6.3.3 La relation avec Rodin

Camille a dix-huit ans lorsqu’elle rencontre Rodin âgé de quarante deux ans.

La force physique nécessaire à la pratique de la sculpture fait qu’au XIXième siècle, celle-ci semble n’être qu’un métier d’homme. Dans ce contexte, la grande beauté, la jeunesse et l’apparente fragilité de Camille rendent encore moins crédible son talent.

Les liens complexes de maître à élève, la rivalité artistique et la jalousie inféreront dans le couple Camille Claudel-Auguste Rodin.

En effet, s’ils se fréquentent pendant quinze années durant, il est étonnant de constater que la passion heureuse ne durera réellement que quelques années et qu’elle sera violente et féconde pour les deux artistes. Une gémellité spirituelle les fait se retrouver dans une même passion pour la sculpture. La fusion dans l’art et la passion amoureuse leur inspire des œuvres dont certaines se ressemblent.

A l’amour absolu et intransigeant de la jeune Camille, Rodin oppose une vie amoureuse multiple entre une maîtresse, Rose Beuret, compagne des jours difficiles dont il a un enfant (qu’il n’a jamais reconnu), et des liaisons avec des modèles et des femmes du monde.

Malgré les souhaits de Camille et les promesses de Rodin, il ne quittera jamais Rose Beuret, ce qui provoquera sûrement la rupture, en 1898, en particulier suite à un avortement présumé.

Après avoir travaillé pendant deux ans sous la direction de Rodin, Camille modelait brillamment le corps humain, surtout les mains et les pieds. En 1885, Rodin reçut une commande pour ce qui deviendra Les Bourgeois de Calais et constata qu’il avait besoin d’assistants en qui il pouvait avoir entière confiance. Il invita donc Camille, âgée de vingt ans, à se joindre à son atelier de la rue de l’Université. Sans aucune hésitation et sans égard pour la « décence » de l’époque, la jeune artiste s’intègre à l’atelier qui n’avait jusqu’à présent vu que des sculpteurs masculins.

Camille ne tardera pas à devenir l’assistante la plus estimée de Rodin (il lui confie la réalisation des mains et des pieds de ses personnages).

Elle deviendra sa « féroce amie », celle à qui il écrira des lettres dont le ton est tour à tour inquiet et passionné :

‘[...] ta main Camille pas celle qui se retire, pas de bonheur à la toucher si pour l’avenir elle ne m’est le gage d’un peu de ta tendresse.
oh divine beauté, fleur qui parle, et qui aime fleur intelligente ma chérie. ma très bonne à deux genoux devant ton beau corps que j’étreins. » ’

« A deux genoux devant ton beau corps que j’étreins », évoque L’Eternelle Idole, une des figures de La Porte de l’enfer que Rodin reproduira plus tard en marbre.

Camille avait inspiré cette femme mélancolique, adorée de son amant vaincu, et perdue dans ses pensées. Elle était celle qui embellissait la vie de Rodin et la « divinité malfaisante » qui le tourmentait par ses réactions imprévisibles.

En 1883, Auguste Rodin a quarante trois ans, Rose Beuret trente neuf ans et Camille Claudel à peine dix neuf ans. Rodin, prototype de l’imago paternelle, est aussi né la même année que la mère de Camille Claudel.

La relation tumultueuse de Camille Claudel et Auguste Rodin est fascinante, mais elle n’est pas le centre de notre propos. Pour plus d’éléments à ce sujet, nous renvoyons le lecteur aux biographies respectives des artistes.

Sans relater le déroulement de la relation dans son intégralité, il nous faut cependant retenir deux événements importants, en particulier celui de l’avortement présumé et celui de la rupture amoureuse qui suivra.

Camille fera le silence sur cette liaison. A-t-elle eu des enfants avec Rodin ? Il semble indéniable que Camille ait subi au moins un avortement, provoquant la rupture de sa liaison, et peut-être (en lien avec d’autres événements dont la rupture aussi avec la mère) le déclenchement de la décompensation de Camille.

Le secret fut collectivement bien gardé. Mais les sculptures parlent : la jeune femme agenouillée aux bras tendus, appelée le Dieu envolé (1894), et celle qui lui est apparentée, l’Implorante (1899), ont chacune le même ventre arrondi de femme qui connut peut-être la maternité. Ce personnage de l’implorante deviendra « la jeunesse » dans le groupe à trois de l’Age mûr.

La liaison de Camille Claudel avec Rodin fut longtemps dissimulée aux parents de Camille, mais dès qu’elle fut révélée, Madame Claudel s’autorisa à faire éclater sa haine. La protection du père se révélera impuissante. Cet événement est peut-être l’un de ceux qui précipitèrent Camille dans la décompensation.

Camille fait alors le choix difficile de quitter Rodin pour s’affranchir sur le plan artistique (leurs œuvres sont tellement proches qu’on accuse Camille de « faire du Rodin »). Elle va vivre seule et se consacrera entièrement à son travail.

Contrairement à la légende romancée et à ce que peuvent mentionner certains écrits au sujet de Camille Claudel (dont certains très « féministes » accusant Rodin de tous les maux de Camille), elle traversera une période d’épanouissement artistique de plusieurs années avant que soudainement, cette force qui lui avait permis de se libérer se retourne contre elle, et se cristallise en pensées obsessionnelles sur celui qui deviendra la cause majeure de ses difficultés.