Que dire de ces démarches quant à leur influence sur l’émergence de formes de valorisation territoriale pour l’arboriculture ? Aucun résultat réellement tangible et mesurable ne se dégage, néanmoins, deux éléments méritent d’être relevés ici.
Ces démarches participent d’un mouvement de fond favorable à la valorisation des fruits par les circuits de proximité, en rapprochant les habitants de l’arboriculture. En effet, la mobilisation d’éléments positifs de l’arboriculture, comme les valeurs plaisirs des fruits gorgés de soleil et les paysages de vergers en fleurs, érigés en symboles identitaires par les collectivités territoriales, peut contribuer à renvoyer une image positive de l’arboriculture aux habitants et aux touristes de ces territoires. Cette patrimonialisation de l’arboriculture peut donc être considérée comme favorable à la sensibilisation des habitants et des touristes pour une consommation plus avertie à l’égard de la production fruitière locale. Par ailleurs, la réalisation d’outils de communication et d’informations de la part des collectivités, comme les annuaires des producteurs, permet plus concrètement de rendre l’offre de fruits locaux plus lisible et accessible pour ces consommateurs. Enfin, le soutien direct à l’émergence de points de vente directe, à leur embellissement, participe à l’amélioration de l’offre et de son attractivité sur le territoire.
La plupart des démarches est réalisée à l’initiative des collectivités territoriales, sans réel lien avec les organisations agricoles. En outre, en termes d’impact pour les producteurs locaux, cela ne bénéficie pour l’instant qu’à la petite partie des arboriculteurs qui pratiquent la vente directe.
Le second élément souligne la difficulté du travail en partenariat entre les collectivités territoriales et les professionnels de la filière. Malgré les discours optimistes des élus, malgré les projets écrits dans les chartes, les chargés de mission territoriaux enquêtés (soit par téléphone, soit en direct) sont unanimes quant à la difficulté à mobiliser les professionnels. Tous constatent en effet une sous réalisation des actions programmées.
Ils l’expliquent, à un premier niveau, par la difficulté concrète à mobiliser les arboriculteurs dans les projets. Pour les intervenants à l’échelle des Pays, comme en Drôme des Collines, la chargée de mission424 pointe le manque de relais opérationnel dans les communautés de communes membres, d’où un manque crucial d’animation auprès des professionnels. Même constat dans le Syndicat Mixte Eyrieux-Ouvèze-Vernoux pour lequel la chargée de mission déplore une sous réalisation des actions prévues pour l’agriculture dans le premier CGD 2000-2005425, qu’elle attribue également à un manque d’animation sur le terrain. Il n’y a en effet aucun chargé de mission agriculture dans les communautés de communes de ce territoire, c’est l’animatrice territoriale de la Chambre d’agriculture, située au Cheylard, qui fait le relais.
Par ailleurs, une représentation demeure vivace chez les chargés de mission des collectivités territoriales, surtout dans la Drôme, selon laquelle l’arboriculture est une production très structurée, dont la filière se suffit à elle-même : bien organisée, tenant des positions importantes au niveau des OPA locales, la filière fruits n’est pas celle qui a le plus besoin du soutien des territoires administratifs426. Héritée de l’histoire du bassin de production, cette représentation traduit également la difficulté à faire concilier un projet de territoire avec une filière dont l’échelle de fonctionnement s’étend sur deux départements. Certains animateurs, comme la chargée de mission du Pays Ardèche Verte427, confient leur impuissance face aux problèmes qui affectent l’arboriculture : d’une part, la Région oriente les projets collectifs concernant les fruits vers une échelle Drôme/Ardèche, prenant l’ensemble du bassin de production ; d’autre part, le Pays ne peut intervenir sur des aides individuelles. La pertinence d’un projet fruits à l’échelle infrarégionale ne semble pas trouvée pour les territoires administratifs.
En corollaire, l’arboriculture ne trouve que partiellement sa place dans les projets de territoire pour l’agriculture, tels celui du Pays Drôme des Collines axé sur l’agriculture biologique et celui du Syndicat Mixte Val de Drôme – Diois axé sur les productions de qualité et identitaires. Seuls les producteurs pratiquant la vente directe ont concrètement bénéficié de ces projets jusqu’à aujourd’hui. De fait, dans ces approches par projets des territoires, l’arboriculture est ré-intégrée à l’ensemble de l’agriculture, puisque leurs actions sont essentiellement axées sur des thématiques : vente directe, bio, qualité, etc. Finalement, l’arboriculture perd ainsi sa singularité, construite historiquement et institutionnellement (cf. chapitre 2), par rapport aux autres productions agricoles. Au-delà de la dimension sociale, cela a des conséquences en termes organisationnels. Cela rend les partenariats difficiles entre collectivités territoriales et acteurs de l’arboriculture : les représentants de la filière sont en effet habitués à travailler avec des instances à l’échelle régionale et supra, sur des projets spécifiques de cette production, dans le cadre de PIDA-fruits par exemple. Au contraire, dans le cadre des projets de territoires infra, les représentants agricoles se doivent de représenter l’ensemble des productions, ensemble dans lequel les particularités de l’arboriculture (saisonnalité, variabilité de la qualité, fraîcheur, difficultés techniques de la production bio, etc.) ne peuvent être défendues comme elles le mériteraient. Ainsi, aujourd’hui, le résultat est que les collectivités territoriales soutiennent l’engouement pour les AMAP ou pour l’agriculture biologique, ce qui se traduit par un rapide développement de ces « agricultures désirées », mais dans lesquelles on manque cruellement d’approvisionnement en fruits… Le paradoxe est d’autant plus grand que sur ces mêmes territoires les arboriculteurs recherchent de nouvelles formes de valorisation. Le « modèle » d’agriculture qui soit à la fois désirée par les territoires et adaptée aux contraintes de la filière fruit n’est pas encore trouvé.
Ainsi, pour les collectivités territoriales, l’arboriculture est porteuse de valeurs pour le développement local, et exerce des fonctions socio-économiques, paysagères et identitaires. Par la mobilisation identitaire qui est faite des fruits et des vergers, par la communication et le soutien à la vente directe, les projets des collectivités participent au rapprochement à la fois cognitif et concret entre les consommateurs locaux et l’offre de fruits. En ce sens, leurs actions sont favorables au développement des circuits de proximité. Mais la construction de réels projets pour soutenir l’arboriculture à l’échelle des territoires administratifs est difficile, pour des raisons de manque d’animation et d’inadéquation des échelles et des attentes entre celles des territoires et celles du bassin de production. De fait, les collectivités relaient la demande de naturalité et de service exprimée par les consommateurs en soutenant une agriculture bio et la diversification (dont la vente directe). Comment ce désir d’agriculture est-il perçu de la part des professionnels de l’arboriculture ?
Entretien direct, juin 2006.
Pour l’arboriculture, un local de vente directe a été subventionné et un projet de lutte contre le gel a été abandonné. D’autres actions ont par ailleurs porté sur d’autres productions : les framboises (filets paragrêle), les pommes de terres primeurs, les châtaignes. Source : entretien téléphonique, juin 2006.
Entretiens téléphonique avec le chargé de mission du Syndicat Mixte Vallée de la Drôme-Diois (qui rassemble les communautés de communes du Val de Drôme, du Diois, du Pays de Saillans, et la commune de Crest).
Entretien téléphonique, mai 2006.