Application empirique : accompagner la diversité

Du point de vue des agents de développement, des politiques et autres accompagnateurs de la filière fruits de la Moyenne Vallée du Rhône, quelles implications pratiques tirer de ces résultats ? Ils ouvrent deux principales pistes de réflexion pour accompagner les changements à l’œuvre, pistes dans lesquelles les acteurs régionaux sont aujourd’hui plus ou moins engagés.

La première concerne la remise en question du modèle productif dominant de production-expédition. Cela suppose la reconnaissance, de la part des acteurs structurants du bassin, de la diversité existante des stratégies des exploitations. Au niveau des organismes d’encadrement que sont les OPA, qui ont longtemps prôné et défendu le modèle unique de production-expédition, les discours493 et les actions494 témoignent depuis peu de la reconnaissance des circuits de proximité comme voie de développement. En 2007, la mise en place au Comité Stratégique Fruits Rhône-Alpes d’une co-présidence entre un arboriculteur drômois représentant le modèle de production-expédition et un arboriculteur du Rhône représentant les circuits courts des Monts du Lyonnais symbolise cette inflexion au sein de la gouvernance de la filière régionale. Les circuits de proximité ne sont plus ni ignorés, ni dénigrés. Ils représentent désormais une voie sérieuse de développement. En ce qui concerne les coopératives, opérateurs structurant le bassin et fer de lance du modèle de production-expédition, la situation est plus mitigée. En 2008, nous avons choisi de rencontrer les directeurs de deux coopératives495 parmi les plus dynamiques afin de leur présenter ces résultats et les questionner quant à leur positionnement. Les deux ont clairement exprimé une même conception de leur fonctionnement : une stratégie uniquement dédiée à l’expédition et l’avenir fondé sur l’élargissement du bassin d’approvisionnement pour compenser l’augmentation des charges de structure. Questionnés sur l’idée d’envisager d’approvisionner les marchés de proximité ou la restauration collective, les deux nous ont également démontré l’inadéquation de leurs équipements logistiques (dimensionnés pour des grands volumes) et de la saisonnalité de la production fruitière par rapport à la demande de ces circuits496. Enfin, concernant les pratiques de certains de leurs adhérents qui vendent une partie de leurs fruits hors de la coopérative, les réponses des deux directeurs montrent leur difficulté à concevoir d’autres solutions possibles que le fonctionnement actuel. Ainsi, si le premier a nié notre constat, le second a accepté la discussion, faisant part de son désarroi devant cette situation qui lui faisait perdre des volumes. Toutefois, début 2009, le plus gros opérateur du bassin, Fruit Union SA, s’est associé avec la coopérative des Monts du Lyonnais (SICOLY) pour créer Rhône Fruit SA, une société dédiée à la commercialisation sur les circuits de détail régionaux497. Rhône-Fruits SA a ouvert un carreau sur le marché de gros de Corbas (Rhône) le premier mai 2009. C’est le premier exemple explicite et revendiqué de commercialisation sur les circuits de proximité de la part d’une coopérative de la Moyenne Vallée du Rhône. La qualité proposée n’est en revanche pas différenciée de celle des circuits d’expédition, si ce n’est par le conditionnement. Elle demeure définie par les normes commerciales, sans mise en avant d’une maturité particulière498. Des résultats de cette première initiative dépendra certainement le développement d’autres stratégies portées par les opérateurs de l’expédition.

La seconde piste de réflexion concerne l’intégration des acteurs territoriaux dans l’accompagnement de l’arboriculture : les collectivités territoriales et les consommateurs. Cela relève de l’ouverture du système d’encadrement de la filière et remet en question sa gouvernance. Actuellement, ces différents types d’acteurs, porteurs de représentations et d’attentes diverses vis-à-vis de l’arboriculture, se connaissent mal. La médiation entre ces deux mondes pourrait atténuer l’écueil des rivalités et la stérilité des incompréhensions. Il s’agirait, de la part des pouvoirs en place (notamment les OPA), de reconnaître non seulement la compétence et la légitimité des collectivités territoriales à intervenir, mais surtout l’opportunité de travailler avec ces acteurs porteurs de soutiens potentiels (financiers, politiques, fonciers, commerciaux499). La formation des responsables professionnels à l’ingénierie territoriale leur permettrait une meilleure implication dans les projets des territoires. En retour, la formation, ou du moins une meilleure connaissance du monde agricole de la part des acteurs territoriaux leur permettrait de mieux saisir ses enjeux, et ainsi de mieux l’accompagner.

Ces propositions supposent finalement d’appréhender l’arboriculture dans un modèle productif renouvelé. Au contraire du modèle de production-expédition, celui-ci associe la diversité de la production à la complémentarité des circuits de commercialisation multiscalaires ainsi que le rôle des acteurs territoriaux dans le système d’encadrement. Ainsi, accompagner un projet à l’échelle d’une exploitation passerait par l’évaluation de la meilleure stratégie de commercialisation à adopter, en questionnant quelle combinaison de circuits serait la plus adaptée à ses caractéristiques structurelles, à sa localisation, aux attentes du producteur et de sa famille. La même réflexion peut être menée à l’échelle du bassin de production, en envisageant les complémentarités entre les circuits plutôt que de les opposer entre eux. En termes d’accompagnement, il s’agirait d’envisager les échelles d’intervention pertinentes en fonction des différents circuits (et l’articulation entre plusieurs échelles dans le cas de plusieurs circuits) ainsi que les acteurs « accompagnateurs » les plus ajustés, dans une collaboration entre acteurs de la filière et du territoire. Cela suppose de penser la diversité pour pouvoir l’accompagner.

Notes
493.

La campagne électorale menée par la FDSEA de la Drôme pour les élections à la Chambre d’agriculture de janvier 2007 marque un changement net. Pour la première fois le soutien aux circuits courts et à la diversification faisait partie de son programme.

494.

Des postes dédiés à la diversification ont été créés à la Chambre d’agriculture de la Drôme. A l’échelle régionale, la Chambre régionale d’agriculture a développé ses postes et ses missions sur cette thématique, créant un climat favorable. Enfin, en mars 2010, le bureau de l’association Fruit Plus a initié un projet visant à créer des circuits courts de commercialisation collectifs pour ses producteurs adhérents. L’objectif est de mutualiser leurs moyens (livraisons, communication communes) pour aller vendre les fruits d’été à l’extérieur du bassin de production, dans les agglomérations lyonnaises, grenobloises, etc.

495.

Pour des raisons de confidentialité nous ne les nommerons pas.

496.

Notamment pour la restauration collective scolaire qui ferme pendant l’été.

497.

L’association entre les deux sociétés vise à cumuler la gamme des fruits régionaux et les équipements logistiques permettant de les conditionner en barquettes. Source : enquête personnelle avec le directeur, juin 2009.

498.

Une initiative intéressante à approfondir à l’avenir, notamment quant à la satisfaction des détaillants et des consommateurs et la capacité de ce circuit à dégager une valeur ajoutée intéressante pour la production régionale.

499.

A travers la demande d’approvisionnement local pour la restauration collective qui est en émergence forte aujourd’hui les collectivités territoriales peuvent offrir un débouché important pour la production locale.