1.3.2 L’appareil psychique groupal : de l’enveloppe psychique individuelle à l’enveloppe psychique groupale.

Les principaux auteurs qui ont travaillé la question du groupe et auxquels nous allons nous référer sont D. Anzieu (1981) et R. Kaës (1976, 1993, 1994).

Concernant le traitement des données des sens et les conditions d’apparition de la pensée, D. Anzieu (1975) met l’accent sur le contenant des pensées plutôt que le contenu, ce qui permet de mieux appréhender les pathologies auxquelles nous avons à faire. En effet, ces sujets semblent constamment bombardés de sensations que rien ne vient arrêter (perméabilité sensorielle), comme si elles étaient traversées par tout, tout le temps, faute d’une membrane contenante, délimitante et protectrice.

D. Anzieu définit un préalable à l’activité psychique, la constitution d’un Moi-peau, entité somato-psychique avec une face interne et une face externe, permettant au psychisme de se déployer sans risque, du fait de la délimitation préalable d’un espace psychique. Le Moi-peau fonde donc la possibilité même d’accéder aux représentations et à la pensée, processus de psychisation nécessitant l’existence préalable d’un cadre.

Le Moi-peau de l’enfant se construit dans la phase de symbiose mère-enfant, lorsque la mère assure une fonction de contenance (bien-être, protection) envers son bébé.

Dans sa relation avec sa mère, l’enfant fait l’expérience de différents types d’enveloppes corporelles : enveloppes tactiles, de douceur, de chaleur, enveloppes sonores, visuelles, olfactives.

Introjectées, elles constituent l’enveloppe psychique.

Ce modèle d’organisation du Moi et de la pensée donne une place prépondérante à la sensorialité tactile et D. Anzieu établit un parallèle entre les fonctions de la peau et les fonctions du Moi. Enveloppe contenante et unifiante, barrière protectrice et filtre définissent les fonctions remplies par la peau et par son corollaire psychique, le Moi-peau.

Plus tard, et en appui sur le Moi-peau, D. Anzieu (1986) a proposé le concept d’enveloppe psychique groupale et de peau groupale, qui permet l’établissement d’un état psychique transindividuel. Il convient d’articuler ce concept à celui d’appareil psychique groupal (1976) avancé par R. Kaës, appareil conçu comme une structure psychologique propre, qui demeure étayée sur les appareils psychiques individuels.

Lorsque des personnes participent à un même groupe, elles mettent en commun et produisent une réalité psychique propre au groupe et à sa vie imaginaire. L’appareillage des psychés des individus entre eux désigne comment chacun prend part au groupe avec les autres et se transforme au contact de ces autres et du groupe. Cet appareillage est dû à un effet de résonance entre le monde interne de chaque individu et ce qu’il trouve à l’extérieur de lui, sa propre « groupalité interne » s’associant avec celle des autres pour former de manière originale des processus groupaux. L’appareil psychique groupal résulte de la tension psychique née de la confrontation entre les appareils psychiques de chaque individu. Ils se caractérisent ainsi par un certain type de pensées groupales, de fantasmes communs et d’instances partiellement partagées. Ils permettent plus ou moins de contenir la singularité de chacun de ses membres.

Dans cette perspective, un des intérêts principaux du recours aux psychothérapies de groupe, dans le traitement de la psychose, consiste à articuler enveloppes psychiques individuelles et groupales. Les processus en jeu dans l’appareil psychique groupal témoignent des différents états des enveloppes psychiques, de leurs altérations et des modalités de leur formation.

Le travail thérapeutique groupal mobilisera tout d’abord un processus d’introjection de la fonction contenante du groupe, pour pouvoir instaurer ou restaurer les enveloppes psychiques.

Didier Anzieu (1987, 1990) systématisera ce concept d’enveloppe psychique, à partir de sa conceptualisation du Moi-peau, en distinguant deux couches différentes, une externe qui joue le rôle de pare-excitation et une couche interne à fonction réceptrice, qui permet l’inscription de traces. Il différencie donc l’enveloppe d’excitation de l’enveloppe d’inscription et montre que la constitution de l’enveloppe psychique passe d’abord par l’indifférenciation, puis par le dédoublement des feux feuillets de l’enveloppe, et enfin par leur emboîtement.

G. Haag met en avant que l’état de l’enveloppe psychique groupale permet ainsi de différencier les groupes à composante autistique des groupes à composante de psychose symbiotique. Pour nous qui avons peu d’éléments dans les dossiers et de la part des cliniciens susceptibles de nous renseigner sur le terrain quand à une discussion plus psychopathologique au sujet des personnes, ces travaux sont d’une grande importance.

G. Haag a montré en 1985, à partir des théorisations de F. Tustin et de D. Meltzer, que l’autisme se caractérisait par la non-constitution du premier contenant, de nature rythmique, alors que la psychose symbiotique se définissait par la perte ou la fragilité de ce premier contenant.

Anne Brun (2007) montre comment, dans le cadre de groupe à médiation avec des enfants autistes et psychotiques, le traitement du médium malléable matérialise les différents états de l’enveloppe psychique groupale, qu’il contribue à instaurer ou à restaurer dans sa fonction contenante. Puis elle propose d’aborder la réalité psychique de groupe, en avançant l’idée que le rapport de chaque enfant à la réalité matérielle du médiateur reflète pour chacun la réalité historique et psychique de son rapport primaire à l’objet, réactualisée et élaborée groupalement dans la réalité psychique de groupe. Enfin, elle spécifie différents aspects de la dynamique transférentielle, focalisée par le médiateur, à l’articulation des vécus transféro-contre-transférentiels du groupe.