Différentes formes de valorisation territoriale

La valorisation territoriale d’une production agricole renvoie à l’idée d’une rémunération du lien entre l’activité agricole et son territoire, mobilisé sous forme de ressource, quelles que soient les natures du lien agriculture-territoire et de la forme de rémunération. La rémunération peut provenir de l’acheteur, soit par un prix rémunérateur supérieur à celui des produits standards, soit par l’orientation préférentielle d’achat. L’acheteur peut être le consommateur final ou un intermédiaire de la filière. La valorisation peut aussi provenir des utilisateurs ou bénéficiaires des biens et/ou externalités produits par l’activité agricole, par exemple lorsque des touristes achètent un produit qu’ils associent aux paysages de leurs vacances ou lorsqu’une collectivité rémunère des pratiques respectueuses de l’environnement. La notion de « valorisation territoriale » se distingue ainsi de celle de rente de qualité territoriale (Mollard, 2001) par sa portée plus générale. Elle prend en compte toute forme de qualification différenciée d’une production, fondée sur les ressources du territoire, par rapport au produit standard, de quelque façon dont est concrétisée et justifiée cette qualification. Ainsi, il n’y a pas une seule forme de valorisation territoriale possible, elles sont multiples.

Figure 50: Cadre d'analyse du processus de construction d'une forme de valorisation territoriale
Figure 50: Cadre d'analyse du processus de construction d'une forme de valorisation territoriale

Réalisation Cécile Praly, 2009.

La manière dont les liens entre agriculture et territoire peuvent constituer des ressources pour la construction de nouvelles formes de valorisation territoriale est schématisée dans la figure suivante (Figure 50). Les interactions agriculture-territoire sont lues à travers leurs composantes physiques, sociales, économiques, politiques et symboliques502. Elles peuvent être reconnues ou mobilisées par les acteurs locaux comme des ressources territoriales, de nature organisationnelle ou différenciative. Ensuite, en fonction des différentes combinaisons possibles entre les ressources organisationnelles et différenciatives présentes et reconnues sur un espace, et des logiques d’acteurs dominant le processus de construction de la valorisation, divers types de valorisation territoriale peuvent être mis en œuvre.

La valorisation territoriale, selon les ressources présentes et mobilisées, peut se concrétiser soit en s’appuyant sur des signes distinctifs portés par le produit, soit sur une construction plus complexe, moins formelle, ne s’appuyant pas sur un marquage clair du produit. Dans le premier cas de figure, il y aura utilisation de signes formels, connus des consommateurs ou des acheteurs (SIQO, marques privées, etc.), les informant de la particularité du lien entre le produit, ou ses pratiques de production, et son territoire : son origine, son terroir particulier, la typicité du produit, des pratiques de production respectueuses de l’environnement. La deuxième forme de valorisation territoriale ne mobilise pas de marquage formel, souvent parce que les critères d’accessibilité des SIQO et autres ne sont pas adaptés à la production concernée. Cette forme de valorisation consiste généralement, soit à vendre avec le produit une valeur symbolique, ou qualité cognitive, dont l’appréhension par les acheteurs sera le résultat d’une construction complexe faite par les acteurs locaux (mise en œuvre d’une dynamique patrimoniale autour d’une production par exemple), soit à justifier une rémunération ou un soutien particulier de l’activité agricole pour les fonctions territoriales qu’elle remplit (fonctions environnementales ou sociales par exemple).

Pour l’arboriculture fruitière, on a montré la difficulté de valoriser une qualité territorialisée par un signe formel. Non seulement les exigences des AOC/IGP sont peu adaptées aux fruits frais, mais en outre leur valorisation par les circuits d’expédition n’est pas facile à construire. La qualité environnementale n’est quasiment pas valorisée au niveau territorial, alors que les pratiques arboricoles sont de plus en plus respectueuses de l’environnement et régies par des cahiers des charges exigeants. Seule quelques IAA locales rémunèrent la qualité environnementale, soit à travers le label AB, soit par l’étiquetage du bilan carbone, ce qui les incite à rechercher un approvisionnement local. La valorisation patrimoniale de l’activité arboricole se développe doucement, créant des synergies positives avec les autres produits locaux et le tourisme, ce qui est favorable au développement du territoire. Enfin, la valeur sociale n’est quasiment jamais abordée, ni valorisée, alors que l’arboriculture est une activité fortement pourvoyeuse d’emplois. Ainsi, parmi les formes de valorisation territoriales souvent décrites dans la littérature, on peut conclure que celles utilisant un signe formel sont difficiles à mettre en œuvre, alors que les valeurs patrimoniales, environnementales et sociales offrent un potentiel encore peu valorisé. La valorisation de la proximité entre production et consommation par les circuits de proximité apparaît être la forme la mieux adaptée aux spécificités des fruits frais, au contexte socio-culturel local, et au fonctionnement hérité du bassin de production. De nouvelles formes de valorisation territoriale sont ainsi identifiées, certaines étant bien établies, d’autres demeurant à développer.

Certaines formes de valorisation territoriale relèvent de démarches individuelles, comme des pratiques de valorisation patrimoniale, de ventes de proximité, qui peuvent être construites à l’échelle d’une exploitation. Ces initiatives peuvent demeurer des stratégies individuelles, ou évoluer vers plusieurs configurations collectives plus ou moins contraignantes. Cela peut passer par la mise en réseau, comme dans une route agri-touristique ou dans une association de promotion, par la participation occasionnelle à des opérations collectives, comme une fête, des marchés de producteurs, ou encore par la construction d’une réelle stratégie collective, comme la création d’un point de vente collectif. Ces évolutions dépendent des contraintes organisationnelles des acteurs (charge de travail, etc.), des conditions du marché (pression concurrentielle, besoin de valoriser davantage), du contexte local (existence ou non d’autres initiatives, d’autres acteurs intéressés).

Dans la Moyenne Vallée du Rhône, la multiplication des initiatives individuelles montre que cela entraîne des inconvénients qui peuvent menacer la valeur ajoutée ainsi créée : concurrence entre les différentes initiatives, confusion créée pour le consommateur. De plus, les travaux portant sur des formes de valorisation territoriale soulignent les avantages liés à une structuration collective de la démarche. L’exemple des AOC fromagères montre que lorsque la gouvernance est dominée par un acteur privé (fromagerie industrielle), la valorisation échappe en partie aux producteurs et l’ancrage territorial peut être remis en question (Delfosse et Letablier, 1995). Les travaux portant sur le modèle du panier de biens (Pecqueur, 2001) et sur les routes touristiques (Vandecandelaere, 2002) illustrent comment la dimension collective des projets facilite l’accès aux biens publics (routes, lieux publics), ainsi qu’au soutien des collectivités territoriales (les aides financières étant généralement versées à des organisations collectives). Ainsi, une structuration collective des formes de valorisation territoriale permet de dépasser la phase d’émergence, qui correspond à une prise de risque, à des tâtonnements, souvent portés par un ou quelques individus qui peuvent être organisés en réseau informel. La dimension collective favorise la stabilisation d’une valorisation territoriale, c’est-à-dire d’une organisation qui intègre durablement une valeur-ajoutée à la production à partir de ressources territoriales.

Notes
502.

Inspirées de la notion de territoire proposée par Guy Di Méo.