2.5.5. Discussion et conclusions

L’objectif de cette expérience était d’étudier l’influence du type d’information d’un texte sur la construction d’une représentation mentale et plus particulièrement sur la mise en place de l’inhibition et de la suppression, ainsi qu’à l’impact des capacités mnésiques (mémoire de travail) des lecteurs sur la qualité du modèle de situation construit.

Nos précédentes recherches nous ont amenées à penser que lorsque des informations textuelles deviennent non pertinentes pour la représentation mentale en cours de construction, les lecteurs vont supprimer cette information (Gernsbacher, 1990). Nous avons donc pensé que le processus d’inhibition défini par Kintsch (1988) se mettait en place lorsque le lecteur était confronté à une information incohérente. Ainsi, les deux processus interviendraient pour différents types d’information afin de conserver la cohérence du modèle de situation en cours de construction. Nous avons postulé qu’une information non pertinente dans la situation du texte serait supprimée de la représentation mentale alors qu’une information incohérente pour la représentation mentale du texte devrait être inhibée et qu’elle pourrait être réactivée si elle redevenait cohérente dans la situation donnée par le texte. Enfin, nous avons souhaité étudier la construction du modèle de situation spatial d’un texte en fonction des capacités mnésiques des lecteurs.

Nous avons construit différentes versions de textes en faisant intervenir différents types d’informations textuelles (pertinentes, non pertinentes et incohérentes).

Comme pour les précédents protocoles, un texte était décliné en plusieurs versions. nous nous sommes inspirés des textes de notre première expérience (cf. 2.2) et de la structure des textes de l’expérience 3. Les textes construits contenaient deux informations spatiales (information A et B), relative au déplacement d’un personnage dans un environnement. Chaque version de texte renvoyant à une hypothèse. Ainsi, la Version 1 des textes était une version contrôle ou chaque information reste active tout au long de la construction du modèle de situation. La version 2 renvoyait à l’hypothèse sur la suppression de l’information non pertinente (i.e. information B). Dans la version 3, nous pensions observer une inhibition de l’information B. Enfin la version 4 renvoyait à l’hypothèse de l’inhibition et de la réactivation de l’information incohérente (i.e. information B). Pour compléter notre protocole nous avons ajouté des épreuves de reconnaissance de mots à différents moments de la lecture des textes pour pouvoir nous rendre compte du décours temporel de l’intervention de ces processus.

L’analyse des temps de reconnaissance des mots a permis de mettre en évidence que les mots cibles de l’information intégrée dans la représentation mentale en construction (information A) étaient plus facilement reconnus que les mots cibles de l’information censée être supprimée de la représentation (information B). Il est également intéressant de constater que le mot neutre est reconnu plus ou moins facilement en fonction de la version des textes et de la position de l’épreuve de reconnaissance.

Les résultats les plus intéressants sont ceux de l’interaction entre le facteur mot et le facteur place de l’épreuve et ceux de la double interaction entre les facteurs version, mots et position de l’épreuve.

Selon notre première hypothèse, nous pensions observer une suppression de l’information non pertinente. Les résultats obtenus pour la version 2 des textes confirment cette hypothèse. En effet, les temps de reconnaissance correcte pour le mot B sont plus longs que pour les autres mots dans l’épreuve de reconnaissance R4 (i.e. à la fin du texte). De plus, les temps de reconnaissance correcte pour le mot A et le mot N sont équivalents. Ces résultats vont donc dans le sens d’une suppression de l’information B. Cependant, nous pensions observer ce pattern de résultats dès l’épreuve R3 (i.e. après 9 phrases du texte). Il semble donc que la mise en place du mécanisme de suppression soit particulièrement tardive.

Selon notre seconde hypothèse, nous pensions observer une inhibition de l’information B dans les versions 3 et 4 des textes. Les résultats montrent que les temps de reconnaissance correcte pour le mot B sont plus élevés dans les épreuves R2 et R3 que dans les autres épreuves. De plus, dans l’épreuve R3 le temps de reconnaissance correcte du mot neutre est également plus élevé que celui du mot A. Ces résultats sont en faveur d’une inhibition de l’information B qui est devenue incohérente au cours de la lecture du texte.

Bien que ce ne soit pas dans nos hypothèses, un autre résultat a retenu notre attention : dans la version 3 des textes, pour l’épreuve R4, les temps de reconnaissance correcte du mot B sont significativement plus longs que ceux des autres mots, y compris le mot neutre, ce qui n’était pas le cas pour l’épreuve R3. Ce dernier résultat nous amène à penser que l’information B a été supprimée à la fin du texte. Ainsi ces résultats indiqueraient qu’une information incohérente est, dans un premier temps, inhibée de la représentation mentale en cours de construction puis supprimée si elle n’est pas réactivée.

Nous pensions également que l’information inhibée pouvait être réactivée si elle était redonnée dans le texte sans être considérée comme une information incohérente. Les résultats pour la version 4 des textes nous permettent de conclure en faveur de cette hypothèse. En effet, l’information B qui est dans un premier temps incohérente semble être inhibée. C’est-à-dire que les temps de reconnaissance correcte du mot B sont plus élevés que le mot A dans l’épreuve R3. Par contre, dans l’épreuve R4, les temps de reconnaissance correcte du mot B sont équivalents à ceux du mot A et du mot neutre, ce qui semble indiquer que l’information B est aussi active en mémoire que l’information A à la fin du texte. Ceci laisse donc penser que l’information B a été réactivée.

Il est intéressant de discuter les résultats pour le mot B’ dans la version 4 des textes. Dans cette version, l’information B’ contredit l’information B, elle est donc supposée être active dans la représentation mentale construite par le lecteur, mais les résultats obtenus ne nous permettent pas de le vérifier. Cependant, les résultats pour l’épreuve R3 et R4 nous indiquent des temps de reconnaissance correcte significativement plus longs pour le mot B’ que pour les autres mots, suggérant que cette information a été supprimée. Nous pensons que lecteur a jugé cette information non pertinente pour la cohérence du modèle de situation construit, et l’a donc supprimée.

Pour conclure sur nos deux premières hypothèses, il semble que la nature des informations présentées dans un texte ait une influence sur le type de processus mis en place lors de l’élaboration d’un modèle de situation et plus particulièrement concernant la conservation de sa cohérence. Ainsi, les informations non pertinentes seraient supprimées tel que l’envisage Gernsbacher (1990) dans son modèle et les informations incohérentes d’un texte seraient inhibées, ainsi que le définit Kintsch (1988) dans son modèle. Enfin, les informations incohérentes pourraient être supprimées ou réactivées par le lecteur en fonction de la situation du texte.

Concernant notre troisième hypothèse sur les capacités mnésiques des lecteurs, nous n’avons obtenu aucun effet significatif. Pour établir une distinction entre des lecteurs ayant une forte capacité de mémoire de travail visuo-spatiale et ceux ayant une faible capacité de mémoire de travail visuo-spatiale nous avons utilisé le test de Corsi afin de pouvoir créer 2 groupes de lecteur (faible empan vs fort empan). Bien que nous ayons déjà utilisé ce test pour une précédente recherche (cf. chapitre 2), il semble qu’il ne soit pas suffisant pour permettre une discrimination pertinente. Ainsi, nous pensons qu’il serait intéressant d’utiliser d’autres épreuves afin d’évaluer les capacités visuo-spatiales des lecteurs et de pouvoir étudier l’influence de ces capacités sur la construction d’un modèle de situation spatial.