3.3. Où est générée la réponse ? 

Une fois le caractère non-artéfactuel de la réponse établi, encore faut-il définir les générateurs des PEASP. Les neurones du système auditif ont des caractéristiques fonctionnelles spécifiques, telles que des taux de décharges spontanées, des fréquences de réponse, ainsi que des types de décharge (transitoires, périodiques synchronisées, périodiques mais à une périodicité intrinsèque). De plus, chaque filtre auditif répond avec un décalage temporel (en raison du délai de propagation de la vibration de la membrane basilaire), et chaque noyau cellulaire répond également au son au fur et à mesure (avec des latences progressives d’une milliseconde en sortie de la cochlée, jusqu’à une dizaine de millisecondes dans le colliculus inferieur). A priori, aucune réponse identifiable ne devrait parvenir aux électrodes sur le scalp, ou alors noyée dans le bruit de fond résultant de l’ensemble de l’activité neuronale. Toutefois, les phénomènes électriques expliquant la propagation du message nerveux jusqu’au scalp ont récemment été décrits dans le cas des PEA en réponse à des clics pouvant être étendus aux PEA en réponse à un son de parole. En effet, d’un point de vue physique, le champ électromagnétique composite accompagnant le signal électrophysiologique peut être transmis jusqu’aux électrodes de scalp, lorsque le signal change de milieu biologique (tissu neuronal, liquide céphalo-rachidien, os, peau…) et lorsque suffisamment de neurones déchargent de façon synchrone (Joris et al, 2004). Les neurones thalamiques, à la différence de ceux du colliculus inférieur, ne semblent pas impliqués dans la genèse des PEASP.

Les travaux portant sur le modèle animal ont démontré une sensibilité des neurones du nerf auditif et du noyau cochléaire aux propriétés langagières du signal, comme la structure formantique (Delgutte 1980), la transition formantique (Delgutte et Kiang 1984), et le VOT (Clarey et al 2004). Les données cliniques ont toutefois mis en évidence le rôle du tronc cérébral, et notamment du colliculus inférieur dans le traitement de la parole chez l’humain, notamment par la description du cas d’un patient présentant une atteinte bilatérale des deux colliculi inférieurs associé à une agnosie auditive alors qu’il était indemne de toute lésion du lobe temporal (Johkura et al 1998). D’autres études viennent corroborer ces données, notamment à l’aide de modèles animaliers, chez lesquels ces régions semblent sensibles à la structure temporale et spectrale des stimuli complexes (Eggermont et Ponton 2002) et seraient donc à même de jouer un rôle dans le traitement du signal de parole chez l’humain (Moller 1989).

Un argument supplémentaire en faveur de l’origine sous corticale de la RSF, est la différence d’amplitude entre les réponses d’origine corticale et sous corticale, en outre, les réponses corticales sont obtenues après un moyennage de 75–100 traces, moyennage bien inférieur à celui nécessaire pour obtenir une RSF exploitable. De plus, les réponses corticales se réduisent en amplitude avec l’augmentation du nombre de répétitions du stimulus, phénomène dénommé adaptation neurale (Grill-Spector et al, 2006) tandis que la RSF reste stable malgré le grand nombre de répétition (Johnson et al, 2008). Ces différences sont en accord avec la notion qu’à l’échelle du neurone, l’adaptation dépendante du stimulus est plus présente au niveau des neurones corticaux que sous corticaux (Ulanovsky et al, 2003). Par ailleurs, des variations de latence 10–25 ms sont considérées comme normales au niveau cortical, alors qu’une variation de moins de 1 ms est considérée comme anormale au niveau du tronc cérébral et associée à des difficultés de perception dans le bruit ou des troubles de l’apprentissage (Banai et al., 2005; Cunningham et al., 2001; King et al, 1999; Wible et al., 2004; Cunnigham et al., 2002; Banai et al., 2009; Hornickel et al., 2009).

Un aspect universel concernant la maturation neurale est que les structures centrales mettent pour de temps à arriver à maturité en comparaison des structures périphériques. Or, des enregistrements de RSF semblable à celles d’un adulte peuvent être obtenus chez le nouveau-né, tandis que les potentiels évoqués corticaux recueillis chez les enfants ne sont pas semblables à ceux des adultes (Gardi et al, 1979). En effet, les potentiels corticaux ne sont pas complètement matures avant la fin de l’adolescence (Sussman et al, 2008; Suzuki & Hirabayashi, 1987). L’ensemble de ces donnée sont donc en faveur de l’origine sous corticale de la RSF et donc des PEASP.

Les PEASP apportent donc un aperçu précis du fonctionnement du colliculus inférieur. Ceci serait en particulier très utile pour faire le diagnostic différentiel des surdités centrales ou des neuropathies auditives (Delgutte, 1984).