6.3 L’art de la sculpture à partir de l’œuvre de Camille Claudel

6.3.1 Introduction

Camille Claudel (1864-1943) est incontestablement l’un des plus grands artistes de la fin du XIXième siècle. Aborder la création en nous imprégnant de cette artiste et de ses œuvres en regard d’éléments biographiques, nous permet de traiter la question des processus de symbolisation sous un angle différent de celui dont nous avions fait le choix avec les patients présentés dans le dispositif (bien qu’il n’y fût pas question de création mais plutôt de reconstruction, à partir de ce qui se déroulait dans le moment présent de « l’être ensemble »), et donc à partir d’éléments historiques.

Cette brève étude (il ne s’agit pas d’une nouvelle biographie, ni d’écrire « une thèse dans la thèse ») nous éclairera aussi sur les rapports entre les processus de création et la réactualisation, l’inscription d’éprouvés archaïques ayant trait au corps et à la relation à l’objet primaire dans le travail de la matière.

Elle nous permettra également de revenir sur les processus psychiques impliqués dans l’art de la sculpture en particulier, dont certains ne sont pas sans rappeler les actes symboliques décrits dans notre recherche.

Cliniquement, nous nous interrogerons, toujours à partir des éléments biographiques, afin d’élaborer des hypothèses quant à l’éclosion de la psychose chez Camille Claudel, mais aussi sur la nature de cette dernière. En effet, Camille Claudel était atteinte de paranoïa, avec les mécanismes de défense qui lui sont propres (le délire dit « en secteur » en particulier).

Qu’est ce qui a fait qu’à un moment de son histoire, les mains de Camille n’ont plus pu faire jaillir cette force incarnée, acharnée, du désir mû dans la matière ?

Un sentiment de grande proximité avec l’artiste se dégage de la contemplation de ses œuvres, comme si elle avait eu le pouvoir de mettre en forme et dire quelque chose que nous portons tous tapi au fond de nous, ce «nous » étant entendu comme quelque chose d’intime qui en vient à rejoindre un éprouvé universel.

En observant plus avant ses sculptures, il nous a semblé qu’il est possible d’y relever un mouvement qui semble se répéter et qui concerne le déséquilibre du personnage féminin (en particulier dans la Valse, l’Age mûr et la Fortune, et peut-être aussi déjà dans le Sakountala).

Aussi, il nous est apparu que certaines sculptures réalisées à des moments particuliers de son parcours personnel racontaient quelque chose de son lien à l’objet primaire, de son histoire (outre le lien à l’objet primaire, sa relation très forte avec le sculpteur Auguste Rodin), mais aussi de ses blessures et de sa décompensation. Son œuvre est une représentation des grands moments de sa vie.

La sculpture de Camille Claudel raconte quelque chose de vivant, nous parle d’émotion, de sentiments et de drames humains. Cette œuvre traduit la recherche d’une vérité intérieure. Camille Claudel est en cela l’élève accomplie de Rodin, dont l’enseignement primordial était de suivre la vérité de la nature

Pour Camille, cette vérité n’est pas restée extérieure à elle-même : elle ne s’inspire pas de la vie sociale, mais chaque sculpture rayonne des émotions d’une chair vivante, où le sentiment illumine la matière et raconte une histoire puisée aux sources de l’expérience vécue par l’artiste. C’est un art de l’âme où vie et expression s’interpénètrent.

Ces impressions premières nécessitent, pour être décollées de la fulgurance sensorielle, émotionnelle et affective qu’elles nous ont procuré, d’inviter le lecteur à la rencontre de Camille Claudel à travers son histoire.