1.3.3. Les travaux de de Véga (1995)

Contrairement aux précédents travaux, de Vega (1995) fait l’hypothèse que la mise à jour doit être considérée comme un processus tardif. Dans plusieurs expériences, il a examiné la capacité des participants à suivre la position et l’environnement proche d’un personnage sous des conditions de compréhension plus naturelles (i.e., lecture continue). Il obtient dans un premier temps des données compatibles avec celles de Morrow et al., (1987, 1989) et démontre dans les expériences suivantes, la « fragilité » de ces premiers résultats. Dans une première expérience, les participants devaient lire des récits dont la dernière phrase mentionnait un objet de l’environnement qui était soit compatible soit incompatible avec la position du personnage telle que « Carmen entra/sortit du musée. Elle approcha tranquillement des momies ». A la fin de la lecture de certains des récits, les participants devaient rédiger une suite possible pour les encourager à lire chaque récit suivant un but de compréhension. Les résultats ont montré que les temps de lecture étaient plus longs lorsque l’objet mentionné est incompatible avec la position actuelle du personnage. Ainsi, ces résultats sont compatibles avec ceux de Morrow et al., (1987, 1989) et ceci, bien que les participants lisaient seulement les phrases d’un récit, sans avoir étudié la carte de l’environnement auparavant, et n’effectuaient pas de tâche de jugement spatial. En dépit des exigences naturelles de la tâche, les participants suivaient l’emplacement du personnage dans l’environnement. Ces résultats étaient également compatibles avec ceux de O’Brien et Albrecht (1992) qui ont mis en évidence que les lecteurs sont capables de mettre à jour leur modèle de situation sur la position du personnage dans une tâche de lecture phrase par phrase.

Dans une deuxième expérience, de Vega (1995) a utilisé une tâche de reconnaissance de mots pour tester l’accessibilité des objets qui étaient soit compatibles soit incompatibles avec l’emplacement du personnage. Les récits précédemment utilisés avaient été modifiés de sorte que la dernière phrase était neutre, par exemple « Elle regarda autour d’elle avec admiration », et la présentation des récits était contrôlée par l’expérimentateur. A la fin de la lecture, les participants effectuaient une tâche de reconnaissance de mots pour laquelle ils devaient dire s’ils reconnaissaient avoir vu ces mots dans le récit. Selon l’hypothèse de mise à jour immédiate, les mots désignant des objets compatibles avec la position du personnage devraient donner lieu à des temps de réponse plus courts, alors que l’hypothèse d’une mise à jour tardive ne prédit aucune facilitation entre ces deux types d’objets, la dernière phrase ne mentionnant pas l’objet compatible impliqué. Les résultats obtenus révèlent seulement une tendance des participants à répondre plus rapidement pour les mots désignant des objets compatibles avec la position du personnage. A partir de ces résultats, de Vega (1995) a mené une troisième expérience dans laquelle il a à nouveau modifié les récits de sorte qu’ils soulignent la pertinence de l’information spatiale. L’emplacement but et l’emplacement source du personnage étaient explicitement mentionnés et la tâche de reconnaissance comportait à présent non seulement des noms d’objets mais également des noms de lieux, dans l’hypothèse où le lecteur ne mettrait à jour que la position du personnage et non les objets qui l’entourent. Les résultats indiquent que, en dépit de la présence de marques textuelles renforçant la pertinence de l’information spatiale, les participants ne mettent pas à jour immédiatement ni l’emplacement du personnage, ni même les objets qui l’entourent. Ainsi, les expériences 2 et 3 suggèrent que les lecteurs ne mettent pas à jour leur modèle de situation au cours de la compréhension. De plus, de Vega (1995) souligne que les résultats des expériences 1 et 3 sont en faveur de l’hypothèse de mise à jour tardive dans la mesure où les participants sont sensibles à la position du personnage lorsque son déplacement est mentionné et quand le nom d’un objet est explicitement mentionné dans la dernière phrase, ce qui indique probablement au lecteur la nécessité de mettre à jour son modèle de situation.

Dans une quatrième expérience, de Vega (1995) a testé si la présence d’une phrase, placée à la fin du récit, qui mentionne explicitement la relation entre le personnage et un pronom ambigu qui réfère à un objet, compatible ou incompatible avec sa position, pouvait favoriser l’occurrence de la mise à jour. Dans cette expérience, la reconnaissance de mots était proposée immédiatement après la lecture de cette dernière phrase. La moitié des participants recevait la consigne d’adopter la perspective du personnage afin d’améliorer leur sensibilité à l’information spatiale alors que l’autre moitié recevait une consigne de lecture normale (voir Franklin & Tversky, 1990; O’Brien & Albrecht, 1992). Les résultats confirment l’hypothèse de mise à jour tardive: les mots désignant un objet compatible avec la position du personnage sont plus rapidement reconnus que ceux désignant un objet incompatible. Ainsi, à la fin de la lecture de la phrase mentionnant la relation entre le personnage et un objet, le lecteur a résolu le pronom ambigu, ce qui explique les performances observées à la tâche de reconnaissance. de Vega (1995) propose que le lecteur utilise son modèle de situation pour résoudre l’ambiguïté du pronom référentiel. Enfin, aucun effet de la consigne n’était observé. Dans une cinquième expérience, la reconnaissance de mots était proposée avant la dernière phrase pour certains récits et après la dernière phrase pour d’autres ce qui permettait de vérifier le cours temporel du processus de mise à jour. Des performances identiques, quelle que soit la position de l’épreuve de reconnaissance de mots confirmeraient l’hypothèse de mise à jour immédiate alors que des performances supérieures à la reconnaissance de mots lorsqu’elle est effectuée après la lecture de la dernière phrase du récit soutiendraient l’idée d’une mise à jour tardive. Les performances des participants confortaient l’hypothèse d’un cours temporel tardif, l’occurrence de la mise à jour étant probablement due aux exigences de compréhension de la dernière phrase. En résumé, alors que les lecteurs ne mettent pas à jour leur modèle lorsqu’un objet cible n’est pas mentionné de nouveau dans les dernières phrases (expériences 2 et 3), ils mettent à jour leur modèle lorsqu’ils doivent résoudre l’antécédent d’un pronom ambigu (expériences 4 et 5). A partir de ces résultats, de Vega (1995) a tiré trois principales conclusions. Premièrement, les lecteurs peuvent mettre à jour un modèle de situation complexe qui implique de nombreux objets à différents emplacements. Deuxièmement, la mise à jour ne se produit que lorsque ce processus est pertinent pour les stratégies de compréhension du lecteur. Enfin, la mise à jour est un processus tardif qui n’est jamais réalisé en avance. En fait, le processus de mise à jour serait un processus indicé, la résolution de pronoms ambigus poussant le lecteur à mettre à jour son modèle.

Les chercheurs diffèrent donc quant à leur position théorique sur l’occurrence temporelle du processus de mise à jour. Morrow et al., (1987, 1989) ont fourni des éléments en faveur de l’idée selon laquelle la mise à jour serait un processus immédiat. Cette hypothèse s’inscrit dans la lignée des prédictions de la théorie de la construction (Graesser et al., 1994) selon laquelle le lecteur génère au cours de la compréhension les inférences qui répondent à ses buts de compréhension. A l’opposé, de Vega (1995) conçoit la mise à jour comme un processus tardif et s’inscrit dans la perspective de l’hypothèse d’un traitement minimal (McKoon & Ratcliff, 1992): le lecteur ne produirait des inférences au cours de la compréhension que sur des informations très accessibles ou pour faire face à des exigences de cohérence. Ainsi, seuls les travaux de Morrow et al., (1987, 1989) et ceux qui en découlent (Gray-Wilson et al., 1993; Haenggi et al., 1994, 1995; Rinck et al., 1996) soulignent que le modèle de situation doit êre considéré comme une représentation dynamique, qui évolue à mesure que le lecteur progresse dans le texte.

D’autres travaux (de Véga & Rodrigo, 1997) ont étudié les modèles mentaux spatiaux que les individus construisent pendant le traitement de textes descriptifs. Ils ont notamment mis en évidence de manière expérimentale comment ces modèles permettent aux lecteurs d’effectuer des inférences sur des relations spatiales non explicitées dans le cas particulier de descriptions des déplacements d’un personnage dans son environnement. Ils ont aussi mesuré que les modèles mentaux préservent les perspectives spatiales des personnages, avec pour conséquence que les éléments d’information qui sont en rapport avec cette perspective se trouvent plus accessibles en mémoire de travail.