b) Quelle adéquation d’une démarche Valloire avec les logiques commerciales préexistantes ?

Selon leurs stratégies commerciales existantes, les arboriculteurs des « Arbos de Moras » envisagent différemment le projet de valorisation de l’identité « Valloire ». Les questions des échelles géographiques et de l’opposition entre démarches individuelles et collectives se posent immédiatement. En effet, les trois arboriculteurs qui vendent principalement en direct projettent d’ajouter « Valloire » sur leurs étiquettes et de profiter ainsi de la renommée peu à peu construite localement par la Fête de la Poire. Pour eux, une communication portée par l’association des « Arbos de Moras » serait envisageable.

L’arboriculteur qui est membre d’une coopérative de la vallée du Rhône envisage la solution par la création d’une marque ou d’un identifiant collectif, sur lequel il faudrait communiquer collectivement. Le problème est d’engager une ou des coopératives ou OP existantes dans la défense de ce projet. Or, pour l’heure, aucune de ces structures ne semble appropriée :

Enfin, pour les arboriculteurs membres de l’OP Fruitiers Dauphinois, le projet exprimé en septembre 2008 consiste à proposer des animations commerciales dans le rayon fruits du Super U local pendant la saison des poires. Certes, cela pourrait permettre d’améliorer les ventes et donc d’assurer un débouché commercial aux producteurs, mais la question des prix de vente reste posée.

En définitive, aucune solution proposée, ni organisation commerciale existante ne rassemble tous les arboriculteurs de la Valloire. L’idée d’une organisation propre au projet « poire de la Valloire » est explorée, notamment par le médiateur. Il souhaite créer un groupe de « réflexion-action » rassemblant tous les arboriculteurs. Mais il déclare s’être rapidement heurté à des oppositions calquées sur les différentes appartenances commerciales existantes. La concertation n’en est pas pour autant bloquée, elle continue…

La question du temps de la construction d’un (éventuel) projet collectif est également à considérer. De fait, la 3ème Fête de la Poire est intervenue seulement cinq mois après les premiers « Entretiens du Terroir » en Valloire, et après la saison d’été pendant laquelle les arboriculteurs n’ont pas de temps à consacrer à d’autres préoccupations que la récolte et sa commercialisation. Passer de la conscience d’une ressource à valoriser à sa mise en œuvre concrète demande du temps, des moyens, et des acteurs prêts à prendre le risque de le faire. Pour cela, quelle est l’organisation la plus adaptée ? Cet exemple montre encore l’opposition entre le besoin d’une stratégie collective pour rassembler des volumes et mutualiser les moyens nécessaires à la communication470 et l’importance de conserver la souplesse inhérente aux démarches individuelles. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le projet est toujours plus en cours de « réflexion » qu’en « action ».

Cet exemple montre comment, par une succession de différentes actions dans le temps, un acteur médiateur reconnu et légitimé par les différentes parties concernées peut faciliter l’intégration des arboriculteurs dans l’élaboration d’un projet territorial, et la connaissance réciproque entre producteurs et consommateurs-habitants. La médiation assurée par la MFR permet la réalisation de projets ponctuels divers qui conduisent à la « fabrication de représentations collectives » nécessaires à une reconnaissance de la ressource territoriale qu’est le terroir de la poire de la Valloire. Cette reconnaissance collective est permise par l’intégration concrète des arboriculteurs dans la préparation et la réalisation des « Entretiens du Terroir », qui sont en fait une méthodologie spécifique d’animation territoriale. Contrairement aux Fêtes de la Poire où ils sont à l’organisation pendant le déroulement des conférences, cette fois-ci ils étaient dans la salle, contributeurs ou spectateurs, mais dans tous les cas auditeurs des discours et donc touchés par la réflexion en cours de construction.

En revanche, la manière adaptée pour valoriser cette ressource n’est pas encore trouvée. Si le médiateur ou certains arboriculteurs envisagent une valorisation par la mise en œuvre d’une stratégie collective d’identification-communication de la poire de la Valloire, il n’en demeure pas moins que les arboriculteurs restent fidèles à leurs propres circuits commerciaux. Le changement des pratiques commerciales est une prise de risque que peu d’entre eux peuvent se permettre de prendre.

Les collectivités territoriales sont désormais des acteurs ayant des compétences et des attentes envers l’arboriculture. Elles mobilisent sa dimension identitaire à travers les valeurs positives qu’apportent les fruits et les paysages de vergers, ainsi que son attractivité à travers l’offre de service constituée par les ventes directes. Dans ce sens, elles participent au rapprochement cognitif entre l’arboriculture et les consommateurs locaux, ce qui est favorable aux circuits de proximité. Certaines élaborent également des projets de soutien à l’arboriculture, qui traduisent les attentes sociétales vis-à-vis de la « naturalité », de l’agriculture bio, et des services (dont la vente directe).

Néanmoins, les projets portés par les collectivités territoriales sont très largement sous-réalisés. Le principal facteur explicatif tient au manque de dialogue, compris comme un manque de connaissance et de reconnaissance réciproque entre les acteurs de l’arboriculture et ceux des collectivités territoriales. Si les collectivités territoriales manquent de capacité d’animation sur leurs territoires, et ont parfois du mal à appréhender la filière fruits, c’est la connaissance en termes d’ingénierie territoriale qui fait défaut aux arboriculteurs. Les conditions organisationnelles d’un partenariat entre collectivités territoriales et arboriculteurs ne sont donc pas réunies.

L’intervention d’un acteur médiateur peut combler ce manque. Tel est le cas de la MFR d’Anneyron, acteur reconnu et légitimé grâce à des liens durables et forts avec, à la fois, les arboriculteurs locaux et les collectivités territoriales. Depuis plus de dix ans, ce médiateur poursuit le projet de développer l’arboriculture locale grâce à ses liens au territoire par une succession d’actions : engagement régulier sur le terrain, soutien aux arboriculteurs en termes d’ingénierie territoriale (accès aux financements), organisation d’évènements, etc. Néanmoins, il demeure difficile de mobiliser les professionnels lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre concrètement les idées formulées dans les lieux de réflexion.

La construction de partenariat entre collectivités territoriales et professionnels arboricoles est donc entravée par plusieurs difficultés. Il s’agit d’abord de la question des échelles de temps des projets, entre le temps long de l’élaboration institutionnelle et le besoin de concret, de tangible, nécessaire pour s’ancrer dans la temporalité de l’action des professionnels. Cela pose ensuite la question des échelles géographiques, entre l’échelle restreinte des projets de territoire, correspondant à celle de la ressource nouvellement formulée, et l’échelle plus vaste de la filière et du bassin de production. L’articulation entre le collectif et l’individuel est également une difficulté. Le collectif, encouragé par le modèle professionnel agricole, est exigé par les collectivités territoriales pour avoir accès aux soutiens publics. S’il permet par exemple de supporter certains investissements, ou de structurer un marché nouveau, la liberté et la souplesse permises par le fonctionnement individuel sont toutefois préférées par de nombreux arboriculteurs. Enfin, la question de l’articulation entre l’existant et le nouveau constitue la dernière difficulté. Par exemple, les projets de valorisation territoriale (comme la poire de la Valloire, la vente directe, etc.) se superposent aux circuits d’expédition existants à l’échelle du bassin de production, sans trouver d’organisation commerciale adaptée à leur propre échelle.

Notes
470.

Et dans le cas d’une démarche visant l’obtention d’un SIQO, les moyens nécessaires sont encore plus importants.