Introduction générale

De prime abord, la compréhension de la parole nous semble un phénomène simple et fluide. En effet, nous sommes capables dans la vie de tous les jours, de décrypter des messages parlés, ceci sans aucune difficulté, bien que la parole soit rarement utilisée en conditions « idéales », sous-entendu, en l’absence totale de bruit. Au contraire, nous sommes quotidiennement amenés à comprendre la parole malgré la présence de bruits extérieurs et de parasites sonores qui altèrent la qualité du signal émis. Même si le signal acoustique de la parole est dégradé, le signal reste intelligible pour l’auditeur. Nous avons donc la capacité de normaliser les multiples formes que peuvent prendre un même message, cette normalisation dépendant toutefois du degré de détérioration du signal et de la nature des indices acoustiques altérés. L’ensemble des détails du processus de compréhension de la parole ne sont toutefois pas encore parfaitement décryptés et cela malgré un grand nombre d’études menées depuis les cinquante dernières années.

Les travaux présentés dans cette thèse s’intéressent à la compréhension et notamment au traitement sous cortical de la parole dans des conditions d’écoute dégradée, cela au moyen d’un outil objectif et non invasif : les potentiels évoqués auditifs en réponse à un son de parole (PEASP).

Le principe des PEASP se base sur l’enregistrement de signaux physiologiques au moyen d’une technique s’apparentant à un électroencéphalogramme, sur un dispositif électrophysiologique de type Centor de Racia Alvar®. Cet appareil est couramment utilisé dans les services cliniques d’exploration fonctionnelle otorhinolaryngologique afin d’effectuer quotidiennement les enregistrements des potentiels évoqués auditifs de latence précoce (PEAP) en réponse à des clics. Les potentiels évoqués auditifs en réponse à un son de parole (PEASP), comme leur nom l’indique, se basent sur le même principe que le recueil des PEAP « standards », toutefois le stimulus va être remplacé par un son de parole, le plus souvent une syllabe. Cette technique est utilisée par l’équipe américaine de Nina Kraus, avec l’utilisation de la syllabe /da/ (Russo et al, 2004 ; Johnson et al, 2005). L’étude au moyen des PEASP, de la latence des pics enregistrés en réponse à cette syllabe donne des indications sur l’état du système auditif du sujet, notamment chez des enfants présentant des troubles de l’apprentissage, chez lesquels le déficit peut être mis en évidence, ainsi que l’efficacité des techniques de rééducation (Wible et al, 2004 ; Banai et al, 2007). Ainsi, nous souhaitons recréer ce système de recueil de PEASP et l’adapter aux syllabes françaises, avant de pouvoir procéder à l’étude de l’encodage sous cortical des sons de parole en condition adverse, dans un premier temps chez le malentendant.

Comme nous le verrons, ce travail thèse s’articule autour de plusieurs questions :

  1. Quels sont les indices acoustiques encodés au niveau sous cortical?
  2. Quel est l’encodage d’un son de parole dans différentes conditions de bruit de types : cocktail party, bruit blanc et speech noise?
  3. Est-il possible d’obtenir des résultats exploitables de manière individuelle par l’élimination de tout parasitage et la mise au point d’une technique d’analyse automatisable?
  4. Quel est l’effet du déphasage sur l’encodage d’un son de parole au niveau du tronc cérébral ?
  5. Comment le voisement est il encodé au niveau sous cortical ?
  6. Quel est l’effet de l’intensité de stimulation sur les caractéristiques des PEASP ?

Pour introduire et situer le cadre de ces travaux de recherche, nous allons tout d’abord, dans un chapitre théorique, exposer le contenu des différents champs d’étude nécessaire à notre problématique. Comme tout processus cognitif, la compréhension du langage fait intervenir des processus ascendants (informations sensorielles remontant de la périphérie vers le système cognitif) et des processus descendants (informations intégrées influençant les niveaux de traitement plus précoces).

Concernant les processus ascendants, nous rappellerons l’anatomie du système auditif humain, nous verrons les principales voies auditives ascendantes, mais également le Système Efférent Olivo-Cochléaire Médian, rétrocontrôle du cortex auditif primaire jusqu’à la cochlée. Puis nous nous attacherons à la description d’un son de parole, selon différents niveaux (non exclusifs) : acoustique, phonétique, phonologique, morphologique, syntaxique, sémantique et pragmatique. Nous reviendrons ensuite sur certaines propriétés du système auditif, que son la latéralité corticale ainsi que sa capacité à encoder les caractéristiques temporelles et spectrales des sons.

Cette partie sera suivie par la description des techniques d’analyses dont nous disposons pour l’étude objective du traitement sous cortical. Ces techniques sont ici représentées par les potentiels évoqués auditifs (PEA) de latence précoce, moyenne et tardive. Le chapitre suivant s’attachera à la description des différentes caractéristiques et intérêts des PEASP, outil principal de cette recherche.

Nous passerons ensuite à la partie expérimentale, ou seront reprises point par point les différentes questions posées ci-dessus.

Enfin, nous discuterons les principaux résultats obtenus au cours de ce travail, avant de conclure sur les possibles applications des PEASP.