1.2.3. Distinction processus d’inhibition et mécanisme de suppression

Différents processus cognitifs sont donc impliqués dans la compréhension de texte. Dans les premières théories (Johnson-Laird, 1983; van Dijk & Kintsch, 1983), le processus de compréhension était considéré de façon relativement simple. La représentation mentale était construite dès le début de la lecture et était progressivement enrichie et modifiée par les informations subséquentes du texte. A l’heure actuelle, des conceptions plus détaillées des opérations cognitives impliquées dans la compréhension de texte existent.

Dans le modèle théorique de construction-intégration que propose Kintsch (1988, 1992, 1998), deux principales étapes sont distinguées, la première correspondant à la construction d’un réseau où toutes les significations possibles de l’information sont activées sans tenir compte du contexte, et la seconde permettant la suppression des significations non appropriées et parallèlement le renforcement de celles qui sont pertinentes. Dans le modèle théorique de Gernsbacher (1990), il est possible de distinguer une première étape au cours de laquelle des structures mentales sont construites en mémoire et une deuxième étape au cours de laquelle les informations subséquentes du texte sont progressivement intégrées aux structures initialement créées si l’information en cours de traitement est cohérente. Dans le cas où cette information ne peut être connectée aux informations précédemment rencontrées, une nouvelle structure mentale est construite. Enfin, Gernsbacher (1990) postule l’intervention de deux mécanismes cognitifs qui régulent la compréhension, à savoir les processus de renforcement et de suppression de l’activation. Ce dernier modèle est à la fois proche, du point de vue de son fonctionnement, de celui proposé par Kintsch (1988, 1992, 1998), mais également de celui élaboré par Zwaan et Radvansky (1998) puisque ces derniers conservent l’idée d’une distinction entre une phase de construction et une phase de mise à jour de la représentation. Ainsi, selon Gernsbacher (1990), l’actualisation de la représentation implique soit le processus d’intégration, à condition que l’information en cours de traitement soit cohérente par rapport aux structures mentales déjà construites, soit le processus de changement qui aboutit à la construction de nouvelles structures ou sous-structures dans le cas où l’information n’est pas cohérente. Zwaan et Radvansky (1998) effectuent également cette distinction: durant la phase de construction, l’information en cours de traitement est stockée au niveau du modèle courant, et durant la phase de mise à jour, des liens sont établis entre l’information du modèle courant et la représentation en mémoire existante dont les éléments seront finalement stockés au niveau de la mémoire à long terme. Cette conception des étapes du processus de compréhension est très proche de celle adoptée par van Oostendorp (1996) dans ses travaux sur la compréhension de texte. En effet, il distingue également les phases de construction et de mise à jour de la représentation, mais définit la mise à jour de la représentation comme correspondant à l’apport de modifications à la représentation mentale initialement construite uniquement. Aussi, bien que tous les modèles théoriques n’effectuent pas explicitement cette distinction, il semble nécessaire de distinguer l’actualisation de la représentation relative à son enrichissement de celle renvoyant à sa transformation, ces deux processus impliquant probablement des dépenses cognitives différentes. Enfin, malgré la variété des étapes et processus cognitifs impliqués, les modèles de compréhension s’accordent tous quant à la caractéristique dynamique de la représentation mentale qui est en constante évolution au cours de la compréhension. La nécessité de tenir compte de cette caractéristique des modèles de situation s’inscrit donc au sein même des théories élaborées sur le processus de compréhension de texte.

Le modèle de Construction-Intégration de Kintsch (1988) et celui de Construction de Structures de Gernsbacher (1990) s’accordent sur l’idée selon laquelle la compréhension nécessite l’activation des informations présentes en mémoire et qui sont reliées aux informations issues du texte en cours de traitement, et cela indépendamment de la congruence des informations entre elles ou de la pertinence par rapport au contexte.

Ils s’accordent également sur l’intervention de mécanismes permettant la sélection des informations nécessaires à la compréhension correcte du texte, et aussi la désactivation des informations qui ne sont pas pertinentes pour la représentation en cours de construction.

Toutefois, les modèles de Kintsch (1988) et Gernsbacher (1990) diffèrent sur le terme et le rôle exact du mécanisme qui intervient sur les inadéquations du texte. Alors que Kintsch (1988) réfère au processus «d’inhibition », Gernsbacher (1990) propose le mécanisme de «suppression ». S’il s’agit d’un processus d’inhibition, cela revient à dire que les significations incohérentes sont mises en retrait de la représentation mais sont toujours disponibles dans la structure mentale. Si c’est un mécanisme de suppression qui intervient, une possibilité est que les sens non pertinents sont éliminés de la représentation, sans pouvoir être récupérés. On parle de diminution ou « étouffement » de l’activation : les sens non pertinents disparaissent de la représentation, ils en sont éliminés. Les deux auteurs ne précisent cependant pas dans leur théorie les conséquences de cette suppression/inhibition sur la représentation mentale quant à une possible réactivation ou non des informations. Relatif à ce point, notre hypothèse est que les deux processus ne sont pas incompatibles, et qu’ils pourraient être mis en place ensemble selon la nature des informations présentées dans un texte.