1.1 Du XIXième au XXième siècle : au croisement de l’art et de la psychiatrie

1.1.1 L’art comme décryptage 

Dans une perspective médico-légale, nombreux sont les auteurs qui ont étudié les peintures et les écrits comme symptômes.

En France, Charcot et ses élèves7 (1887) en sont les précurseurs.

Ils postulent que la grande névrose hystérique est une affection ancienne dont on peut retrouver les traces iconographiques depuis le Vième siècle dans des œuvres artistiques qui représentent des possédés démoniaques : Giotto, Uccello, Raphaël, Breughel, Rubens…

Il s’agit d’une sémiologie rétrospective dans une sorte de « contrôle » de l’art par la science, et certains peintres comme Rubens sont magnifiés, sémiologie qui conjugue « l’intuition du génie » à une « rare acuité d’observation.»

La preuve est ainsi donnée de l’attribution fallacieuse de possession démoniaque à ce qui était manifestation d’hystérie, et les œuvres du passé sont comparées aux dessins de Charcot (qui dans sa vie avait hésité entre la peinture et la médecine).

Ainsi, la science finit par avoir le dernier mot.

Notons qu’à cette époque, il est fréquent de faire appel à des artistes pour peindre les portraits des fous afin de repérer les signes d’une maladie.

Géricault peint dix portraits de fous entre 1819 et 1823 à la demande de son psychiatre, le Docteur Georget, afin de soigner sa dépression.

A la fin du XIXième siècle en Europe, le génie créateur est non seulement associé à la folie, mais il en est même considéré le plus souvent comme l’expression. La médecine de l’esprit, se muant en critique d’art, conduit à une pathologisation outrancière de toute expression créatrice. La production artistique d’un sujet peut, dès lors, apparaître comme un signe avant-coureur et contribuer ainsi à diagnostiquer la folie.

Seules les données biologiques sont à même de rendre compte de la réalisation d’une œuvre d’art et des modalités techniques qui y ont contribué. Forte de ses nouvelles certitudes, la pensée médicale s’applique à dresser le tableau clinique des grandes figures artistiques de l’époque.

Musset est étiqueté comme « dipsomane » atteint, comme beaucoup d’autres, de « psychose dégénérative épileptoïde » (Odinot, 1906).

Baudelaire, selon Lombroso (1903) est pris pour un « criminel né » et Chateaubriand est qualifié par Tardieu (1900) « d’épuisé précoce ».

La liste serait longue (Balzac, Saint-Simon et surtout Rousseau) de ces créateurs que la science classe nosographiquement.

La causalité directe ici établie entre morbidité et créativité est d’ordre idéologique, postulant abusivement l’existence des liens entre structuration psychopathologique et dynamique créatrice.

Si la connexion entre économie psychique et formes de la création est ainsi établie, il importera de la dégager de la gangue idéologique où elle a pris naissance.

Notes
7.

CHARCOT J-M. et RICHER P. (1887), Les démoniaques dans l’art, Paris, Delahaye et Lecrosnier, nouv. éd. Paris, Macula, 1984.