b) Le déclic socioculturel : la reconnaissance collective d’une ressource territoriale

La participation des arboriculteurs à la préparation et aux débats lors des « Entretiens du Terroir » en Valloire, animés par une méthodologie d’accompagnement adaptée, a contribué à une réelle prise de conscience de l’opportunité qu’ils avaient à valoriser le terroir de la Valloire.

Si les spécificités des poires de la Valloire sont connues par les professionnels, valorisées sur des marchés hauts de gamme par des expéditeurs spécialistes de ce produit (cf. chapitre 4), la possibilité d’identifier et de communiquer sur cette origine, déjà évoquée dans les groupes de travail du Pôle de Ressources Fruits Territoires, semble avoir pris consistance pour les arboriculteurs lors de la préparation des « Entretiens du Terroir ». En cela, la méthodologie d’accompagnement465 déployée par l’association Terroirs & Cultures n’est pas neutre. Lors du discours d’introduction des « Entretiens du Terroirs » en Valloire, le représentant affirme explicitement leur objectif : « accompagner les acteurs locaux dans la prise de conscience des ressources locales ». Ainsi, une nouvelle fois des chercheurs sont invités, pour développer encore les thèmes chers à l’acteur médiateur : Bernard Pecqueur vient présenter le modèle du « panier de biens » des Baronnies, et Gilles Fumey développe la question des cultures alimentaires régionales. En outre, les acteurs locaux sont invités à s’exprimer à travers deux questions : « qu’est-ce que le terroir Valloire, pour eux ? » et « que pouvons nous faire ensemble pour développer une spécificité terroir ? ». Ce questionnement construit localement et alimenté par les intervenants extérieurs, confrontant leurs connaissances au territoire de la Valloire, amène les arboriculteurs à reconnaître une ressource là où, auparavant, ils n’en voyaient pas.

Au niveau individuel, les conséquences de ces « Entretiens du Terroir » sont variables466. Un des arboriculteurs, au départ réticent au projet, accepte néanmoins de participer et d’évoquer son activité de distillerie. Il déclare que c’est lors de la réflexion préparatoire et plus clairement lors de la soirée qu’il a vraiment réalisé que s’identifier au terroir de la Valloire pouvait constituer, pour lui, une stratégie de différenciation. Lorsque nous l’interrogeons, par la suite, nous demandons s’il mentionne « Moras » ou « Valloire » sur ses étiquettes. Sa réponse est éloquente : « Je n’y avais pas pensé ! mais c’est une bonne idée, je vais le faire dès que possible… ».

Pour les arboriculteurs moteurs de l’association, l’idée d’une communication collective sur la qualité des poires de la « Valloire » est clairement exprimée. Si l’un évoque l’utilisation d’une marque collective, l’autre s’interroge sur l’outil le plus pertinent : AOC ? IGP ? marque collective ? simple communication collective ? Néanmoins, les échecs des expériences passées (comme le COVAPI), la dispersion des arboriculteurs dans diverses organisations commerciales concurrentes, laissent planer doutes et pessimisme quant à ce projet. Finalement, leur principale préoccupation est de savoir quelle organisation de mise en marché pourrait porter le projet.

Au niveau du collectif, la participation aux « Entretiens du Terroir » a conduit les leaders de l’association des « Arbos de Moras » à reconsidérer leur échelle d’action. Si initialement l’association avait une ambition uniquement professionnelle et communale (comme son nom l’indique), ils affirment dans leur discours introductif aux « Entretiens du Terroir » leur souhait d’ouverture géographique et plurisectorielle. D’une part, la volonté de s’élargir et d’accueillir les autres arboriculteurs de la vallée est exprimée, même si, pour l’heure, il n’est pas question de remplacer « Moras » par « Valloire » dans le nom de l’association467. Ensuite, est formulé le souhait de travailler de concert avec les autres opérateurs de la filière, c’est-à-dire les expéditeurs, les transformateurs, voire même les commerçants, ainsi qu’avec ceux du territoire, comme les autres artisans, les restaurateurs, l’office du tourisme, etc. Enfin, par rapport au projet de la prochaine Fête de la Poire, qui interviendra quelques mois plus tard, le président de l’association affirme la volonté de « travailler davantage sur le lien au territoire », mais les idées concrètes sont encore floues.

La rencontre avec l’association Terroirs & Cultures et sa méthodologie d’animation semble avoir concrètement activé une dynamique locale sur le terreau du lien de confiance tissé entre l’acteur Pivot et l’association des « Arbos de Moras ». L’acteur médiateur s’enrichit ici de l’appui de l’association Terroirs & Cultures, qui lui apporte des moyens et des compétences spécifiques en termes d’animation territoriale. Les arboriculteurs et professionnels locaux affirment prendre conscience de l’intérêt de communiquer sur l’identité « Valloire », comme support de différenciation et de valorisation économique pour les fruits. A partir de cette rencontre entre le projet territorial et celui d’un collectif d’arboriculteurs, une piste de travail se précise donc, il y a reconnaissance collective d’une ressource territoriale. La programmation des 2ème « Entretiens du Terroir » en Valloire, prévu sur le thème des savoir-faire en avril 2009 en est une preuve. Reste encore à passer à l’organisation commerciale permettant l’activation de cette ressource.

Notes
465.

L’association propose son concept « clef en main », « bénéficiant d’une pédagogie et d’une méthodologie claire et reconnue ». Dans celle-ci, si la définition de la thématique et des axes de questionnement est importante, une grande place est donnée à la communication de l’évènement, notamment via la presse locale. Site Internet : http://www.terroirsetcultures.org/wakka.php?wiki=LesEntretiensduterroir , consulté le 9 avril 2009.

466.

Nous avons rencontré et interrogé plusieurs des arboriculteurs quelques semaines après ces « Entretiens du Terroir », mais avant leur voyage au Forum Planète Terroir.

467.

Entretien avec le président, avril 2008.