c) Tendance actuelle : entre ouverture et désengagement des collectivités territoriales envers l’agriculture

Aujourd’hui, dans la Drôme, la situation évolue et le contexte parait favorable à des rapprochements entre la Chambre d’agriculture et les collectivités territoriales. D’une part, la nouvelle génération de responsables syndicaux est bien consciente de la nécessité de travailler avec les partenaires territoriaux. Cette volonté a en outre été explicitement formulée dans le Projet Agricole Drômois pour l’horizon 2016. D’autre part, le renouvellement des élus dans les territoires contribue à apaiser les oppositions447. Mais ce climat d’apaisement se double d’un désengagement des collectivités territoriales envers l’agriculture.

L’analyse de l’évolution des organigrammes des collectivités territoriales, entre 2005 (date de commencement de la thèse) et 2009 (date à laquelle nous écrivons ces lignes), montre en effet une diminution des ressources accordée à l’agriculture. Le service agriculture de la CCVD est passé de deux chargés de mission à un seul temps plein partagé avec le Syndicat Mixte Val-de-Drôme-Diois. Au niveau du Pays Drôme des Collines, la personne chargée de mission agriculture-environnement a quitté son poste en 2006448, et n’a pas été remplacée.

Cette tendance au désengagement des collectivités territoriales envers leurs compétences agricoles s’explique par deux éléments principaux. Le premier est la diminution constante de l’importance de l’agriculture dans le milieu rural : diminution du nombre d’agriculteurs ainsi que de leur représentation dans les conseils municipaux et communautaires. En lien avec la décentralisation et l’évolution démographique dans ces espaces ruraux, les collectivités ont de plus en plus de responsabilités à gérer. Certains enjeux, comme les services à la personne, deviennent prioritaires par rapport à l’agriculture lorsqu’il s’agit de prioriser et répartir les finances publiques. Le second est la difficulté à travailler sur l’agriculture, domaine fortement politisé, disposant déjà d’organisations professionnelles fortes, cristallisant représentations, passions et conflits d’intérêts. De plus en plus, les élus évitent donc de prendre le risque d’aborder ce terrain épineux. Plusieurs arguments sont avancés : le manque de pertinence pour intervenir à des échelles ne correspondant pas à celles des filières, le manque de résultat des actions, la difficulté d’évaluer les impacts en termes de développement territorial, la gestion relationnelle difficile avec les OPA.

Il apparaît finalement que les acteurs du monde arboricole sont très peu investis dans les projets des collectivités territoriales. Cette difficulté des professionnels à prendre part à l’élaboration des projets territoriaux s’explique par le manque de compétence en « ingénierie territoriale » et par le manque de connaissance et reconnaissance réciproque entre les acteurs arboricoles et ceux du territoire. En effet, travailler avec les collectivités territoriales, se saisir des processus de concertation, problématiser dans une approche territoriale, débattre et construire une vision partagée avec des acteurs issus de milieux différents ne se décrète pas, mais s’apprend. Olivier Turquin souligne cette difficulté : « Raisonner territoire et jeu d’acteurs intersectoriels lorsque l’on est formé, voir formaté, pour penser filière et revendication corporative est un exercice difficile et périlleux. D’autant que l’un n’exclue pas l’autre et que l’irruption du territoire complexifie - parfois à l’extrême - l’idée que chacun peut se faire de son métier et de ses responsabilités. » (Turquin, 2007).

La construction d’un projet partagé nécessite également connaissance et reconnaissance mutuelle, entre les différents acteurs intervenants. Il s’agit d’être capable de construire une représentation collective sur l’objet « arboriculture » et ses perspectives de développement. Or aujourd’hui en ce qui concerne l’arboriculture, s’il peut y avoir des convergences entre les attentes des arboriculteurs (besoin de solutions sanitaires et commerciales) et celles qu’en ont les territoires (vente directe, qualité, paysage), le manque de reconnaissance mutuelle des acteurs est encore important. Comment apprendre à s’entendre, à construire un accord collectif entre professionnels et acteurs du territoire autour de ces valeurs pouvant faire ressource territoriale pour l’arboriculture (plus-value économique) et pour les territoires (maintien d’une économie locale, attractivité, identité) ?

Intégrer davantage les acteurs de l’agriculture dans les projets territoriaux pourrait passer par le renouvellement des conditions et des objets du dialogue entre les producteurs et leurs organisations agricoles et les acteurs des collectivités territoriales. Derrière l’idée de dialogue, nous entendons la « nécessité d'une compréhension mutuelle des problématiques et préoccupations inhérentes à chaque profession [voir à chaque catégorie d’acteurs territoriaux], qui doit déboucher sur la coordination autour de projets territorialisés » (Frayssignes, 2005, p.366). Mais le dialogue ne se décrète pas. L’implication d’un acteur médiateur, reconnu et légitimé par les différentes parties concernées, peut permettre de dépasser les situations d’oppositions ou de conflits, souvent liées à l’histoire et à la méconnaissance des acteurs. Dans le Nord Drôme, un collectif d’acteurs structuré autour de la MFR d’Anneyron assure ce rôle de médiation et apporte la compétence d’ingénierie territoriale.

Notes
447.

Si l’initiateur de la CCVD était encore en 2006 vice-président chargé de l’agriculture, les élections municipales de 2008 ont changé la donne.

448.

Suite à l’obtention du concours d’ingénieur territorial, elle a dû trouver un poste correspondant à ce niveau dans une autre collectivité territoriale.