Les médiations thérapeutiques sont proposées à des patients qui présentent des désordres et des troubles importants de la personnalité, à des personnes psychotiques ou qui souffrent de pathologies narcissiques, identitaires. Ces thérapies consistent d’abord et avant tout à prendre en compte le langage du corps et de l’acte, là où la parole ne suffit pas, et ainsi engendrer un travail de symbolisation qui a été mis en échec ou est resté en suspens.
Comme le souligne B. Chouvier (2002), l’acte même qui permet de transformer la matière brute en objet construit est un acte qui peut être qualifié, en lui-même, de symbolique.
Le passage d’un état à un autre dans le cadre de la matérialité du médium a aussi des effets de passage dans le cadre de l’intériorité.
Chaque matériau, chaque médium a des spécificités qui lui sont propres, en fonction tant de sa matérialité que de ce qu’il est à même de réactiver sur le plan psychique pour celui ou celle qui se risquera à le manipuler. C’est en fonction de ces spécificités et en résonance avec une ou des problématiques psychiques particulières que se construira le cadre du dispositif.
Des matériaux comme la terre ou la peinture ont la particularité de faire appel à la sensorialité, de la réactiver. Elles impliquent le corps et permettent de travailler tout particulièrement avec les registres de l’archaïque et du primaire, en deçà de la représentation et de la mise en mots.
Le collage permet de réunifier en un tout singulier sur un autre support des morceaux épars choisis et découpés dans une première image.
L’écriture, le conte ou le théâtre feront appel à d’autres registres (même si les dimensions corporelle et sensorielle y sont très présentes), la mise en récit, mise en scène, mise en mot sera recherchée.
Nous allons le voir, différents registres sont sollicités dans la pratique par la médiation thérapeutique.
B. Chouvier distingue deux sortes de médiations dans le champ thérapeutique.
Celles qui sont « déjà là » : le conte, les jouets, les images ou les photos, qui confrontent le sujet à sa capacité de réagir face à des objets concrets mis en sa présence et suscitent une dimension active de sa part et qui sont, comme il les qualifie, des embrayeurs d’imaginaire. Ils réactivent ce qui est resté en panne chez le sujet du fait d’un blocage interne.
Ensuite, il y a celles qui sont « à construire » : partant de matières premières proposées au sujet (peinture, crayons et feutres, collage, terre.) La créativité ici à l’œuvre se manifestera dans une réalisation qui aura valeur d’objet.
Ce qui est décisif est la mise en place d’un dispositif rigoureux. Ce dernier est le résultat d’une co-construction entre le ou les patients et le ou les thérapeutes. L’objet médiateur favorise la création de liens entre le patient et le clinicien, ainsi qu’entre les patients eux-mêmes.
B. Chouvier précise :
‘« A partir de ces liens, s’opère un processus de changement à valeur thérapeutique. Dans les médiations artistiques, l’objet médiateur n’opère que parce qu’il inscrit le processus de symbolisation qui le constitue au cœur d’une relation avec autrui comme objet transférentiel. »21 (p32)’Et comme il le souligne plus loin :
‘« [...] Ce qui soigne, c’est d’abord et avant tout la rencontre avec un soignant et la mise en jeu d’un champ transférentiel. L’objet a pour fonction essentielle de favoriser et de faciliter l’ouverture à l’intersubjectivité.» (p. 33)’Toujours selon l’auteur, le thérapeute va accompagner le patient dans son cheminement, l’étayer narcissiquement et le faire évoluer dans sa structuration psychique, au fur et à mesure de la confrontation concrète avec le matériau et des progrès dans la maîtrise des figures fondamentales de la relation à l’objet : fond-forme, contenant-contenu, partie-tout, inclusion-exclusion.
Afin d’appréhender la dynamique de la médiation, il convient d’interroger à la fois les conditions de la mise en place d’un dispositif singulier et le statut propre de l’objet médiateur dans le travail thérapeutique groupal.
Créer un groupe thérapeutique à médiation requiert une réflexion préalable et une analyse qui se prolongent pendant toute la durée du groupe. Le médiateur n’est ni imposé ni improvisé. Comme le souligne B. Chouvier22, si le médiateur n’est pas suffisamment investi par le ou les thérapeutes, il ne peut réellement remplir ses fonctions d’intermédiaire et de dépôt transférentiel pour l’ensemble du groupe. Il est non seulement investi à l’intérieur du groupe, mais aussi connu et pratiqué pour soi dans un cadre extérieur, choisi comme activité artistique à laquelle les thérapeutes du groupe ont accès personnellement. Comme le demande Marion Milner, l’analyste doit être amoureux du médium choisi (2000).
Se pose ensuite la question de la mise en place du cadre. La nécessité d’un ajustement entre la représentation préconçue, la représentation adaptée et la réalité de la mise en œuvre du dispositif va de pair avec la prise en compte des indications. Les pathologies concernées par le groupe à médiation dépendent du contexte institutionnel et de sa souplesse d’adaptation.
Les patients retenus pour le groupe vont avoir besoin, pendant tout un temps, de régulation préliminaire, de s’approprier et le cadre et le dispositif, ce qui exige de ces derniers une suffisamment grande plasticité.
« Rien ne peut se passer comme prévu » ou plutôt, tout demande à être négocié afin qu’advienne une dynamique psychique de nature groupale coétayée sur la psyché des thérapeutes.
B. Chouvier indique :
‘« Le médiateur n’apparaît dans ce premier temps d’adaptation que comme un objet de négociation intersubjective. »’Il ne pourra fonctionner dans sa spécificité qu’une fois opérés les réglages successifs de l’appareil psychique groupal.
Le lieu au sein duquel se déroule l’atelier doit constituer un espace spécifique qui ne soit pas réductible à un acte et qui persiste dans son identité de cadre, d’une séance à l’autre.
Pour ces patients, enfants ou adultes qui ne savent pas « jouer sans détruire » ou qui n’ont pas véritablement accès au jeu, les médiations du groupe thérapeutique viennent relancer la dynamique de la symbolisation. L’auteur propose que l’objet médiateur constitue un « facilitateur de la processualisation interne. » Plus les médiateurs sont investis et plus l’attraction affective est forte, qui sert de moteur au changement interne.
Comme A. Brun (2007) le rappelle23 :
‘« Dans cette logique, il ne s’agit pas, pour le clinicien qui use de médiations thérapeutiques, de privilégier seulement l’expression d’une fantasmatique afférente à une production, mais d’interroger l’interaction entre la verbalisation associative, le lien transférentiel et le registre sensori-perceptivo-moteur en jeu dans l’exploitation de la médiation artistique. » (p. 32)’P. Attigui (1993), qui travaille l’expression théâtrale avec des patients psychotiques indique que le jeu offre l’occasion d’avoir accès aux images dont le patient est pétri, et ainsi de pouvoir les utiliser, grâce à la mise en œuvre de la fonction symbolique.
Elle souligne que :
‘« Quelle que soit la nature du joueur, jouer implique toujours un rêve, une évasion, la pratique d’un imaginaire. C’est cela qui décide du caractère thérapeutique de l’activité ludique dans son ensemble » 24. (p. 41)’Elle précise plus loin qu’en favorisant le jeu théâtral, on assiste en quelque sorte à une « désaliénation de l’imaginaire », ce dernier retrouvant sa place. Si dans certaines psychoses, en particulier les schizophrénies l’imaginaire est proliférant, l’auteur souligne que dans d’autres cas il se trouve singulièrement rétréci et appauvri, un peu comme si la personne en était privée. Nos sujets nous donneront parfois la même impression d’inertie.
Mais est-ce bien le cas ?
P. Attigui soutient l’idée qu’en fait l’imaginaire du psychotique est restreint, en certaines occasions, du fait qu’il se trouve envahi par le réel.
Elle dit qu’en ce qui concerne le travail d’identification ludique (donc consciente) au théâtre, le sujet psychotique parvient à constituer une image, son personnage, qui sera comme par effet de miroir un point d’appel à la restructuration de ses propres identifications. Ces dernières, « cette fois-ci ni projectives ni pathologiques », pourront s’inscrire positivement au fil du temps et des exercices répétés. En effet, le sujet pourra, grâce au travail de l’acteur, opérer activement et délibérément « un dédoublement de la personnalité lui renvoyant alors inconsciemment ce qu’il en est pour lui de son propre morcellement.» (p. 53)
L’auteur précise que le patient psychotique a, tout comme l’enfant qui découvre son image dans le miroir, besoin de s’assurer de la permanence de celle-ci, donc de son sentiment d’exister en l’éprouvant ludiquement. Cette relation spécifique à la réalité se voit confirmée dans l’expression théâtrale, grâce à la présence du spectateur. Ce dernier est en effet un miroir supplémentaire assurant à l’acteur la réflexion de sa capacité identificatoire dans la réalité.
CHOUVIER B. (2010) La médiation dans le champ psychopathologique, Le carnet psy, février, n°141 Les médiations thérapeutiques, p. 32-34.
CHOUVIER B. (2007), Dynamique groupale de la médiation et objet uniclivé, in PRIVAT P., QUELIN-SOULIGOUX D., Quels groupes thérapeutiques ? Pour qui ? Erès, 208 p., p. 19-32.
BRUN A. (2007), Médiations thérapeutiques et psychose infantile, Paris, Dunod, 283 p.
ATTIGUI P. (1993), De l’illusion théâtrale à l’espace thérapeutique, Jeu, Transfert et psychose, Paris, Denoël.