1.3. Du cortex à la cochlée: les voies auditives efférentes 

Le système auditif efférent est constitué de boucles multiples de rétrocontrôle, organisées entre les structures corticales et chacun des centres de traitement sous-corticaux. Ce système de boucles permet une modulation constante des messages afférents auditifs à tous les niveaux : au niveau périphérique, où le système efférent olivo-cochléaire peut directement moduler l’amplificateur cochléaire que sont les cellules ciliées externes, et au niveau le plus central, où des stimulations des neurones du cortex auditif permettent d’altérer les réponses des neurones sous-corticaux du corps genouillé médian, grâce à une boucle cortico-thalamique (Suga, 2008).

Au niveau périphérique, les fibres efférentes cheminent avec le nerf vestibulaire et se décomposent en système efférent latéral et système efférent médian (SEOCM). Le système efférent latéral, provenant du noyau olivaire supérieur latéral et se connectant aux CCI de la cochlée par des fibres non-myélinisées, à conduction lente, ne joue qu’un rôle mineur et mal élucidé. En revanche, les fibres efférentes nombreuses et myélinisées qui constituent la boucle olivo-cochléaire médiane (initialement décrite chez le chat par Rasmussen, 1946), se projettent directement sur les CCEs cochléaires par l’intermédiaire de synapses cholinergiques, et sont capables de moduler l’activité de ces cellules. Cette boucle de rétroaction périphérique est facilement explorable chez l’humain, grâce au recueil des otoémissions acoustiques provoquées, qui sont des sons émis par la cochlée, en réponse à une stimulation sonore, et qui reflètent l’activité des cellules ciliées externes. L’application, dans l’oreille controlatérale, d’un bruit blanc d’intensité modérée, permet d’activer les neurones efférents au niveau du tronc cérébral (complexe olivaire supérieur), neurones qui vont exercer une action inhibitrice au niveau des cellules ciliées externes, et par là même, diminuer l’amplitude des otoémissions acoustiques. L’efficacité du système efférent médian peut alors être explorée de manière non-invasive, chez l’humain, par la diminution d’amplitude des otoémissions acoustiques provoquées lors de l’application d’une stimulation acoustique controlatérale.

Par ailleurs, il a été montré, chez l’humain, la possibilité d’avoir une modulation directe des centres auditifs, sur la périphérie auditive par les fibres efférentes, chez des patients soufrant d’accidents vasculaires cérébraux intéressant les centres auditifs (Khalfa, et al., 2001) et par stimulation électrique corticale chez des patients épileptiques (Perrot et al., 2006).

D’autres études s’intéressant au déficit de traitement auditif temporel par l’exploration du fonctionnement des voies auditives descendantes du système efférent olivocochléaire médian, mirent en évidence une influence de celui-ci sur la perception de la parole. Ainsi, un dysfonctionnement de cette voie descendante chez les dyslexiques pourrait expliquer leur trouble de perception de la parole (Veuillet et al, 1999).

Deux rôles majeurs sont classiquement attribués au système efférent olivo-cochléaire médian : un rôle de démasquage, et un rôle de protection contre les agressions sonores (Rajan, 2000). Plus récemment, il a été proposé que le rôle de protection contre les agressions sonores ne serait en fait qu’une conséquence du rôle plus général de démasquage (Christopher & Smith, 2003).

En effet, la fonction du SEOCM serait d’augmenter la discriminabilité d’un son bref dans du bruit. Des études, chez le chat, ont permis de mettre en évidence qu’une section du faisceau olivocochléaire réduisait les performances dans une tâche de discrimination de formant ou d’intensité pour des sons de haute fréquences dans du bruit (Hienz et al, 1998 ; May & Mc Quone, 1995). Un effet rapide du SEOCM (de l’ordre de 100 ms) a été observé dans un environnement bruyant. L’activation du SEOCM peut améliorer les réponses du nerf auditif à un son bref (Dolan & Nuttall, 1988). Si nous considérons que le taux de décharge du nerf auditif est élevé à basse intensité pour une réponse au bruit et que le taux de décharge du nerf auditif est diminué à forte intensité à cause de l’adaptation au bruit, par conséquent, un bruit continu va masquer partiellement la réponse du nerf auditif. La stimulation du SEOCM va inhiber la réponse au bruit, réduire l’adaptation ce qui va restaurer les réponses des fibres : le SEOCM a donc un rôle de démasquage (Kawase et al, 1993 ; Kawase & Liberman, 1993).

De ce rôle de démasquage découle un effet dans la perception de la parole dans le bruit. En effet, plusieurs études ont mis en évidence une corrélation entre l’efficacité du système efférent olivo-cochléaire médian, et les capacités de perception de sons dans un bruit environnant. Ainsi, chez l’Homme, le fonctionnement faible du SEOCM est corrélé à une détection défaillante des sons dans le bruit (Micheyl & Collet, 1996 ; Micheyl et al, 1997 ; Micheyl, Perrot, & Collet, 1997) et une perte d’intelligibilité de la parole dans le bruit chez l’adulte (Giraud et al, 1997) et chez l’enfant (Kumar & Vanaja, 2004). Le démasquage controlatéral, c'est-à-dire l’augmentation de l’intelligibilité de la parole dans le bruit par l’application d’un bruit blanc controlatéral d’intensité modérée, est supprimé chez des patients dont le nerf vestibulaire est sectionné, et qui n’ont plus d’effet du système efférent olivo-cochléaire (Giraud et al., 1997). Plus récemment, De Boer et Thornton (2008) ont montré d’une part, que les performances de perception de syllabes dans le bruit étaient corrélées à l’efficacité du rétrocontrôle efférent médian, et d’autre part, que l’amélioration des performances d’intelligibilité dans le bruit, par un entraînement, était corrélée à une amélioration de l’efficacité du rétrocontrôle efférent.

Plusieurs études ont montré un effet de l’attention sur l’activation du SEOCM : la détection d’un son pur d’une fréquence donnée dans du bruit est facilitée par l’audition préalable d’un son de fréquence similaire, permettant d’orienter l’attention du sujet sur cette fréquence. Cet effet facilitateur n’existe plus chez des patients dont le faisceau olivo-cochléaire médian a été sectionné lors d’une neurotomie vestibulaire (Sharf et al, 1997).

Le rétrocontrôle efférent a donc un rôle majeur dans la perception de la parole dans le bruit, à la fois par son rôle bien établi de démasquage, et probablement par un rôle de régulation de l’attention auditive.

Figure 3 : Schéma des connexions centrales du nerf cochléaire.
Figure 3 : Schéma des connexions centrales du nerf cochléaire.

D’après: Diagnostic neurologique: les bases anatomiques. Peter DUUS, 6ième édition. De Boeck Université. Thieme. p162.