2.2.3 Le dispositif en cothérapie

S’il est toujours plus enrichissant et structurant de travailler à plusieurs, un dispositif thérapeutique de groupe s’adressant à des personnes psychotiques ne peut s’élaborer en solitaire.

Nous pourrions même rajouter qu’il aurait peut-être été pertinent d'introduire un troisième intervenant, celui-ci étant observateur écrivant (il s’agirait alors d’une observation participante).

Nous n’avons pas distribué arbitrairement un rôle d’observatrice à l’une plutôt qu’à l’autre. Ainsi c’est aussi les accordages entre thérapeutes qui seront mis en jeu et étudiés au sein du dispositif comme des éléments de recherche. En effet, à chaque fois que l’une était engagée auprès d’un participant (en modelant, en parlant, en bougeant), l’autre avait spontanément tendance à suspendre son activité et observer ce qui se passait, « réservant » sa présence aux autres membres du groupe, leur assurant qu’une relation plus individualisée à l’intérieur du groupe pouvait avoir lieu et y être contenue sans exclure leur présence. Parfois, cela peut prendre (et dénote d’un tournant dans le groupe à théoriser) des allures de scène à trois (ainsi le regard de Samuel qui va de la matière que je lui présente sous formes de petites boules jusqu’à lui vers le regard de Laure pour ensuite revenir à moi, cela en présence du groupe qui permet cette interaction).

C’est-à-dire que le dispositif groupal permet un jeu identificatoire polyvalent. Même si l’attention d’un des thérapeutes se porte sur un membre du groupe, il a toujours le groupe en tête (c’est la groupalité interne dont parle R. Kaës). Cette groupalité interne est aussi perçue par les autres (quand on est avec l’un, on a aussi les autres en tête). Les patients sentent que le duo thérapeutique n’est pas en exclusion, mais en inclusion. Cela permet à chacun de s’identifier à des niveaux différents. Cela suppose que les thérapeutes restent disponibles à ces différents niveaux de fonctionnement.

Soulignons aussi que chaque moment imprévu de plaisir partagé entre les thérapeutes constitue un support d’identification notoire pour les patients.

Par ailleurs, il existe une différenciation entre les deux thérapeutes.

Si chacune, à l’intérieur de ce cadre est investie d’une fonction soignante, nos positions à l’intérieur de l’institution ne seront pas les mêmes, et en fonction de ce « degré de liberté » et de nos interventions différentes au sein de ce groupe plus large, nous ne nous inscrirons pas de la même manière au sein du dispositif.

Si Laure nous a justement fait remarquer que le lieu était très rattaché à notre présence (en notre absence personne n’y vient), il est un fait que pour les patients qui y participent notre rôle est emprunt d’une notion d’interface (dedans-dehors, extérieure à la vie quotidienne de l’institution mais aussi située à l’intérieur de celle-ci).

Nous nous accorderons sur le fait que l’identité sexuelle des thérapeutes n’empêche en rien le déploiement d’un transfert plutôt d’ordre maternel que paternel.

A. Brun (2007), cite le travail de Haag et Urwand (1995), qui soulignent que la cothérapie permet une meilleure capacité à établir une fonction contenante dans le cadre de problématiques relevant de l’archaïque, mais aussi :

‘« […] de travailler la notion du pareil, de l’identique en relation première, de double, pour passer ensuite à la notion de couple et de triangulation. » (mêmes auteurs, p. 168, cités par A. Brun, p. 77).’

A leur suite, A. Brun affirme que le dispositif en cothérapie, avec des enfants autistes et psychotiques, se propose comme un travail du « pareil, de l’identique en relation première, de double » qui constitue une étape fondamentale du travail thérapeutique avec des médiations, tant au niveau individuel que groupal. Pour aller plus loin, elle souligne que la cothérapie permet de restaurer la relation homosexuelle primaire en double telle que l’a théorisée R. Roussillon (2002), à la suite des travaux d’Enriquez sur la relation homosexuelle primaire.

Les participants pourraient donc établir avec l’une comme l’autre des thérapeutes une relation indifférenciée.

Mais ce ne sera pas vraiment le cas. En effet, n’étant présente dans l’institution qu’à temps partiel et donc de façon ponctuelle, notre présence est empreinte d’une extériorité que ne porte pas celle de Laure.

De plus, c’est nous qui « gérons » la matière et le matériel sur lesquels nous est supposé un savoir (son approvisionnement, sa conservation, son utilisation), l’agencement et l’organisation du lieu.

A. Brun souligne que dans le cadre d’un groupe thérapeutique, le passage d’un « travail de l’identique en relation première » à la notion de couple s’accompagne de l’apparition d’un double pôle dans le transfert groupal, un pôle de transfert maternel et un pôle de transfert paternel. L’auteur fait référence aux travaux de S. Resnik (1986) qui met en évidence dans le travail en groupe avec des psychotiques la nécessaire bipolarité entre le transfert maternel, défini par la fonction contenante de la mère groupale, et l’introjection de la fonction phallique.

A. Brun cite Resnik qui souligne qu’il ne suffit pas de parler de « parents combinés » en référence à Mélanie Klein qui évoque là un fantasme archaïque de scène primitive explosive agissant à la manière d’une image destructrice :

‘« […] Il faut aussi concevoir une « bonne combinaison » mixte, la bonne réintrojection d’une « mère contenante » et d’une image phallique qui est bien réinstallée dans le corps de l’enfant (l’enfant qui habite l’adulte aussi). C’est ainsi que le « père culturel » ou « surmoïque » « prend corps » et va reprendre ses fonctions en tant qu’axe structurant, colonne vertébrale du « squelette somato-psychique » de l’individu groupe ou d’un groupe fait d’individus, si on le lui permet, sa condition de guide, et surtout personnifier la « vocation » vertébrante et réorganisatrice ». (Resnik, p. 13-14, cité par Brun p. 80). ’

Si dans le groupe archaïque le couple de thérapeutes représente un couple primitif père/mère, l’avènement d’une possible différenciation dans le rôle des thérapeutes verra le jour.

Ma position de thérapeute « extérieure » ou « ambiguë » pour le groupe archaïque puisque, malgré tout, je fais partie de l’institution, m’amènera à être investie comme un « tiers ». Si tour à tour Laure et moi-même incarnons l’une et l’autre des positions maternelles, je serais plus à même de m’inscrire dans une position différenciatrice, de tiers et de référence, je serais celle qui introduit le cadre et en soutient la portée symbolique.

Le rôle d’un des thérapeutes (le mien) viendra ainsi comme porteur d’une dimension paternelle à la fois interdictrice (dans le sens de la limite), mais aussi rassurante et protectrice (quant au matériau en particulier), l’autre portant une imago plus maternelle, réceptrice et contenante, mettant à jour une bipolarité transférentielle (transfert maternel et transfert sur la fonction phallique).