2.2.2 Le statut de la parole dans le groupe

Les thérapeutes parlent du groupe, sur le groupe, et dans le groupe.

Assez souvent, un des participants (Ernesto) prononce sur un ton interrogatif comme pour les convoquer, le prénom d’autres usagers de l’institution qui ne participent pas au groupe terre.

Nous l’entendrons et le reprendrons au début comme un questionnement premier sur la nature et la différence de ce temps par rapport aux autres temps de prise en charge (où sont les autres du groupe qui ne participent pas à cette activité et que font-ils ? dans quel espace je me situe et quelle est la nature de ce dernier?)

C’est ainsi une opportunité de mettre en mots son questionnement (« pourquoi je suis ici avec vous ? Qu’est-ce que je risque ? Les autres disparaissent-ils si je suis là sans eux, est-ce que j’existe sans eux? »), de signifier à nouveau le cadre à chaque fois que cela est possible. Ces interrogations résonnent à l’égard de la constitution du groupe comme une première délimitation dedans-dehors à travers la question de la présence-absence que pose Ernesto.

L’entendant, nous verbaliserons autant que possible sur l’ici et maintenant, sur le « dedans », l’intérieur du groupe, comme pour mettre en suspens ce qui est « autre » et mieux établir une première démarcation entre un dedans et un dehors, un avant, un présent et un après.

De même, les thérapeutes formulent souvent ce qu’elles disent sans nommer directement la personne concernée, utilisant souvent le « on », comme pour essayer non pas de se diluer dans une identité commune, mais pour inviter les autres au partage tout autant que d’éviter de créer des relations trop individualisées à l’intérieur du groupe.

Au début des séances, nous ne prononçons que peu de paroles, à la fois comme si le contact avec la matière imposait le silence, mais aussi parce qu’au début, éprouver les effets de présence ne passe pas par la parole.

Ainsi nous échangeons beaucoup de regards (cela sera un indice dans le groupe de la sensorialité qui s’exprimera et prendra forme, corps, au fil des séances et de la constitution d’une première enveloppe psychique). C’est comme s’il fallait un premier temps pour « être ensemble », éprouver cet effet, peut-être régresser au rythme de la musique et au contact de la matière.

Les regards, les sourires, parfois aussi les surprises ou même les grimaces échangés entre les thérapeutes mais aussi entre les sujets entre eux ou avec les thérapeutes, tout cela qui circule constitue la matière première sur laquelle nous travaillerons (premiers indices d’une peau psychique convenable), et qui nous renseignera sur ce qui se passe, à l’intérieur du groupe et du côté du sujet, en résonance avec les états de la matière, en fonction de la manière dont elle est utilisée.

Lorsqu’il nous arrive (toujours spontanément) d’adresser nous-mêmes (thérapeutes) une forme modelée à un sujet, cela s’accompagne souvent de mots. Ainsi lors d’une séance je constituerai un petit chemin fait de petites boules de terre allant de moi jusqu’à un participant, j’accompagnerai alors les gestes des mots : « Je fais un chemin qui part de moi pour aller jusqu’à toi », ce qui m’évoque une autre histoire, celle du « petit poucet. »

Nous parlons aussi entre nous, entre thérapeutes.

Il est important de noter que les participants qui le peuvent s’adressent à nous en nous nommant par nos prénoms, c’est la preuve que nous sommes différenciées (peu y parviennent, mais c’est le cas de Maria, Paul et Ernesto même si ce dernier ne le fait pas dans le but de communiquer).

Ainsi le dispositif est-il à même de devenir thérapeutique, en ce sens où il propose la mise en œuvre et la transformation de « l’informe » dans la communication sensorielle et imaginaire agissant entre les corps et dans le langage, dans « l’envers des mots » pourrait-on dire…