1.4.4.2. Implication de la mémoire de travail dans la cohérence textuelle

En ce qui concerne la mémoire de travail à court terme, son implication a été démontrée grâce à des recherches portant sur les déficits stratégiques et les déficits des fonctions exécutives. Bauer (1977) relève que les déficits d’empan peuvent être réduits si l’on induit une stratégie (l’autorépétition, par exemple) par entraînement ou consigne, chez des mauvais lecteurs. De Beni et Palladino (2000) mettent en évidence l’importance des erreurs d’intrusion chez des mauvais compreneurs et les interprètent comme un déficit de processus de suppression (désactivation). Dans une tâche de mémoire où les sujets doivent sélectionner des informations pertinentes par rapport à des informations non pertinentes, les informations devenues non pertinentes ne seraient pas désactivées. Le rôle de la mémoire de travail consisterait à : (a) utiliser de façon efficace les fonctions exécutives dirigées par l’administrateur central telles que l’anticipation, la planification ; (b) appliquer des stratégies (d’autorépétition, de relecture) favorisant la mémorisation du matériel ; (c) sélectionner des informations pertinentes et (d) supprimer celles qui ne sont plus appropriées au texte.

Nous pouvons résumer brièvement la mémoire de travail en compréhension de textes comme un état cognitif actif et polyvalent qui intervient à divers niveaux pour assurer la compréhension de textes. Pour illustrer le rôle de la mémoire de travail dans le maintien de la cohérence textuelle, nous présentons une étude de Seigneuric, Gyselinck et Ehrlich (2001) portant sur le traitement des pronoms. Pour conduire leurs recherches, ces auteurs se sont inspirés des travaux de Just et Carpenter (1980) et ont étudié deux groupes de seize enfants en classe de CM1, à forte ou faible capacité de mémoire de travail. L’évaluation des ressources mnésiques disponibles a été réalisée à l’aide du MT-Phrases qui est un test exigeant le traitement et le stockage d’un matériel verbal, comme l’empan de lecture, et inspirée d’une épreuve construite pour des enfants par Siegel et Ryan (1989).

À l’aide de petits textes de deux phrases, la première comportant deux personnages et la seconde commençant par un pronom masculin ou féminin, suivies d’une question portant sur l’antécédent du pronom, Seigneuric, Gyselinck et Ehrlich (2001) ont pour but d’étudier le traitement des pronoms, en faisant varier deux facteurs : la distance entre le pronom et son antécédent, de même que l’ambiguïté du pronom. Les résultats révèlent que les enfants à faible empan présentent un net ralentissement de leurs réponses correctes lorsque la distance séparant le pronom de son antécédent est élevée. Les enfants à empan élevé ont presque la même vitesse de réponse, peu importe la distance. Le comportement des enfants avec un empan faible peut être interprété en terme de déclin plus rapide et/ou de mécanisme de récupération des représentations plus lent.

Quant à l’ambiguïté du pronom, les enfants à empan élevé ont des temps de lecture réduits lorsque le genre du pronom suffit à identifier l’antécédent. Mais ces temps de lecture s’allongent quand il faut traiter la phrase contenant le pronom dans la condition ambiguë, ce qui est caractéristique du comportement du bon lecteur adulte. Cela suggère une régulation efficiente et une résolution de pronom quasi immédiate. A l’inverse, dans le groupe à faible empan, les temps de lecture sont plus courts dans la condition ambiguë que dans la condition non ambiguë. Cela peut traduire un défaut de régulation et le recours à une stratégie consistant à différer l’identification de l’antécédent lors de l’apparition de la question. Le faible empan va induire des aménagements cognitifs visant à alléger la réalisation des traitements en condition de charge élevée.

Cette étude permet d’affirmer qu’un faible empan de mémoire de travail se traduit par une efficience réduite dans la résolution des pronoms. Cette opération particulièrement importante dans l’établissement de la cohérence textuelle, effectuée avec des capacités mnésiques diminuées, semble être reliée à plusieurs facteurs : un déclin plus rapide des représentations, des mécanismes de récupération plus lents et un défaut de régulation qui s’accompagne de l’intervention d’une stratégie inappropriée. La cohérence textuelle paraît étroitement liée aux capacités de la mémoire de travail.

Ainsi en compréhension de textes, la mémoire de travail est définie comme un état cognitif actif et polyvalent qui intervient à divers niveaux pour assurer la compréhension. Dans notre recherche, nous allons préciser le rôle de la mémoire de travail, particulièrement du calepin visuo-spatial, dans la mise en arrière plan et la réactivation des informations spatiales du texte.