande diversité d’acheteurs, des « gros » et des « petits », certains souhaitant des factures et d’autres recherchant plus de liberté, les uns s’arrêtant en revenant de Cavaillon ou Châteaurenard tandis que les autres s’y approvisionnent en complément du MIN de Lyon. La majorité apprécie néanmoins le bon rapport qualité-fraîcheur/prix d’un marché de production idéalement situé en termes d’accès et de localisation entre les principaux marchés du Comtat et de Lyon.

Ainsi, les marchés de production de la Moyenne Vallée du Rhône, et principalement celui de Pont-de-l’Isère, représentent un volume de transaction non négligeable, avec 9 750 t. de fruits estimés pour l’année 2006, ce qui est bien supérieur aux 3 700 t. de fruits échangés sur les huit marchés recensés en 1970. Ces volumes approvisionnent essentiellement le réseau des petits grossistes et détaillants régionaux, qui remplacent les acheteurs traditionnels qu’étaient les expéditeurs d’envergure nationale. Mais pour l’activité annuelle de ces nouveaux types d’acheteurs, la gamme et la durée de l’offre de Pont-de-l’Isère n’est pas suffisante, et ce marché de production s’inscrit en complément d’un approvisionnement réparti entre les principales places voisines : les marchés du Comtat et le MIN de Lyon. Ces nouveaux acheteurs, positionnés sur les « circuits de proximité » (primeurs, maraîchers des marchés forains), y trouvent fraîcheur et diversité à un prix intéressant. En retour, le marché offre aux producteurs des débouchés et un service différents de ceux proposés par les circuits d’expédition.

Notes
376.

Cela est affirmé par plusieurs producteurs-vendeurs interrogés, l’un d’eux vendant à la fois à Pont-de-l’Isère et au MIN de Lyon. Ce constat est confirmé par un détaillant, qui achète également sur les deux marchés, interrogé à Pont-de-l’Isère.

377.

Le président du marché de Chanas décrit ainsi les acheteurs : « C’est surtout des gars qui achètent aujourd’hui et revendent demain sur les places de détail. »