b) Une culture locale de la consommation de fruits frais et d’achats en circuits de proximité

L’arboriculture fruitière existant sur l’ensemble du territoire depuis le début du siècle précédent, il perdure aujourd’hui encore, surtout dans les espaces les plus ruraux, non seulement une consommation importante de fruits, mais également une connaissance spécifique des ces produits complexes, de leurs qualités et de leurs usages. En outre, l’habitude d’aller chercher un plateau de pêches mûres directement à la ferme est inhérente à l’existence de l’arboriculture fruitière. Cette pratique et sa mémoire sous-tendent une culture locale de l’achat de fruits aux producteurs. Celle-ci est confirmée par les producteurs-vendeurs, par des acteurs « experts » du territoire et enfin, par des enquêtes réalisées auprès des habitants.

D’abord, les enquêtes réalisées auprès des producteurs vendant en direct aux consommateurs soulignent bien le rôle de la demande locale dans le développement de cette pratique : « C’est venu parce que beaucoup voyait leur chiffre, leur revenu baisser et ont démarré sur ce système et puis y’avait la demande du consommateur »395, « Il y avait aussi pas mal des habitudes que les gens venaient directement chercher leurs pêches au producteur, mais l’exploitant n’arrangeait pas de local. Le soir ils passaient et se disaient : « oh tient, si j’achetais un plateau de pêches mûres ? ». Ils demandaient justement des pêches mûres. Ca a toujours été des pêches mûres »396.

Par ailleurs, les acteurs du développement territorial, connaisseurs des habitudes de leurs territoires, confirment l’importance de la culture locale de l’achat de fruits aux producteurs :

‘« Pour les consommateurs qui achètent directement au producteur, on peut faire le pari que c’est surtout des gens locaux liés à ces problèmes de transport, de durée de vie des produits. De plus beaucoup de zone arboricole sont situées à l’intérieur des terres donc il faut y aller. Donc c’est bien des locaux qui vont sur ces types de marchés. Historiquement, on est dans un bassin arboricole, et les gens sont habitués à un certain type de consommation, le nord Drôme est aussi une population relativement rurale, le renouvellement de la population se fait par le territoire. Ce qui signifie que beaucoup de personnes ont encore des relations avec des agriculteurs, soit une culture agricole présente et on a eu une habitude à aller chercher les produits à la ferme. Et ça je pense que c’est quelque chose d’important et caractéristique de la Drôme des collines »397. « Donc les circuits-courts, je sais pas comment ça marche sur d’autres territoires, mais nous sur la Drôme des Collines et sur les territoires plus au sud de la vallée de la Drôme il y a une espèce de culture de la Provence qui fait qu’il y a quand même pas mal de gens qui vont directement du producteur au consommateur »398.’

Ce premier constat concernant la demande actuelle mérite d’être validé et approfondi par des enquêtes auprès des consommateurs. Nous n’avons pas eu les moyens de réaliser une enquête quantitative pour évaluer les pratiques des consommateurs habitants. Néanmoins, des travaux réalisés par les étudiants montrent une tendance et une sensibilité importantes pour l’achat de fruits locaux.

Une enquête réalisée en 2006 par les étudiants de la MFR d’Anneyron, menée auprès de 280 consommateurs6 de la Drôme des Collines pointe deux particularités locales : l’origine géographique locale apparaît être le troisième critère de décision d’achat de fruits (pommes et poires) ; le marché est le premier lieu d’achat7, essentiellement par habitude. Enfin, 72% des personnes interrogées s’attendent à trouver des fruits de la région dans un commerce de proximité. Même si ces indications revêtent un caractère encore approximatif, elles confirment l’existence d’une demande sur ce segment.

Une autre enquête réalisée en 2007/2008 par les étudiants de l’ISARA montre des résultats allant dans le même sens. Au total 223 habitants des cantons de Anneyron et de Tain-l’Hermitage ont été questionnés par téléphone, et plus de 65% d’entre eux déclarent acheter plus de la moitié de leurs fruits sur les circuits courts (producteurs et marchés). L’autre partie des fruits est essentiellement achetée en grande surface. Suite à ce premier filtre téléphonique, 26 consommateurs ont été interrogés pour comprendre leurs motivations et leurs attentes vis-à-vis des circuits courts. Les résultats montrent que la première motivation d’achat en circuits courts est de trouver des fruits de qualité supérieure à celle proposée en grande surface : plus mûrs, plus frais, meilleure conservation, etc. Ensuite, viennent à peu près de manière égale l’intérêt pour le contact avec le producteur et la praticité de l’accès à ces circuits. Le lien avec le producteur apporte convivialité, conseils, service et confiance. Il est souvent ancien, il y a une fidélité de la part des consommateurs pour leur producteur. Il facilite ainsi le choix et la confiance au moment de l’achat, notamment puisqu’il permet de goûter les fruits avant de les acheter. La praticité vient de la proximité géographique : pour ces habitants ruraux, les producteurs ou les marchés sont souvent plus faciles d’accès que la première grande surface. En revanche, les avis sont très partagés sur les prix pratiqués par les producteurs. Si certains consommateurs affirment aller sur les circuits courts pour trouver des prix inférieurs à ceux des grandes surfaces (et expliquent avoir fait des comparaisons de prix), d’autres évoquent des prix supérieurs, pas toujours bien justifiés. Enfin, tous les consommateurs interrogés s’accordent sur l’intérêt d’une meilleure information quant aux conditions de production, et surtout sur la connaissance des différents producteurs susceptibles de vendre des fruits399.

Il y a donc réellement, en Moyenne Vallée du Rhône, une population particulièrement consommatrice de fruits issus des circuits courts. Non seulement elle y trouve une qualité gustative et un service supérieurs à ce qui est proposé en GMS, mais également, ces circuits sont faciles d’accès pour la population rurale et la relation suivie avec le producteur facilite le choix et la confiance au moment de l’achat. Néanmoins, ce marché généralement considéré comme « allant de soi » puisque situé au cœur du bassin de production n’en a pas moins besoin de plus de lisibilité et de confiance. En effet, avec la succession des générations, la diminution du nombre d’arboriculteurs et le renouvellement de la population locale, les liens entre production et population locale ne sont plus si évidents qu’auparavant. Une enquête menée à Valence, ville située au cœur du bassin de production, montre que dès lors que l’on s’éloigne des espaces de production, le lien producteur – consommateur se distend.

Notes
395.

Producteur, enquête décembre 2007.

396.

Producteur, enquête décembre 2007.

397.

Animateur territorial de la Chambre d’Agriculture de la Drôme, enquête décembre 2007.

398.

Directeur du Pays Drôme des Collines, enquête décembre 2007.

6.

Source : soirée de restitution des résultats de l’enquête, 15 juin 2006, MFR d’Anneyron.

7.

Au niveau national, le marché est le second lieu d’achat de fruits, après les GMS, mais est le lieu d’achat préféré de 50% des français (Cavard, Moreau-Rio, 2002).

399.

A ce titre, tous ont répondu très favorablement à l’idée de réaliser un annuaire des producteurs – vendeurs.