La notion de circuits de proximité pour les fruits

Les circuits de proximité observés dans la Moyenne Vallée du Rhône, valorisant une proximité entre production et consommation, ne correspondent à aucune définition existante de circuit de commercialisation. En effet, ils débordent de la catégorie des circuits-courts, définie par les économistes agricoles, les sociologues et géographes ruraux comme une forme de vente qui fait intervenir un intermédiaire au maximum entre le producteur et le consommateur (Chaffotte et Chiffoleau, 2007). Dans notre cas, le nombre d’intermédiaires peut être plus élevé. En outre, la question de l’échelle géographique est peu traitée dans l’étude des circuits-courts, alors qu’elle apparaît centrale dans les faits décrits dans cette thèse. L’usage de la notion de circuits courts dans les travaux récents incorpore souvent l’idée d’une distance géographique limitée entre producteur et consommateur, mais les limites proposées pour cette distance s’appuient sur des critères arbitraires. Ainsi, les travaux de Lydie Chaffote et Yuna Chiffoleau (2007) se réfèrent à la réglementation commerciale474 pour proposer une notion de « circuits de proximité » définie par une limitation spatiale de 80 km entre le lieu de production et le lieu de vente aux consommateurs. L’ouvrage collectif coordonné par Gilles Maréchal propose quant à lui de circonscrire les circuits courts à « l’échelle territoriale de la proximité », qu’il définit lorsque production et consommation se trouvent dans le même territoire (Marechal, 2008). N’y a-t-il pas de « circuits courts » là où il n’y a pas de territoire ? Que dire lorsque les « circuits courts » sont à cheval sur plusieurs territoires administratifs, ou plusieurs territoires identitaires ? Ainsi, il s’agit de nous émanciper des définitions arbitraires, des limites préétablies en termes de nombre d’intermédiaires et de distance. Nous proposons une définition des « circuits de proximité » appuyée sur les spécificités de la production concernée et des espaces sur lesquels elle est située.

Or, plus que pour d’autres produits agroalimentaires, la proximité entre la production et la consommation est structurante dans la commercialisation des fruits. Elle conditionne en effet la qualité finale de ces produits fragiles. Deux éléments en témoignent sur le terrain. D’abord, les fruits d’origine locale sont exposés comme un véritable produit d’appel par les producteurs-vendeurs, comme par les revendeurs. Leur capacité à proposer des fruits « mûrs sur l’arbre »475 leur confère une différenciation certaine face à l’offre des circuits d’expédition. Les espèces les plus fragiles sont également les plus vendues sur les circuits de proximité : pêches, fraises, framboises476. Ces fruits, souvent récoltés verts lorsqu’ils sont destinés à l’expédition, sont ceux qui révèlent le plus grand différentiel de qualité lorsqu’ils sont récoltés mûrs et vendus rapidement. Ainsi, l’attractivité des fruits vendus sur les circuits de proximité relève du couple maturité-fraîcheur. La capacité des circuits de proximité à offrir une qualité spécifique des fruits (maturité-fraîcheur) dépend donc davantage du délai entre la récolte et la consommation que de la distance géographique477.

Dans le cas des fruits d’été, la prise en compte de la dimension géographique devient donc opératoire à travers la notion de délais. Elle évite le risque que notre notion de circuits de proximité ne revête un caractère lisse et générique. Elle lui confère, au contraire, la capacité de détailler, en fonction des échelles de commercialisation, les types d’organisation qui permettent la valorisation de la proximité (pour une plus-value économique au niveau de la production) et la réduction du délai (pour une différenciation de la qualité) entre la production et la consommation.

Cela nous conduit à définir les circuits de proximité observés pour les fruits. Ce sont des circuits de commercialisation qui valorisent une proximité entre production et consommation, et qui permettent ainsi une meilleure rémunération du producteur. L’échelle de ces circuits est essentiellement circonscrite par l’exigence d’un délai court entre la récolte et la mise à l’étalage, devant permettre une maturité-fraîcheur du fruit optimum. Le délai varie en fonction des espèces et de leur aptitude au stockage : de un à deux jours pour les fraises, à une à deux semaines pour les abricots. Et l’échelle géographique se décline en fonction de ces délais, des infrastructures et équipements de transport disponibles.

Selon cette définition, les circuits de proximité concernent tout autant des circuits sans ou à plusieurs intermédiaires, des circuits extrêmement localisés comme d’échelle suprarégionale. Tout dépend de la manière dont la proximité entre production et consommation est construite et valorisée. Elle peut se réduire à une proximité fonctionnelle entre le producteur qui vend à la ferme et les consommateurs-habitants locaux qui viennent s’y approvisionner. Elle peut aussi relever d’une proximité organisationnelle lorsque les intermédiaires locaux, tels les détaillants qui s’approvisionnent sur le marché de production, assurent le court délai de mise en étalage et la rémunération des producteurs pour des fruits trop mûrs ou trop petits pour être bien payés sur les circuits d’expédition. Dans le cas des produits transformés, la proximité entre la production et le lieu de transformation peut être valorisée de différentes manières : par l’obtention d’une qualité-maturité supérieure, d’une qualité spécifiquement adaptée aux besoins de la transformation ou encore par la mise en avant de l’identité territoriale véhiculée par la provenance sur les produits finaux.

Les définitions communément admises de « circuits courts » et « circuits longs » ne sont donc pas opératoires pour décrire les fonctionnements à l’œuvre dans l’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône. Pour exemple, la commercialisation directe entre un producteur-expéditeur et une grande surface, qui relève de la définition officielle des circuits courts (un intermédiaire), fonctionne souvent selon une logique de circuit d’expédition. C’est pourquoi la notion de « circuits de proximité » est construite en opposition à celle de « circuits d’expédition »478. L’opposition repose sur trois éléments principaux.

D’une part, dans les premiers il y a un lien de proximité entre la production et la consommation, alors que dans les seconds les fruits sont « expédiés » de leur lieu de production vers les distributeurs, sans maintien de ce lien (ne serait-ce qu’informationnel).

Ensuite, dans les premiers, il y a valorisation économique de cette proximité, quelle qu’elle soit, alors que dans les seconds la différenciation ou la qualification éventuelles se construisent sur d’autres critères, généralement selon les normes du marché européen.

Enfin, dans les premiers, les producteurs disposent d’une marge de manœuvre dans la négociation du prix, qui apparaît presque toujours bien accepté et considéré comme rémunérateur. En revanche, dans les circuits d’expédition, les producteurs se trouvent dans un rapport de forces déséquilibré face à quelques gros acheteurs, les mettant en concurrence avec des fournisseurs de fruits de pays à moindre coût de production.

Notes
474.

Ces travaux se réfèrent au texte réglementaire du décret n°2002-1468 du 12 décembre 2002, relatif aux conditions de contrôle de la qualité des produits issus de producteurs ou artisans commercialisant leur production « en petite quantité » sur le « marché local ». Il délimite ce marché local à une distance de 80 km entre le lieu de production et le lieu de vente.

475.

Mention relevée sur des panneaux de magasins de vente directe et de revente de fruits locaux en Août 2007.

476.

La pomme est la quatrième espèce la plus vendue sur les circuits de proximité. Cela s’explique par un second facteur : sur les marchés d’expédition les prix pour la catégorie II sont très bas pour cette espèce. Aussi, les producteurs essaient de valoriser cette catégorie sur d’autres circuits.

477.

Néanmoins, les deux dimensions sont tellement liées entre elles, que les définitions proposées par les producteurs ne retiennent parfois que l’une des deux, oubliant en revanche complètement la dimension économique de réduction du nombre d’intermédiaires. Ainsi ce producteur évoque uniquement le délai de mise en marché : « Le circuit court, c’est le ramassage aujourd’hui et la vente le même jour. », tandis que celui-ci se réfère à une échelle géographique circonscrite : « Circuit court c’est la région Rhône-Alpes, point barre. ». (Enquêtes, décembre 2007).

478.

Les circuits d’expédition sont ceux par lesquels commercialisent les principaux expéditeurs du bassin de production-expédition et ils sont dominés par les centrales d’achats des GMS (cf. chapitre 1).