5.3. Matière terre et médium malléable

Matériau aux résonances régressives et sensitives, la terre est une matière qui a toutes les caractéristiques du médium malléable sur lequel le sujet peut laisser son empreinte (imprimer une trace). Le sujet qui la « manipule » peut perdre l’espace entre soi et l’objet (fusion totale), mais il peut aussi la lâcher et contempler son empreinte (image spéculaire), puis la matière-terre peut revenir à son état initial, sans empreinte (capacité d’autorestauration). Ce matériau permet donc une perte des limites, une fusion (malaxer doucement), puis un soulagement dans la défusion : on peut le serrer par amour ou par haine (malaxer fort, jeter, biffer, trouer, taper...), sans crainte de vengeance en retour et sans crainte de l’avoir endommagé (on ne peut pas vraiment le détruire, car il restera toujours de la matière).

La dynamique impliquée par le médium malléable semble mise à mal dans les troubles autistiques et psychotiques. La personne ne peut en apparence pas déposer d’images d’elle-même ni en surface, ni en profondeur (impossibilité de laisser des traces et des empreintes sur la matière, refus de la mise en relief), ce qui la fait tellement douter de la fiabilité de l’objet qu’elle préfère en dénier l’existence séparée.

Si ces personnes sont en manque d’image d’elles-mêmes par défaut de support ou de possibilité de l’inscrire en toute sécurité, la terre, grâce à sa qualité d’élasticité entre autres (fonction psychique de renvoi, de retour), semble bien le matériau adéquat pour figurer ce support. A l’étape de la récupération de la première peau (constitution d’une « peau psychique »), les notions d’impressivité et de confiance par rapport à la fonction de « mémoire » (conservation d’une empreinte) prennent tout leur sens (empreinte d’un objet ou d’une partie du corps, collage de la matière sur un support dur, dans le fond d’un contenant).

L’acte, presque « créatif » de chaque patient doit être nommé par le thérapeute, afin que l’objet devienne réel, c’est-à-dire construit, l’énoncé justifiant la réalité de l’objet autant que le regard et le toucher.

B. Chouvier (2007), insistant sur l’ancrage corporel du signifiant, propose la formulation d’acte symbolique. Quelque chose se passe qui inscrit la symbolisation dans la psyché du sujet par l’intermédiaire d’une externalisation actante.

‘« On est plus dans l’agir, mais dans une formalisation de l’acte que le sujet est totalement en mesure d’assumer, à la fois parce qu’il est contemporain d’une réelle prise de conscience, et parce qu’il mobilise une corporéité signifiante. » ’

L’acte symbolique met en mouvement la sensorialité et la motricité vers une finalité unifiée et reconnue comme telle par le sujet qui peut, de ce fait même, s’en approprier le sens. Le corps est mis au service de la subjectivité dans une adresse à l’objet, sans toutefois que la réalisation de l’acte lui-même se réduise à la pure effectuation d’une intentionnalité. B. Chouvier souligne :

‘« Il y a quelque chose de plus dans l’acte symbolique qui va au-delà d’une simple dimension fonctionnelle et qui lui confère une portée sublimatoire. » ’

Cet acte s’inscrit dans un dépassement de soi qui confère au sujet une ouverture vers un mode de satisfaction intégré au niveau du moi.

Il y a différents niveaux d’inscription de l’acte au sein du processus de symbolisation.

Idéalement au sein du dispositif le sujet est invité à passer de l’agir à l’acte symbolique, puis de  l’acte symbolique à l’activité ludique intégratrice du sens dans le déploiement des données fantasmatiques.

Au départ, l’acte se confond avec une décharge pulsionnelle brute. Le corps évacue le trop-plein d’excitation.

Avec l’acte symbolique, la corporéité se met au service de la subjectivation en permettant des manifestations concrètes et patentes de la réalité psychique.