Séance 7 : attaque et réparation

C’est une séance importante, et que je trouve très émouvante.

Elsa est en colère (il a dû se passer quelque chose dans le groupe ou chez elle). Elle peste contre un autre adolescent avec lequel elle est dans un lien de rivalité, qu’elle accuse de tous ses maux et aussi contre ses parents...

Je décide de cesser de la solliciter avec les boules que je confectionne et de la laisser un peu plus faire seule en ma présence. Je me contente d’observer. Elsa voudrait faire une boule à son tour, mais elle ne parvient qu’à émietter la matière du bout des doigts et surtout ne regroupe pas les petits morceaux ensemble. Pire, elle les met à l’extérieur de la planchette et pour tenter de les regrouper les étale, ça ressemble à du laminage (elle les écrase les uns sur les autres et étire). Elle marmonne en même temps : «  J’veux pas rester une petite fille ! »

Elle fait gicler l’eau dans le bol, recommence à vouloir en « mettre de partout », mais cela ressemble plus à une manœuvre pour tester le cadre ainsi que ma patience qu’à un jeu. Je l’invite à s’exprimer verbalement.

Elle me dit, tête baissée, se sentir « triste et en colère. » Elle m’asperge alors d’eau et me dit : « J’ai envie de laisser tomber, tout ça c’est de la merde ! »

Je lui suggère qu’en effet : « On peut travailler la terre autrement qu’avec la « barbotine-caca », ça la fait rire.

Elle a néanmoins du mal à toucher la terre, se tortille toute raide sur sa chaise en marmonnant : « dur, dur, dur ! »

Puis, elle semble se laisser glisser, m’interpelle beaucoup pour être certaine que je ne la lâche pas du regard (je m’éloigne parfois, m’occupant du matériel sans la lâcher du regard, sentant qu’elle cherche une relation sur le mode fusion-abandon).

Elle va plus loin dans la provocation et lance, sans me regarder : « Rien à foutre ! J’ai envie d’être malade ! » Je lui réponds que j’ai compris qu’elle avait très envie qu’on s’occupe d’elle, que peut-être elle trouve que je ne le fais pas assez ?

Elsa se penche alors sur le côté gauche de son corps, bave, puis cache sa tête sous la table, marmonne, se fige. Plus rien ne se passe pendant un bon moment, c’est un semblant « d’enveloppe vide » que j’ai sous les yeux, mais je suis bien décidée à ne pas céder à ce mouvement d’attaque et à essayer plutôt d’en faire un jeu. En fait, sa tête cachée sous la table me donne envie de jouer avec elle.

Après un certain temps, Elsa a toujours la tête sous la table, poussant des borborygmes incompréhensibles. J’énonce alors à haute voix, sur un ton très affectivé et tourné délibérément du côté du jeu : « Je crois bien qu’Elsa joue à cache-cache... » Alors la tête sort de dessous la table, le corps d’Elsa se redresse, elle me regarde en riant, et dit : « J’ai toute la vie pour... », mais je ne comprends malheureusement pas la fin de la phrase qu’elle refuse de répéter.

Elle se lève alors et déambule dans l’espace de l’atelier en marchant, en balançant le haut de son corps d’avant en arrière, un peu comme si elle avait « des jambes en bois », en râlant : « Je sais pas compter, j’ai pas appris les lettres... »

Puis, elle s’adresse plus franchement à moi et je crois comprendre qu’il est question de « voiture. » Je lui demande alors si cela a quelque chose à voir avec sa peur du vide en voiture à l’époque où on voulait qu’elle apprenne à compter et lire. Elle prend un temps de pause et dit tout en déambulant : « Les accidents ! Tu tombes en bas et t’es cuit, tu reviens pas ! » Puis, elle ajoute : « Mais y a pas que moi dans la vie ! »

Elle déambule toujours dans l’espace de l’atelier, les bras et mains croisés dans le dos comme quelqu’un qui réfléchit intensément, marquant des pauses, son corps se balançant alors d’avant en arrière (souhaite-t-elle avancer ou reculer ? )

Elsa poursuit sa tirade : « Je suis un peu malade... Je suis une tête de bourrique ! », elle s’approche du mur et se tape la tête contre ce dernier, répétant la manoeuvre et me guettant du coin de l’œil pour être certaine que je vais intervenir, ce que je fais évidemment, en lui disant qu’elle peut dire sa colère et me l’adresser, mais pas s’en prendre à son propre corps et se faire du mal. Elle essuie alors ses mains pleines de terre sur le mur en me regardant. Sa provocation d’adolescente qui joue les toutes petites filles m’attendrit et me fait sourire, dans un moment de dédramatisation de l’attaque du cadre et du sentiment d’échec qu’elle éprouve et exprime.

La fin de la séance approche, je lui suggère qu’il est temps d’ôter sa blouse, et alors Elsa me dit : « J’ai mal à la tête... Maman me donnera un cachet. Mais elle est pas docteur, elle ! » J’entends alors cette assertion comme une interpellation quant à ma fonction soignante, peut-être aussi une manière de me mettre en rivalité avec sa mère, de m’assimiler à l’objet maternel. Je lui réponds que : « Je ne suis pas docteur non plus, mais si tu es d’accord, en travaillant ensemble, je peux t’aider à transformer ce qui te fait mal dans ta tête. »

Puis elle tire très fort sur les pressions de sa blouse pour la quitter, au risque de la déchirer. Comme j’interviens (dans un mouvement d’anticipation défensive), tant pour l’aider que pour éviter le déchirement de la blouse à la suite de ce que nous venons de nous dire, elle me demande avec désarroi : « Je l’ai pas cassée la blouse ? » Je lui réponds alors que : « Non, elle est solide et elle protège bien. Au pire, s’il y a déchirure, on peut toujours essayer de trouver ensemble un moyen pour la réparer. »