1.2.2 Les travaux de Gisela Pankow

Il s’agit là d’un auteur qui nous est cher et ses travaux nous ont interpellée, tant par leur originalité que pour le champ qu’ils nous ont ouvert dans la compréhension des psychoses.

Son nom est associé à l’utilisation de la pâte à modeler comme outil technique privilégié. Mais au delà de cette particularité, on méconnaît souvent ce qui l’articule à une théorisation de la « destruction » dans le champ clinique de la psychose, fondée sur la pratique psychanalytique. G. Pankow, dont la formation fut scientifique et philosophique avant d’être médicale et psychiatrique à Tübingen (sous la houlette du Professeur E. Kretschmer), a été imprégnée d’une psychiatrie dynamique, où phénoménologie et gestaltisme s’opposaient à la nosographie descriptive kraepelinienne. Elle a suivi D. W. Winnicott dans son élaboration du champ transitionnel et du « non représentable » (formlessness).

G. Pankow, tout en refusant la thèse d’une origine purement psychogène de la psychose, a cherché une voie d’accès au monde psychotique dans une mobilisation dialectique capable de relancer un processus de symbolisation.

Sa théorisation donne à « l’image du corps » une place opératoire, et fait travailler dans la pâte un imaginaire qui est à « greffer ».

G. Pankow met en avant qu’il ne suffit pas de saisir, et de faire saisir tel ou tel symbole dans le discours du psychotique, ce qui peut le ramener momentanément dans le monde de la réalité (ce qu’a fait M-A. Sechehaye, ou ce qui caractérise la méthode active de Rosen par exemple), pour obtenir une amélioration sinon une guérison. Il faut, écrira-t-elle, l’accès à l’autre, et l’échange avec lui, pour que la vie soit possible. Et cela exige que soit rétablie une dialectique de l’espace, pour laquelle l’image du corps sert de point d’appui, image qui seule permet l’accès à une temporalité vécue. Son « image du corps » est une référence spatialisée d’une structure symbolique dont le dynamisme est à relancer. Elle définit deux fonctions symbolisantes de l’image du corps : de forme d’une part, et de contenu et de sens d’autre part.

G. Pankow travaille toujours dans la dialectique et la dynamique relationnelle, donc aussi toujours dans le dynamisme du transfert.

De même que l’« image du corps », avec ses deux fonctions symbolisantes, n’est pas une image spéculaire, le modelage n’est pas une image projective d’un fantasme à interpréter. Le travail de la pâte est pris comme réalisation agie dans l’espace tridimensionnel de la relation transférentielle implicitement inscrite dans la forme présentée (et non re-présentée) : l’accès à sa fonction éventuelle de représentation est justement ce qui peut être mis en travail pour relancer un processus de symbolisation, et retrouver les traces d’un désir subjectivable.

Il faut d’abord construire, construire un espace qui soit habitable, pour seulement ensuite parvenir à le penser.

G. Pankow définit la dissociation à l’œuvre dans la psychose comme une destruction de l’image du corps telle que ses parties perdent leur lien avec le tout pour réapparaître dans le monde extérieur.

Il existe ainsi chez le psychotique une dialectique non pas entre lui et les autres, mais une dialectique qui concerne la corrélation des parties et de la totalité du corps.

G. Pankow définit un conflit du champ spatial dans la psychose, à l’origine de la dissociation de l’image du corps.

La dissociation se manifeste dans les structures du corps vécu.

L’expérience spatiale du corps est primordiale. Pankow propose d’aborder le « non représenté » (ce qui n’a pas encore de forme dans la psyché) par une dialectique de la structure de l’espace.

L’auteur établit une différence entre le corps vécu et le corps reconnu.

D’une part le corps peut se saisir dans sa manière d’être (il s’agit du corps vécu), il peut se ressentir comme bon ou mauvais, et d’autre part ce corps se situe dans ses rapports avec autrui (il s’agit du corps reconnu).

Le passage du corps ressenti au corps reconnu représente un jalon capital du développement humain. Les deux doivent se lier dans un mouvement dialectique pour que le sujet puisse sortir de la dissociation, laquelle se manifeste dans les structures du corps vécu.

G. Pankow définit l’image du corps par deux fonctions fondamentales qui sont les fonctions symbolisantes, c'est-à-dire des fonctions qui permettent, d’abord, de reconnaître un lien dynamique entre la partie et la totalité du corps (première fonction symbolisante de l’image du corps), ensuite, de saisir au-delà de la forme le contenu même et le sens d’un tel lien dynamique (il s’agit de la deuxième fonction symbolisante de l’image du corps).

Ainsi le thérapeute peut demander au patient de fabriquer quelque chose (par exemple un dessin ou un modelage avec la pâte à modeler). Un tel acte doit avoir pour objectif d’amener la reconnaissance de l’autre chez le patient.

Pankow demande au patient de prendre de la pâte à modeler et de faire quelque chose selon son gré et pour elle. Une telle technique correspond en fait à la règle fondamentale des associations libres dans l’analyse classique, mais se situe sur un plan non verbal. Le modelage peut être interprété comme un message révélant la manière dont le patient vit dans son corps, dans sa relation à l’analyste.

Les désirs inconscients du patient se cristallisent autour d’images dynamiques qui permettent de réparer la dissociation de l’image du corps et de rétablir les relations à autrui ; Pankow les appelle des « phantasmes », à distinguer des fantasmes comme productions imaginaires passagères, ne concernant pas nécessairement le corps. Pankow, par la technique du modelageou du dessin, introduit les patients dans l’espace du jeu (playing) ou l’espace potentiel, même si l’objet modelé n’est pas un objet transitionnel à proprement parler, à la fois trouvé et créé (Winnicott). L’objet modelé et le dessin, tout comme l’objet transitionnel, doivent favoriser le processus de symbolisation.

Nous reviendrons sur ces travaux en les illustrant de nos vignettes cliniques (en particulier le cas d’Elsa). Il nous faut à présent aborder le concept de médium malléable, proposé par M. Milner puis retravaillé par d’autres auteurs (en particulier R. Roussillon) pour pouvoir ensuite entrer dans le cœur de la médiation thérapeutique.