1.1.2 Folie et Gestaltung : l’apport de Hans Prinzhorn 

Hans Prinzhorn (1886-1933) est médecin psychiatre et historien de l’art allemand. Il étudie et constitue une importante collection « d’art psychopathologique ». Il s’intéresse aux personnes qui créent dans une démarche personnelle et spontanée, n’ayant reçu aucune formation artistique. Il se trouve que ces personnes sont souvent isolées, voire souffrant de psychose.

Ses travaux, cristallisés dans son livre « Expressions de la folie »8 en 1922 bouleversent le regard des artistes et de la société sur « l’art des fous » au XXième siècle.

Ils influencèrent entre autres Max Ernst et les Surréalistes, ainsi que Jean Dubuffet pour initier sa collection de l’Art brut en 1945.

Il est à noter que la collection étudiée (et regroupée) par Hans Prinzhorn est aussi malheureusement connue pour avoir été récupérée et incluse dans l’emblématique exposition d’ « artdégénéré » organisée par le régime nazi en 1937 à Munich et dans d’autres villes.

La collection d’Heidelberg réunit plus de 5000 travaux (Adolf Wölfi, Franz Pohl, August Neter…et tant d’autres). Ses recherches aboutissent à la publication de son livre, une des premières tentatives d’exploration des limites entre l’art et la psychiatrie, entre la maladie et l’expression créatrice.

Il s’intéresse particulièrement à la formation, la naissance des formes dont il donne une conception originale et dynamique dans sa théorie de la Gestaltung. Il propose une psychologie de la mise en forme et avance l’hypothèse d’une pulsion d’expression.

L’expression renvoie, selon une telle perspective, à une puissance subjective que Prinzhorn dénomme Gestaltung.

Vertu inhérente à la psyché, la Gestaltung a des capacités libératrices, créatrices et cathartiques, pour peu qu’elles soient mises en œuvre sans entraves ni contraintes.

Selon H. Prinzhorn, l’artiste ou le patient s’exprimerait dans son œuvre, au sens où il s’agirait de faire sortir une représentation ou une signification préalable à la production artistique.

Commentant cette théorie de la Gestaltung, dans les œuvres d’art comme dans les productions artistiques de personnes psychotiques, Henry Maldiney (1993) souligne que :

‘« La forme n’est pas une structure préétablie, qu’elle ne part pas de quelque chose de tout fait [...] La signification se donne avec la forme, elle ne peut pas être transmise dans un autre langage. 9»’

Comme le souligne A. Brun10, la forme naîtrait de « cette inexistence » (formlesness) qu’a décrite Winnicott  (concept qui intéressera Pankow qui le reprendra dans son approche théorico-clinique).

La signification d’une production plastique ne saurait préexister à l’œuvre qui la manifeste.

Si les idées de Prinzhorn ont été décisives pour la prise en compte et la reconnaissance de la création des patients psychotiques (et en ce sens son travail est remarquable), elles n’en demeurent pas moins limitées au niveau explicatif. L’évocation de la Gestaltung en tant que capacité pour le sujet à générer des formes ne saurait se suffire à elle-même. La description phénoménologique, pour riche et nécessaire qu’elle soit, appelle à une conceptualisation processuelle des phénomènes psychiques en jeu.

Notes
8.

PRINZHORN H., (1922), Bildnerei der Geisteskranken. Ein Beitrag zur Psychologie und Psychopathologie der Gestaltung, Springer-Verlag Berlin Heidelberg ; tr. fr., Expressions de la folie. Dessins, peintures, sculptures d’asile, Gallimard, 1984, 409 p., NRF.

9.

MALDINEY H. (1993), Art, folie, thérapie, essais de conceptualisation, in Actes du colloque de Montpellier du 18 et 19 novembre 1993, cité par BRUN A. (2010), Introduction, Le carnet psy, Les médiations thérapeutiques, février, n°142, p. 24-27.

10.

BRUN A. (2010), Introduction, Le carnet psy, Les médiations thérapeutiques, février, n° 142, p. 24-27.