II. L’hydraulique du monde antique au monde médiéval

Avant d’entrer dans le strict cadre de notre étude sur Cluny, il nous a semblé nécessaire de définir les contextes qui ont vu naître et se développer les techniques utilisées par la suite dans le monde monastique.

Étymologiquement, le terme hydraulique vient du grec hudraulikos « orgue hydraulique » ; en latin, on le trouve sous la forme de « hydraulicus ». Le mot est composé de hudri (→ hydr-) et aulien « jouer de la flûte » ou de aulos « flûte, tuyau » et du suffixe – ique19. L’expression grecque caractérisait un orgue mû par l’eau.

Les définitions des dictionnaires placent un adjectif et un nom féminin sous cette expression20. L’adjectif recouvre quatre sens distincts :

  1. Le terme détermine des aménagements participant à la circulation et à la distribution de l’eau.
  2. Il caractérise des installations qui sont mues par l’eau en utilisant les énergies statique ou dynamique de l’eau.
  3. L’adjectif définit le type d’énergie. L’énergie hydraulique est l’énergie fournie par les chutes d’eau, les courants, les marées. En opposition au charbon, on classe ce type d’énergie en houille blanche, verte ou bleue.
  4. Le quatrième sens identifie des matériaux qui ont la faculté de durcir sous l’eau. Il s’agit essentiellement des chaux et des ciments.

Le substantif féminin regroupe quant à lui deux sens différents :

1) Il correspond à la branche de la physique qui a pour objet l’étude de l’écoulement des liquides et des problèmes mécaniques liés à l’utilisation de l’eau. L’hydraulique se subdivise en deux branches : l’hydrodynamique et hydrostatique.

2) Le terme détermine par extension la branche de la technique qui comporte essentiellement les applications pratiques de l’hydrodynamisme. On trouve dans ces applications, les techniques industrielles relatives à la mise en œuvre de liquides sous pression. Il peut éventuellement caractériser la mécanique appliquée résultant de la connaissance sur les lois physiques des liquides.

Ainsi, si l’on se réfère à l’ensemble des définitions, il apparaît difficile d’employer le substantif « hydraulique » pour couvrir le sens caractérisant des techniques qui ne sont pas nourries par la connaissance des principes de la mécanique des fluides. Les bases de cette science ne sont véritablement mises en place qu’avec Blaise Pascal (1623-1662), puis Bernoulli (1700-1782). Pour les périodes précédant l’avènement de la physique des liquides, il faut envisager de n’employer que l’expression de techniques hydrauliques.

Le Moyen Âge, et le monastère en particulier, apparaissent avoir utilisé des techniques qui, pour la plupart, sont des innovations des sociétés de l’Antiquité. De nombreuses questions restent en suspens quant à la transmission des savoir-faire, depuis le lieu et le temps de l’invention jusqu’aux cloîtres européens du XIIe siècle. Il est permis de s’interroger sur l’existence de ruptures dans une culture de l’eau qui rapproche sur bien des points Antiquité et Moyen Âge. Malgré les modifications politiques, sociales et économiques qui ont pu marquer certains moments de l’histoire du monde méditerranéen et de l’Europe, il n’est pas exclu que des continuités puissent être mises en évidence dans certains domaines, et notamment dans celui des techniques hydrauliques. Le cas du moulin à eau est en soi intéressant à noter. La relecture des textes et les découvertes archéologiques donnent actuellement la possibilité de définir une vision moins contrastée permettant d’envisager l’emploi du moulin dans les sociétés esclavagistes de l’Antiquité et la mise en place de la machine hydraulique dans des communautés du haut Moyen Âge qui n’étaient pas encore récemment considérées comme suffisamment productives pour développer ce type de technique. À partir de ces nouvelles données épistémologiques, il est raisonnablement permis de pousser une réflexion sur la continuité de l’emploi de la roue hydraulique dans la période de forte mutation socio-économique que constituent l’Antiquité tardive et le début du Moyen Âge. Parallèlement, la reconnaissance de l’existence du moulin avant l’an Mil permet d’appréhender avec un autre regard les modifications de l’équipement hydraulique entre le Xe et le XIIe siècles. L’exemple de l’utilisation de l’énergie des cours d’eau pourrait être symptomatique de la manière dont a pu se transmettre l’ensemble des techniques hydrauliques. Dans ces conditions, il paraît utile d’établir un bilan préalable.

D’après les définitions des dictionnaires cités plus haut, les techniques hydrauliques sont séparées en quatre domaines spécifiques.

Rappelons ces domaines :

Nous ne respecterons que très approximativement ces subdivisions. Il nous a semblé en effet particulièrement opportun de subdiviser le domaine relatif à la circulation et à la distribution de l’eau.

Les matériaux hydrauliques ne seront pas traités directement, sinon en liaison avec les ouvrages dans lesquels ils sont mis en œuvre.

Notes
19.

D’après le Grand Robert de la Langue Française.

20.

Définitions données par le Trésor de la Langue Française, CNRS Éditions, 2005 et le Grand Robert de la Langue Française.

21.

Le bain des moines.

22.

Tertullien, De baptismo.

23.

Vita Iohannis abbatis, MGH, SSRM, III, p. 507.

24.

Les moines de Saint-Jean-des-Vignes près de Soissons se rendaient en procession au lavabo deux fois par jour. Sheila Bonde, 1996, p. 202, et p. 208, note 10.

25.

Richard Krautheimer, 1993, p. 49.