1.1.5. Synthèse

Selon van Dijk et Kintsch (1983) la représentation mentale élaborée à partir d’un texte ou d’un discours se compose de trois niveaux, le niveau de surface, le niveau sémantique et le niveau situationnel ou modèle de situation.

Le niveau de surface, ou structure de surface, représente les mots et la syntaxe des phrases d’un texte. Le niveau sémantique d’un texte est interprété comme un ensemble de propositions qui peut être considéré comme des unités d’informations discursives permettant de rendre compte du contenu sémantique d’un texte. Les propositions de la base de texte (i.e. le niveau sémantique) sont organisées de façon hiérarchique et reliées entre elle par le critère de chevauchement d’arguments. Le modèle de situation résulte de l’intégration des informations du texte aux connaissances du lecteur et se définit comme «  une représentation cognitive des événements, des actions, des individus et de la situation en général qu’évoque un texte » (van Dijk & Kintsch, 1983, p.13). La construction de ce niveau diffère de celui de la base du texte dans la mesure où le premier requiert une intégration des informations en cours de traitement à l’ensemble de la représentation mentale préalablement élaboré et stocké en mémoire à long terme (MLT). Tout au long du processus de compréhension, le lecteur est amené à utiliser les informations pertinentes du discours ainsi que les connaissances qu’il a du monde qui ne sont pas présentes en mémoire de travail (MDT). Toutefois, comme la construction de la base de texte, celle d’un modèle de situation est contrainte par les capacités limitées de la MDT et se caractérise alors comme un processus incrémentatif qui consiste à intégrer les informations en cours de traitement à la représentation préalablement construite et aux connaissances du lecteur stockées en MLT. La compréhension d’un texte dépend alors de la facilité et du succès de ce processus classiquement défini sous le terme de processus de mise à jour.

Bien qu’adoptant des points de vue différents sur le processus de compréhension, la plupart des auteurs s’accordent quant à la définition de ce dernier niveau de représentation. Généralement désigné sous les termes de « modèle mental » (Johnson-Laird, 1983) ou « modèle de situation » (van Dijk & Kintsch, 1983), ce niveau de représentation reflète l’état de choses que décrit le texte, à savoir les individus, le cadre, les actions, et les événements qui sont explicitement mentionnés dans le texte ou déduits à partir des connaissances que le lecteur possède sur le monde (Bower, 1989; Garnham & Oakhill, 1996; Glenberg, Meyer & Lindem, 1987; Johnson-Laird, 1983; Kintsch, 1988; Morrow, Greenspan & Bower, 1987; Singer, 1990; van Dijk & Kintsch, 1983). Le modèle mental ou modèle de situation consiste donc en une représentation plus riche et plus complexe que le niveau sémantique de la représentation car il est détaché des composantes sémantiques du texte et intègre les connaissances du lecteur. Le modèle reflète la situation décrite et comprend des inférences, c’est-à-dire des informations qui ne sont pas explicitement mentionnées dans le texte mais que le lecteur a déduit des informations du texte et de ses connaissances antérieures spécifiques ou générales. Bransford, Barclay et Franks (1972) ont été les premiers à mettre en évidence expérimentalement l’existence de ce type de représentation. Ils ont montré que la seule manipulation d’un élément référentiel dans un énoncé relativement simple aboutit à la construction de deux modèles différents de la situation décrite.

Lors de la lecture d’un texte, la représentation construite n’est pas un ensemble d’informations discontinues mais un ensemble cohérent au sein duquel les informations sont connectées entre elle. Plusieurs modèles ont cherché à définir les différents processus menant à la construction d’une représentation mentale cohérente.

La construction de cette cohérence est un élément essentiel pour la compréhension d’un texte. Certains auteurs (McKoon & Ratcliff, 1989; Myers & O'Brien, 1998) ont montré que la cohérence se construit à un niveau local par la construction de connexions entre les unités adjacentes du texte (entre trois phrases maximum par exemple) et à un niveau global qui correspond à l'établissement de connexions entre les unités non-adjacentes du texte (des informations qui ne sont plus en mémoire de travail par exemple). Ainsi le lecteur va mettre constamment à jour sa représentation en créant des liens entre les unités adjacentes et non-adjacentes du texte.

Il est admis que la construction de la cohérence locale et globale du texte favorise l’élaboration d’un modèle de situation. La distinction entre ces deux types de cohérence est importante car elle est à l’origine de la divergence d’opinions entre les deux théories édifiées sur la production d’inférences. Les éléments explicites du texte jouent un rôle déterminant dans la construction de la cohérence locale dans la mesure où elle dépend des connexions conceptuelles reliant le contenu des constituants adjacents (Kintsch & van Dijk, 1978). Les inférences référentielles, dont la production provoque une augmentation des temps de lecture, sont donc essentielles à l’établissement de la cohérence locale (van den Broek, Reitz & Shapiro, 1990; Myers, 1990; Singer, 1990). Quant à la cohérence globale, elle est réalisée lorsque la plupart des constituants du texte sont reliés ensemble par un ou plusieurs thèmes centraux. L’établissement de la cohérence globale implique donc l’organisation de catégories d’informations locales dans des catégories d’ordres plus élevés. Par exemple, une morale ou un thème organise les nombreux événements et épisodes d’un récit. Lorsque le lecteur doit connecter un nouveau constituant à un extrait du texte rencontré précédemment qui se trouve en mémoire à long terme mais qui n’est plus en mémoire de travail, les processus de recherche et de réintégration exécutés se traduisent par des temps de traitement supplémentaires (Kintsch & van Dijk, 1978; Singer, 1990; Suh & Trabasso, 1993; van den Broek & Lorch, 1993). Ainsi, la cohérence du texte est perturbée lorsqu’une nouvelle proposition ne peut être expliquée ni par le texte, ni par les structures de connaissances antérieures.

Nous venons de voir qu’un élément essentiel pour construire un modèle de situation est l’établissement de la cohérence. De nombreux auteurs ont développé des modèles de compréhension de texte qui rendent compte de cette conservation grâce à différents processus ou mécanismes. Nous allons maintenant présenter deux modèles en particulier.