Séance 3 : Elsa se « met dans la boue »

Malgré les deux semaines d’absence dues aux vacances, Elsa reconnaît bien les deux modelages précédents sur la table et dit : « Je t’ai cassé la tête, je me suis cassée, cassée en deux. »

Elle les jette sur la table et constate que la terre séchée produit un autre bruit que lorsqu’elle est molle. L’un des modelages tombe dans un des bols de barbotine, elle le récupère en y plongeant la main et découvre alors la barbotine avec ses grains de terre chamottée. Elle y tempe complètement sa main, s’exclamant : « Beurk, c’est dégueulasse ! », mais elle rit beaucoup en même temps.

Sur la planchette, il y aura ensuite une confusion mélangeant les trois états de la matière : boueuse de la barbotine, molle du morceau du jour et sèche du modelage de la séance précédente. Elsa me demande « ce que vont dire ses parents de ses mains sales », je lui réponds que dans ce cadre particulier, « on a le droit de se salir les mains, que nous irons ensuite nous les laver. » Ravie de cette autorisation formulée de transgresser cet interdit de se salir, elle va se lancer dans un jeu de tout-petit qui va la faire jubiler littéralement, mais qu’il faudra aussi contenir, car cette régression s’accompagnera d’un mouvement d’excitation tout à fait maniaque.

Elle commence par reprendre son jeu en trempant ses doigts dans la barbotine qu’elle fait gicler, disant en rigolant : « Ah ! Quelle horreur ! J’ai les mains sales, c’est horrible ! » Puis : « Ca m’amuse, ça m’amuse, t’as vu j’ai sali la table, qui c’est qui va nettoyer ? » (Elsa sait très bien que c’est moi qui vais nettoyer). Elle trempe sa main dans la barbotine, ferme son poing au-dessus du bol pour constater qu’il en coule un jus épais et marron : « Dégueulasse, c’est horrible, quelle horreur ! » me dit-elle dans un mouvement d’euphorie manifeste.

Elle utilise alors pour la première fois ses deux mains : l’une trempe dans la barbotine, l’autre frappe en rythme sur la planchette en bois le modelage de terre sèche à grands bruits. Une main dans la substance molle, l’autre sur la substance dure. Le haut de son corps (dos et buste) est droit comme jamais.

Puis son regard est attiré par les bols d’eau, elle y met la main et me dit, découvrant que l’eau dilue les traces de terre sur ses mains : « T’as vu, ça part ! »

Elle se lève pour plonger ses mains et les rincer dans une bassine d’eau propre sur la table (il n’y a pas de point d’eau dans l’atelier).

Ensuite, elle se livre à un jeu qui va de la barbotine au bol d’eau, puis à la cuvette, dont elle fait gicler l’eau en s’amusant (on dirait vraiment un tout-petit qui découvre de nouvelles sensations dans l’eau et barbotte).

Puis, elle fait le tour de la table (s’emparant ainsi aussi de l’espace), prend dans les bols de barbotine de la matière à pleines mains, qu’elle plonge dans la cuvette. Le tempo du jeu s’accélère (je ne la connaissais pas si tonique dans ses déplacements), les quantités de barbotine déplacées et saisies à pleines mains sont de plus en plus importantes, ça gicle de partout. Il faut alors réguler, car l’excitation menace de la diluer à son tour. Elle répond : « Ouais, t’as raison, je me fais plaisir, mais je voudrai pas me salir ! »

On aurait dit un instant une petite fille qui tente de construire-déconstruire des châteaux de sable...

Puis vient la fin de la séance, je lui demande de se rasseoir à la table un moment pour faire retomber l’excitation et j’ose lui demander ce qu’elle a pensé de cette séance. Elle me répond : « Y se passe rien ! », puis après un court instant elle dit : « Je me mets dans la boue. »