b) Un lien à renouer entre production et consommateurs-habitants

Cette « crise de confiance » peut s’expliquer par une méconnaissance de la production locale. Les questions posées par les consommateurs aux producteurs sur le stand de dégustation tout au long de la journée le confirment. Les thématiques évoquées le plus souvent par les visiteurs sont :

Ainsi, il manque actuellement de dispositifs permettant de solutionner ce problème de confiance, à la fois sur le prix, la qualité gustative et phytosanitaire et sur l’origine des produits. Les consommateurs locaux ont besoin de points de repères les informant et les rassurant sur ces différentes questions, sachant que ce qui est compris est beaucoup mieux accepté405. Aujourd’hui, le lien direct au producteur semble l’unique point de repère disponible ou reconnu par les consommateurs, mais il n’est pas suffisant. D’autres médias peuvent être mobilisés pour donner plus de lisibilité à la production locale, non seulement indiquer où acheter des fruits locaux, mais également donner des informations sur les prix, les engagements des producteurs en termes de qualité gustative et phytosanitaire (charte, informations/publications officielles, etc.). Certes, certains dispositifs existent déjà comme le réseau « Bienvenue à la Ferme » par exemple, mais nécessitent certainement une plus grande communication puisqu’ils ne sont pas du tout cités dans les entretiens. En revanche, l’évocation des magasins collectifs et des problèmes de praticité souligne la nécessité et le manque d’une offre adaptée aux différentes contraintes des consommateurs.

En effet, cela nous conduit à considérer les principales contraintes ou limites soulevées par les consommateurs pour leurs achats de fruits locaux. Deux grands facteurs organisationnels sont mentionnés, influant l’un sur l’autre. La recherche de minimisation du temps accordé aux courses conduit à privilégier les lieux où l’offre est groupée (GMS, marché, magasins collectifs de producteurs), et concerne essentiellement les achats de personnes actives. Le problème de l’accessibilité au lieu de vente, relié à celui de la mobilité des consommateurs, constitue le second facteur. Beaucoup de personnes âgées ne conduisent plus, tout comme certains urbains ne souhaitent pas avoir à sortir de la ville pour acheter leurs fruits. De manière générale, un lieu d’achat proche du domicile ou du lieu de travail, économisant un transport parfois pénible et toujours jugé « long », est recherché. La levée ou l’amélioration de ces contraintes pourraient permettre de dégager de nouveaux débouchés, trop souvent occultés derrière l’a priori que Valence étant au cœur d’une région de production, les consommateurs ont naturellement accès aux producteurs. Ce travail montre que ce n’est pas si évident et des solutions restent à développer. Le regroupement de l’offre reste une demande forte, ainsi que son accessibilité406.

Au cœur du bassin de production, on constate donc le décalage entre des représentations et une mémoire encore forte des « bons fruits du producteur » et la crise de confiance actuelle envers la production. Le lien qui a pu exister407 a été distendu par le temps. L’industrialisation de l’arboriculture a laissé de nombreuses représentations négatives et des craintes chez les habitants. La confiance fait cruellement défaut. Cette crise de confiance qui s’enracine dans les derniers scandales alimentaires est renforcée par le manque de lien concret entre consommateurs et producteurs, par la méconnaissance des uns envers les autres. En outre, le manque de lisibilité de la production locale, de traçabilité des fruits locaux dans les étalages, l’anarchie des stands de vente au bord des routes contribuent à brouiller les pistes pour le consommateur, donc les supports de son éventuelle confiance. En définitive, le marché valentinois pourrait être développé pour la vente de fruits locaux, à condition d’élaborer un dispositif permettant de répondre à la fois au besoin de confiance (sur les prix, la qualité gustative et phytosanitaire) et aux besoins de praticité et de service.

Il n’y a donc pas un type de consommateurs demandeur de fruits issus des circuits de proximité, mais plusieurs. Tous attendent une qualité spécifique en achetant un fruit sur un circuit court ou de provenance locale, le minimum étant une fraîcheur, une qualité gustative supérieure à celle que l’on trouve sur les autres circuits. En revanche, cette analyse montre que les pratiques et les attentes des consommateurs varient selon la proximité géographique et d’interconnaissance qu’ils entretiennent avec la production arboricole et les producteurs.

Pour les habitants ruraux de la Moyenne Vallée du Rhône, ces deux proximités sont grandes. Les circuits courts sont synonymes de qualité (fraîcheur, maturité, goût), de praticité, de service (choix, gamme), de confiance et d’habitude. L’achat fidèle, auprès du même producteur ou maraîcher, est le meilleur gage de satisfaction. Pour les habitants de l’agglomération lyonnaise, ces deux proximités sont plus faibles. Les circuits courts et magasins spécialisés sont l’alternative à la distribution généraliste pour trouver des fruits plus frais, mieux présentés, être mieux conseillé. Les consommateurs associent l’idée de l’achat direct au producteur avec celle de produits plus « naturels », moins traités, moins « industriels ». Enfin, pour les habitants de Valence, la proximité géographique parait grande mais l’interconnaissance et l’accessibilité à l’offre sont brouillées. Les consommateurs expriment des représentations positives vis-à-vis du bon goût des fruits du passé, et une grande partie d’entre eux recherchent l’achat auprès des producteurs pour trouver plus de fraîcheur et de « naturalité ». Néanmoins, il semble que la confiance fasse néanmoins défaut, sapée par une crainte de l’arboriculture industrielle et un manque de connaissance du monde arboricole actuel. En outre, il s’avère que pour les Valentinois, l’accès à la production locale manque de praticité et de lisibilité.

Finalement, trois notions sont à retenir concernant la ressource constituée par les consommateurs régionaux. D’abord, ils associent l’achat sur les circuits courts à une qualification particulière des fruits qu’on y trouve : plus frais, plus diversifiés. Ensuite, les notions de confiance et de service sont également une attente liée à ces circuits : les consommateurs cherchent des achats sûrs, conseillés, sans déception. Le producteur est largement le principal garant de cette confiance et du service, souvent par sa seule présence, mais aussi parce qu’il conseille, il fait goûter, et par l’inscription de la relation dans le temps. Enfin, les notions de praticité et d’accessibilité sont des contraintes fondamentales. Les consommateurs doivent pouvoir grouper leurs courses, accéder aux lieux de vente facilement et sans trajet supplémentaire. En cela, les situations diffèrent selon les espaces. Pour les habitants des espaces de production, circuits courts riment avec praticité. En revanche, en ville et même au cœur du bassin de production, on constate un manque d’organisation de l’offre de fruits locaux, pour la rendre plus accessible et plus lisible.

Ce chapitre conduit à identifier des « circuits de proximité », qui fonctionnent en marge des circuits d’expédition, et qui permettent de valoriser les fruits grâce à la proximité entre la production et la consommation. Ces circuits de proximité recouvrent des opérateurs et des stratégies diverses pour tirer partie de la proximité de la production, mais une logique générale est commune à tous (Figure 48) : une spécification de l’offre par rapport à celle des circuits standards, permise par des délais de livraison et de mise en marché courts, garantie par la confiance et pratique d’accès pour les consommateurs.

D’abord, c’est la notion de spécification de l’offre proposée sur ces circuits qui apparaît. Dans tous les cas, même pour la transformation, elle est liée à la fraîcheur et à la qualité gustative des fruits permises par une récolte proche de la maturité et un délai de livraison et de mise en marché très court. Ensuite, cette spécification est construite grâce aux connaissances qu’ont les intermédiaires à la fois de la production et des marchés. Ils sont capables de sélectionner les fruits correspondant le mieux aux marchés qu’ils visent, et de communiquer sur leurs caractéristiques : issus de terroirs fruitiers, de variétés anciennes, de méthodes de production, de territoires à forte renommée. Enfin, la dernière dimension de cette spécification est la capacité des intermédiaires à apporter un service aux consommateurs : une gamme très diversifiée, des conseils et explications adaptés à leurs modes d’utilisation et de consommation, etc. Ils mettent ainsi leurs connaissances, presque leur expertise, à la disposition des consommateurs souvent désemparés devant la grande diversité des fruits et la variabilité de leurs qualités.

Ce sont donc les temps de livraison et l’organisation logistique qui délimitent l’échelle géographique couverte par ces circuits. La distance entre le producteur et l’intermédiaire doit permettre une livraison quasi quotidienne, donc limitée à 1h ou 1h30 de route. Le trajet peut être plus long dans le cas de producteurs qui vendent sur des marchés hebdomadaires ou livrent plus occasionnellement. Ensuite, pour le marché du frais, les grossistes et détaillants achalandent un rayon qui couvre le quart sud-est de la France, la majorité s’orientant vers la moitié nord de cet espace, le sud étant couvert par les circuits méridionaux. Les consommateurs de ces circuits recherchent sur les marchés et dans les épiceries spécialisées des fruits de bonne qualité gustative et frais. Pour les produits transformés, les marchés nationaux et internationaux permettent de valoriser certaines qualités haut de gamme et l’approvisionnement local de produits bio. Le marché régional et touristique valorise bien les produits revendiquant l’origine locale des fruits, comme les sorbets et confitures, mais à condition qu’ils présentent une qualité supérieure à celle des produits standard.

Les notions de lisibilité et de confiance pour le consommateur sont indispensables pour assurer un bon fonctionnement de ces marchés. Mais la provenance locale des fruits, frais ou transformés, n’est pas toujours repérable par les consommateurs. Ainsi, ils recherchent un lien avec le producteur, qu’il soit direct ou indirect, comme meilleur gage de confiance quant à la provenance et à la qualité des produits. En milieu rural arboricole, les consommateurs ont accès à des producteurs vendeurs, sur les marchés ou à la ferme, et leur restent fidèles lorsqu’ils en sont satisfaits. En milieux urbains ou non arboricoles, les consommateurs s’orientent vers des circuits de distribution assurant ce lien, même indirectement, comme sur les marchés ou dans les magasins spécialisés qui mettent en avant la provenance et où les vendeurs sont capables de les renseigner. Malgré tout, de nombreuses craintes et incompréhensions de la part des consommateurs quant aux prix et à la qualité sanitaire demeurent liées au manque de connaissances du milieu arboricole.

Cela nous amène à la question de la praticité et de l’accessibilité des circuits de proximité pour les consommateurs. Ces derniers sont contraints par le temps, par leurs moyens financiers, par leurs moyens de déplacement. La recherche de praticité les conduit à grouper leurs achats et à chercher des lieux de vente proches de leurs lieux de vie ou de travail, de leurs trajets quotidiens. Si en milieu rural arboricole, l’accès aux lieux de vente des producteurs parait facile et plus proche que les grandes surfaces, il en est autrement dans les autres cas. L’offre de fruits locaux manque d’organisation pour être accessible et lisible aux habitants extérieurs au bassin de production et des villes.

Figure 48: Le processus de spécification de l’offre des fruits dans les circuits de proximité

Réalisation C. Praly

Pour les producteurs, ces circuits de proximité offrent une diversité de débouchés permettant de bien valoriser tout ou, plus souvent, une partie de leur production. Ces circuits acceptent et valorisent en effet des qualités non reconnues sur les circuits d’expédition. Ils offrent de ce fait une souplesse, une réactivité aux producteurs. Ils peuvent ainsi jouer le rôle de « soupape » occasionnelle ou de « bonus » dans le cas de crise conjoncturelle ou climatique. Ils assurent enfin un rôle social important, apportant satisfaction personnelle, réseaux économiques et connaissances du marché aux producteurs.

Les intermédiaires présentés dans ce chapitre, en jouant le rôle de « passeur de connaissances », permettent donc d’ajuster des qualités particulières à des marchés ciblés. Ils savent valoriser différentes ressources spécifiques (savoir-faire de production, terroirs fruitiers locaux, proximité géographique et/ou organisationnelle entre production et consommation, variété des espèces et des qualités, etc.). En cela, les circuits de proximité constituent une ressource organisationnelle importante pour le bassin de production, mais elle repose sur des réseaux informels, et dépend de la capacité des acteurs à renouveler et transmettre leurs connaissances. Or, le problème de la relève dans ces métiers demeure posé et menace la pérennité de cette ressource. En outre, son caractère informel est également l’une des causes du manque de confiance qui demeure entre les consommateurs et la production arboricole.

Le manque de lien avec les institutions officielles de la profession agricole n’améliore pas la situation. Le potentiel offert par cette diversité de circuits de proximité pourrait en effet être développé par la mise en place de projets locaux plus structurés. En ce sens, si les Chambres d’agriculture investissent de plus en plus ces questions, les collectivités territoriales constituent également des acteurs capables d’accompagner le développement de ces circuits.

Notes
405.

À l’exemple des consommateurs avertis qui reconnaissent la fragilité des fruits frais, donc acceptent mieux les aléas de la maturité.

406.

Pourquoi ne pas créer un magasin de producteurs au cœur de la ville, sans toutefois concurrencer le marché ? Des livraisons à domicile, ou en des points de dépôt dans divers lieux de la ville peuvent aussi être réfléchis, etc.

407.

A-t-il vraiment existé dans ce bassin de production voué à l’expédition (cf. chapitre 2) ou est-ce un fantasme collectif ?