1.3.5 La dynamique transféro contre-transférentielle dans les groupes à médiation

Les dispositifs de médiation thérapeutique tels que nous les désignons se réfèrent donc à la psychothérapie psychanalytique et prennent en compte la dynamique transféro contre-transférentielle, qu’ils ne se contentent pas d’aborder, mais d’analyser.

B. Chouvier (2002), nous dit que :

‘« Expression et signifiance ne sont potentialisables qu’à l’intérieur d’une adresse transférentielle qui dynamise, sensualise et actualise la mise en jeu de l’objet. Repéré, pointé, analysé ou interprété, le transfert devient, à l’extrême, le vecteur primordial et central de toute processualisation créative dans un cadre thérapeutique.26 » ’

Chaque interaction est empreinte des phénomènes transférentiels par rapport au thérapeute, au groupe, à l’institution, ainsi qu’aux sujets entre eux.

Une démarche expressive se vectorise nécessairement dans l’intersubjectivité.

L’objet se construit à partir du transfert.

L’atelier peut alors se proposer comme une aire d’expérimentation de la séparation du sujet de l’objet et surtout pour symboliser cette séparation, pour trouver ainsi la bonne distance avec « l’objet du fantasme. » Cette extension corporelle sur l’œuvre plastique associée à l’activité psychique, fait de la production plastique en thérapie un reflet sensoriel du vécu transférentiel (Bayro-Corrochano, 1999). Par sa mise en forme ou sa figuration, elle permet au fantasme inconscient de s’inscrire dans l’œuvre.

Le corps, support de la sensorialité, est lié comme nous l’avons vu, topologiquement à l’expression plastique et au fantasme inconscient.

Rien d’étonnant à ce que dans ce type d’atelier, il existe des moments de grande tension transférentielle, propre à la dialectique inconsciente des polarités comme sujet-objet, dedans-dehors, plaisir-déplaisir, monde interne-monde externe.

Mais l’œuvre plastique n’est pas l’inconscient « interprétable » comme tel. C’est par les effets qu’elle produit sur le thérapeute et par la mise à jour des processus psychiques qui accompagnent la production du sujet que l’inconscient s’actualise. La spécificité de la production plastique est de produire un « effet-affect » (Bayro-Corrochano, 2001), qui noue le lien transférentiel dans le cadre thérapeutique. Cet « effet-affect » serait ensuite la condition d’un travail de lecture, de signification, de parole à deux sur la production, sur les émotions afin d’y retrouver dans l’après-coup de la production le travail psychique du sujet.

Plus qu’une interprétation dans le sens « classique », la situation thérapeutique avec la peinture ou avec le modelage permettrait de «greffer» du symbolique dans la psychose (en référence aux travaux de G. Pankow). Ces objets produits, par les effets qu’ils ont sur le thérapeute, exigent de lui une position éthique : reconnaître que la production porte quelque chose du sujet en lienà sontravail inconscient de figuration. C’est grâce à cette reconnaissance qu’une mise au travail signifiant de l’expression plastique peut être engagée par celui qui modèle ces objets concrets aussi bien que par celui qui les reçoit.

Nous proposerons dans la partie suivante (ayant trait à la méthodologie clinique) une hypothèse concernant spécifiquement la place occupée par le médium dans la position contre-transférentielle, ainsi que l’attitude du thérapeute dans ce cadre de dispositifs à médiations, lesquels présentent des particularités qui méritent d’être questionnées.

Nous proposerons l’hypothèse d’une interprétation modelante, qui serait la reprise dans le contre-transfert du thérapeute des formes modelées.

Anne Brun (2007) fait l’hypothèse que la spécificité de l’interprétation dans ce cadre thérapeutique consiste pour le thérapeute à ne pas interpréter seulement avec des mots, mais à mettre en jeu la sensorialité du langage dans sa dimension sonore et visuelle, tout en intervenant aussi avec certaines modalités de passage par l’acte, à portée symbolisante.

P. Attigui (1993), qui travaille avec des personnes psychotiques à partir de l’expression théâtrale, souligne, quant à elle, que mettre en jeu son corps en tant que thérapeute, c’est pouvoir donner à l’autre l’occasion d’un contact offrant une « certaine qualité d’attitude ». Cela renvoie aux premières situations ayant permis au nouveau-né de se structurer dans un environnement donné, en ce temps de la créativité originelle (p. 68).

Au sujet de l’interprétation, l’auteur précise que dans ce cadre qu’est l’expression théâtrale, les thérapeutes ne verbalisent jamais au patient l’identification du jeu avec sa vie.

‘« Nous demeurons volontairement dans l’aire ludique, notamment en jouant nous-mêmes, en parvenant à formuler certains commentaires parfois métaphoriques sur l’action développée, qui est par essence fictive, la somme de ces actions ayant valeur d’interprétation »27. (p. 81)’

Le médium malléable pourrait bien se proposer aussi comme lieu d’inscription, de mise en forme et de dépôt de la relation transféro-contre-transférentielle dont il focalise les enjeux. La matière, n’appartenant pas plus au patient qu’au thérapeute, pourrait se présenter comme un « entre-deux » à animer de part et d’autre, à mettre en forme, à agencer comme espace de rencontre.

Notes
26.

CHOUVIER B. (2002), Les fonctions médiatrices de l’objet, in CHOUVIER B. et al., Les processus psychiques de la médiation, Paris, Dunod, 286 p., p. 29-43.

27.

ATTIGUI P. (1993), De l’illusion théâtrale à l’espace thérapeutique. Jeu, transfert et psychose, Paris, Denoël, 221 p., L’espace analytique.