Une ressource entre tension et complémentarité avec les circuits d’expédition

Ces limites sont atténuées par la combinaison, à l’échelle de l’exploitation ainsi qu’à l’échelle du bassin de production, de divers types de débouchés. Plus précisément, circuits de proximité et circuits d’expédition sont complémentaires quant aux qualités et aux volumes de fruits qu’ils permettent de bien valoriser. Les circuits d’expédition écoulent la majorité des volumes produits dans le bassin (en milliers de tonnes), qui doivent atteindre une belle qualité commerciale (catégorie I ou extra) pour obtenir un prix de marché acceptable (plutôt bas mais raisonnable). Les circuits de proximité écoulent des volumes plus restreints (quelques dizaines à quelques milliers de tonnes), mais par leur diversité, ils sont capables d’offrir des prix acceptables pour les différents types de qualité. En particulier, ils permettent de valoriser les fruits qui ne seraient pas rémunérés sur les circuits d’expédition, comme les fruits déclassés, les fruits trop mûrs pour supporter le transport et le stockage, la catégorie II, les variétés démodées, etc.

Pour comprendre la nécessité et la logique de construction de cette complémentarité, il faut partir du volume de production globale d’une exploitation. Ce volume global contient obligatoirement des fruits de calibres, d’aspects et de maturités différents, donc de qualités commerciales diverses485. Partant de cette production globale, selon les stratégies commerciales préexistantes sur l’exploitation, les équipements de tri (calibreuse ou non, capacité de stockage), les volumes de production à écouler et la main d’œuvre disponible, les complémentarités entre circuits de commercialisation seront ajustées au cas par cas. Trois grands types de complémentarité se dégagent :

Les livraisons à des détaillants régionaux ne concernent pas toujours la totalité des volumes. Le reste est parfois vendu en vente directe, ce qui permet notamment d’écouler les fruits moins jolis, qui ne correspondent pas à la démarche de différenciation engagée pour les distributeurs. Dans d’autres cas, le reste est vendu pour l’expédition, sur les circuits standards peu rémunérateurs. Tout dépend des volumes restant à écouler et du temps dont dispose le producteur pour assurer cette vente.

Néanmoins, dans le modèle productif de production-expédition, les circuits de proximité et d’expédition sont considérés comme concurrents486. Cette conception s’enracine dans l’histoire du fonctionnement du bassin, dans laquelle les tenants de la coopération et les producteurs « indépendants » ont toujours été opposés. L’obligation d’apport total, qui est la règle dans la coopération, s’explique par la nécessité d’éviter le comportement opportuniste et déloyal de certains producteurs tentés de n’apporter à la coopérative que les fruits qu’ils n’arrivent pas à bien valoriser par ailleurs. Ainsi aujourd’hui, reconnaître la complémentarité des différents circuits de commercialisation parce qu’ils permettent de valoriser au mieux la diversité des fruits n’est pas chose aisée. Cela touche à la définition même du modèle productif en remettant en question le fonctionnement des coopératives et leur capacité à assurer la viabilité économique des exploitations fruitières de la Moyenne Vallée du Rhône.

Ainsi, la proximité production-consommation ne peut exister comme ressource sans le contexte du bassin de production-expédition qui lui confère à la fois sa spécificité (par opposition) et sa viabilité (par complémentarité). Elle n’est pas non plus complètement dépendante de celui-ci puisqu’elle se développe en marge du modèle productif dominant (contrairement aux initiatives d’identification territoriale), parfois même dans les limites de la légalité (cas des coopérateurs qui vendent en dehors de la coopérative). En retour, elle lui permet également de se maintenir viable. En effet, à quoi serait réduite aujourd’hui l’arboriculture dans la Moyenne Vallée du Rhône si les producteurs n’avaient pu dégager un revenu complémentaire par les circuits de proximité ? La proximité production-consommation est donc une ressource qui s’articule au bassin de production-expédition, entre tension et complémentarité. Les circuits de proximité s’insèrent officieusement dans les interstices du modèle productif dominant, les uns nourrissant l’autre et réciproquement.

La valorisation de la proximité production-consommation nécessite donc des ressources organisationnelles et cognitives, portées par les réseaux professionnels informels locaux, et articulées aux différents circuits de commercialisation du bassin. Cette ressource est donc territoriale, puisqu’elle est fondée sur les interconnaissances entre professionnels et les savoirs partagés au sein de l’arboriculture de la Moyenne Vallée du Rhône. L’enjeu est de la maintenir et la renouveler.

Notes
485.

Les techniques de production visent à atténuer ces éléments de variabilité (éclaircissage pour le calibre, multiplication des passages de récolte pour la maturité, etc.). Or, dans un contexte de prix bas, toute la difficulté pour les producteurs réside dans le maintien d’un équilibre technico-économique entre les coûts de main d’œuvre liés à ces travaux et la valorisation envisageable pour la production.

486.

D’après les entretiens menés auprès des directeurs et présidents de coopératives en 2006 et 2008, les circuits de proximité favorisent l’atomisation de l’offre et diminuent les volumes traités par les coopératives, ce qui augmente d’autant leurs charges de structure.