1.3.6 Les fonctions médiatrices de l’objet : objet médiateur, objet de relation, objet de transformation

Le terme « médiation » n’étant pas un concept psychologique, il peut exister une confusion entre les terminologies de médiation, objet médiateur, objet intermédiaire, objet transitionnel (seul terme associé à une théorie spécifique), objet de relation...

Il est ici question de l’objet chose, et non de celui de la « relation d’objet.» Cet objet-chose engage la perception et la motricité dans une expérience spatiale.

La « médiation » est un terme qui supporte une large acception renvoyant à des notions connexes qui regroupent, en fait, des réalités en partie différentes, du moins ne se recoupant pas totalement, ou qui mettent l’accent sur telle ou telle dimension de la médiation, ou tel ou tel aspect de sa fonctionnalité, avec des statuts métapsychologiques plus ou moins affirmés. C’est ainsi qu’il convient de différencier des notions proches quoique distinctes comme :

L’objet de relation, expression proposée par Marcel Thaon, Christian Guérin, Guy Gimenez et l’équipe du Centre des Objets de Relation à Arles, à partir de 1985, vient souligner à la fois l’extériorité de cet objet et sa fonction relationnelle. Il s’agit pour ces auteurs de s’interroger sur :

‘« La place, la fonction et la valeur psychique des objets externes dans le travail clinique, mais aussi dans le développement psychique de l’individu.» (M. Thaon, 1990, p.5)’

Cette confrontation à l’objet externe pourrait avoir fonction de repère pour la cohésion interne du sujet. C’est essentiellement dans la relation psychothérapique que l’objet de relation est envisagé, jouant les fonctions de relais dans la communication consciente et inconsciente, et d’articulation de deux ou plusieurs subjectivités. Ch. Guérin (1988) précise :

‘« La catégorie des objets de relation nous permet de penser comment deux subjectivités s’appareillent l’une à l’autre à partir d’un objet et sur la base d’investissements différentiels.» ’

Dans une perspective intersubjective, insistant sur la fonction relationnelle de l’objet en psychothérapie, les auteurs du COR considèrent donc les objets de relation comme constituant une interface qui rend compte de l’état de la relation.

La notion d’objet de relation ne désigne pas la médiation en elle-même, mais les objets du cadre comme susceptibles, à certains moments, d’appareiller des psychés par leur investissement conjoint avec la tonalité affective d’une rencontre élationnelle (G. Haag, 1987).

G. Gimenez (1995) indique que :

‘« Pour rendre la rencontre possible, l’objet de relation a une fonction pare-excitative. Il filtre la violence fondamentale sous-jacente à toute rencontre et il permet au patient et au clinicien de se pare exciter réciproquement. 28 » (p. 61) ’

Par sa concrétude et son existence comme objet externe, il est un support qui peut recevoir les émotions qui risqueraient de déborder le clinicien (et le patient) et rendraient impossible le travail psychique.

Dans le même article, l’objet de relation est envisagé comme objet partagé :

‘« L’objet de relation est en effet un objet de partage qui peut être utilisé par les deux interlocuteurs ; en cela il s’oppose à l’objet transitionnel qui est un objet privé. De par sa concrétude et son existence propre, l’objet de relation permet de déplacer au dehors, d’externaliser, sur un objet concret, ce qui se joue entre deux personnes ou plus : à travers l’objet, le patient peut ainsi scénariser des facettes de la dynamique transférentielle, plus facilement repérable et analysable. » (p. 88)’

L’objet de relation a une fonction d’interface, il est un articulateur entre le thérapeute et le patient. Comme l’a montré Ch. Guérin, cette articulation s’effectue à un triple niveau : physique grâce à ses propriétés singulières, irréductibles au fantasme ; psychique à travers les investissements différenciés dont il est le support et la forme ; groupal en tant que dépositaire des parts communes des sujets en présence. 

Nous n’utiliserons pas cette conception dans le cadre de notre dispositif, étant donné que chaque objet est présenté par le thérapeute (et donc pré-investi par ce dernier), comme faisant partie du cadre. Néanmoins, soulignons que l’objet médiateur est porteur de certaines des qualités propres à l’objet de relation tel que nous venons de le décrire (qualité d’interface, de dépôt).

Citons aussi le concept très connu d’objet transitionnel tel que l’a théorisé D.W Winnicott (1971).

Le modèle de l’objet transitionnel est en quelque sorte le modèle princeps des objets médiateurs en psychothérapie. On ne peut affirmer, cependant, que ces derniers soient des objets transitionnels à proprement parler qui appartiennent plus directement à la relation entre la mère et l’enfant, mais ils ont place dans ce que D.W. Winnicott appelle plus généralement les phénomènes transitionnels. Il définit l’objet transitionnel comme la première possession non-Moi.

Comme prototype des phénomènes transitionnels, ils constituent à eux deux une :

‘« […] aire intermédiaire d’expérience qui se situe entre le pouce et l’ours en peluche, entre l’érotisme oral et la véritable relation d’objet, entre l’activité créatrice primaire et la projection de ce qui a déjà été introjecté, entre l’ignorance primaire de la dette et la reconnaissance de celle-ci […]» ’

L’espace intermédiaire, auquel la médiation contribue, est un espace neutre d’expérience où la distinction entre l’implicite et l’explicite de cet objet trouvé-créé n’a pas à être formulée, de sorte qu’elle revêt, comme l’objet transitionnel, un caractère de paradoxe contenu.

Cette chose, l’enfant l’a-t-il conçue ou lui a-t-elle été présentée du dehors ?

« L’important est qu’aucune prise de décision n’est attendue sur ce point.»

Citons brièvement d’autres théorisations mais auxquelles nous n’aurons pas recours, essentiellement par choix afin de ne pas nous éparpiller, mais parce qu’elles nous apparaissent reprendre de manière trop formelle des travaux déjà connus, ou mal s’appliquer à notre propos.

Ainsi en est-il de l’objet transformationnel selon Ch. Bollas (1989), notion qui désigne le résultat de la transformation de l’affect dans son état brut pulsionnel à partir d’un objet qui fait tiers. Pour cet auteur, le holding winnicottien introduit l’idée de transformation. Il en fait un paradigme du transfert, et souligne qu’avec la création par le nourrisson de l’objet transitionnel, le processus de transformation se trouve déplacé de l’environnement-mère (d’où il s’origine) aux multiples objets subjectifs, de telle sorte que cette phase transitionnelle peut être considérée comme étant l’héritière de la phase de transformation, le développement du nourrisson allant de l’expérience du processus à l’élaboration de l’expérience.

C. Vacheret (2000) quant à elle propose la notion d’objet articulaire, mettant l’accent sur la dimension intersubjective de la médiation. Il s’agit d’un concept charnière entre la théorie psychanalytique de l’individu et celle du groupe. Il rend compte du dépôt d’une part commune à l’individu et au groupe dans le contexte groupal, et donc de la mobilisation de la groupalité psychique en appui sur la groupalité externe et les identifications multiples.

Enfin, citons aussi les objets autistiques, objets confusionnels, objets psychotiques, objets fétiches.

D.W. Winnicott (1971) signale que l’objet transitionnel peut devenir objet fétiche et persister comme tel à l’âge adulte. L’objet médiateur peut lui aussi être support à des investissements pathologiques défensifs et acquérir par exemple le statut d’objets ou de formes autistiques : objet dur et froid, nous dit F.Tustin (1980), ayant pour fonction d’entretenir l’illusion d’une carapace dans une indistinction du Moi et du non-Moi ou formes autosensorielles, souvent à partir des substances du corps. Il peut acquérir le statut d’objet confusionnel ou de forme confusionnelle (notion proposée par A. Ciccone et M. Lhopital, 1991) qui a, lui, une fonction de maintien de l’illusion d’une « brume » qui brouille la conscience du non-Moi sans complètement l’oblitérer.

Il en va de même de l’objet projeté dans l’autre dans l’identification projective. L’enjeu de la reconnaissance de la signifiance de ces objets et de leur valeur de message, c’est de les extirper de leur caractère de morbidité sclérosante pour qu’ils soient réappropriés comme expérience représentative.

Quant à l’objet psychotique, les mêmes auteurs proposent, pour plus de clarté par rapport à l’appellation d’objet syncrétique de F. Palacio-Espasa en appui sur le syncrétisme de J. Bleger (1967), de le nommer objet symbiotique qui, contrairement à l’objet autistique, est pour sa part organisé par le clivage. Ils le définissent ainsi :

‘« […] un objet clivé dont chaque pôle, persécuteur et idéalisé, attire fusionnellement, symbiotiquement, une partie clivée du moi. 29 » (p.114)’

L’objet médiateur :

Parce qu’il est porteur des qualités concrètes de sa matérialité, et des qualités abstraites de la relation, l’objet médiateur se situera dans son utilisation à la rencontre de la réalité extérieure et du monde psychique interne du sujet.

Tout objet, animé ou non, est support aux projections du sujet et du groupe. Le groupe lui-même peut donc être ce support mais aussi les éléments matériels et architecturaux : les murs, les meubles, etc.

Mais l’objet ne se manifeste comme tel qu’à partir d’une activité du moi, d’un moi suffisamment constitué. Cette distinction est utile pour nous car elle nous aidera à nous représenter l’avènement de « l’objet médiateur » comme un processus et non comme une donnée de départ. La fonction des éléments du cadre, qui feront éventuellement médiation, est d’être éprouvée au niveau d’abord perceptivo-sensori-moteur de la « chose.»

Il s’avère, en réalité, que la fonctionnalité du médiateur (ou médium) est différente selon les sujets et surtout selon la façon dont ils sont aux prises avec des distorsions dans leur propre croissance psychique et leur propre processus de symbolisation.

Ainsi, Anne Brun (2007) souligne, par exemple, combien les enfants psychotiques sont dans l’incapacité d’utiliser le médium comme objet transitionnel, c’est-à-dire comme un objet trouvé/créé.

En revanche, celui-ci peut œuvrer comme support pour rejouer :

‘« […] le processus d’échec répété de l’expérience du détruit/créé […]30» (p.69) ’

Elle donne d’ailleurs de nombreux exemples de processus thérapeutiques illustrant l’évolution des registres du détruit/détruit au détruit/créé avec le rôle essentiel joué par le retournement passif/actif. Ceci corrobore, comme nous le verrons, tout à fait nos observations.

En ce qui nous concerne, nous entendrons par médiations ou, à la suite d’Edith Lecourt (1995), objets médiateurs tout ce qui, dans la situation thérapeutique, objets concrets animés ou non, se définit comme tel non parce qu’il a été institué comme facilitateur de communication ou de projection, mais par son utilisation en intermédiaire entre soi et soi (le soi d’un processus jamais identique à lui-même), entre soi et l’autre, entre soi et la réalité extérieure, entre soi et l’objet de la « relation d’objet.» De par son statut d’intermédiaire, d’une part, et d’objet investi d’autre part, considérons le comme symbole ne serait-ce que de la symbolisation elle-même en admettant une acception large de la notion et surtout en l’admettant comme un processus plutôt que comme un « état des choses.» En effet, il nous apparaît qu’en fin de compte, parler d’objet médiateur fétichise la médiation, d’une certaine manière. C’est moins l’objet et sa valeur de symbole que son utilisation qui est importante, ce qui renvoie au concept d’utilisation de l’objet de D.W Winnicott.

Ce rappel des différents statuts possibles de la médiation ne doit donc pas faire oublier ce qui compte le plus dans ce qui nous occupe ici, à savoir le processus de symbolisation qui passe par l’utilisation de l’objet, et donc du médium malléable.

Si l’objet médiateur structure le cadre thérapeutique, prend la forme de la psyché du sujet, ou de l’appareil psychique groupal (Kaës, 1976) et induit un processus de symbolisation, il ne présente en revanche aucune portée thérapeutique en lui-même, indépendamment du cadre et du dispositif (Brun, 2007).

Au sujet des indications, certaines propriétés particulières selon le médium employé orienteraient-elles un type de travail plutôt qu’un autre ?

En fonction des caractéristiques (tactiles, visuelles, sonores, etc.) qui lui sont propres, les médiums n’impliquent pas le même travail de la sensorialité.

Anne Brun (2007) met en évidence que si un repérage des différentes qualités sensorielles propres à chaque médium peut être effectué, il semble préférable de se demander quelles composantes sensori-perceptivo-motrices de l’objet médiateur l’enfant ou le patient a ou va utiliser, et à quel moment du processus thérapeutique. Il s’agit plutôt d’observer la mise en jeu de la sensori-motricité du groupe de patients dans leur rapport au médium malléable, « pour pouvoir ensuite s’interroger sur ce qui a pu être symbolisé, grâce à telle ou telle qualité symboligène propre à la matérialité de l’objet médiateur. » (p. 45)

L’auteur souligne :

‘«  Ainsi, la question de l’indication du médiateur, sur laquelle se focalisent souvent les équipes, semble impossible à traiter à priori, selon des règles générales, dans la mesure où chaque patient aura une utilisation singulière du médiateur proposé. » (p. 45)’

Si la question de l’indication du médium semble impossible à traiter de façon générale, nous souhaitons rajouter que l’indication peut néanmoins être pensée de façon singulière, à partir de ce que nous connaissons du parcours et du développement du patient, ainsi qu’en fonction non pas tant du médiateur que du dispositif au sein duquel il est proposé d’une certaine manière. En effet, par exemple avec la terre, on peut inventer plusieurs façons de la travailler, plusieurs dispositifs autres que celui que nous proposons.

Mais par exemple, dans notre cadre particulier, l’occasion récente nous a été donnée de réfléchir à la prise en charge en groupe (selon le même mode, mais avec un groupe d’adolescents présentant de graves troubles du développement), d’un adolescent très fragile, qui vient juste de dépasser, avec beaucoup d’angoisses, les différentes étapes que nous décrirons dans le dispositif (au sujet entre autres de la constitution de l’enveloppe psychique). Imaginer lui proposer la matière terre avec ses consonances régressives dans un tel dispositif nous a semblé très violent, comme si nous allions le confronter à nouveau à des angoisses insoutenables et à sa phobie du contact.

Il nous apparaîtrait plus juste de lui proposer une médiation comme le conte, dont la forme et le contenu se donnent comme un « déjà là.»

A notre sens, il importe de penser la question de l’indication qui nous semble très importante, mais pas tant à partir du médiateur, qu’à partir de la problématique spécifique et propre à chaque patient, ainsi et en résonance avec un dispositif particulier.

Notes
28.

GIMENEZ G., (1995), Objet de relation et gestion du lien contre transférentiel avec une patiente hallucinée : les couleurs d’une rencontre, in Actes des Journées du COR : Objet et contre-transferts, Arles, Hôpital Joseph-Imbert.

29.

CICCONE A. et LHOPITAL M. (1991), Naissance à la vie psychique, Paris, Dunod, nouv. éd. 2001, 317 p.

30.

BRUN A. (2007), Médiations thérapeutiques et psychose infantile, Paris, Dunod, 283 p.