b. Les grands moyens des installations hydrauliques

Dès les premières expériences, l’eau acquiert un statut culturel essentiel : elle devient un élément indispensable à la cohésion de l’organisation sociale de sociétés qui dépendent en grande partie de l’approvisionnement en eau. Ici, techniques et sociétés sont intimement liées. La construction d’ambitieux ouvrages d’art qui nécessite une main-d’œuvre importante et la gestion complexe des réseaux sont l’affaire de communautés très hiérarchisées. Souvent, la légitimité des gouvernants se matérialise autour de l’utilité sociale des aménagements hydrauliques qu’ils édifient. Nous sommes aux sources de l’évergétisme. Grâce aux travaux d’adduction dont il est l’instigateur, le roi Sennachérib accroît ainsi un peu plus sa légitimité sur les habitants de la ville de Ninive.

Les retombées d’un usage collectif des systèmes hydrauliques sont aussi d’ordre juridique et financier. L’utilisation raisonnée de l’eau impose une codification stricte dans les usages. La distribution de l’eau collective permet aussi l’impôt. Dans l’ancienne Égypte, la mesure de l’ampleur de la crue du Nil justifiait le calcul de l'impôt sur les récoltes. Vitruve marque bien cet intérêt pour le fisc de prélever des contributions sur l’eau de l’aqueduc allant aux bains publics et chez les particuliers44.

Une autre conséquence de la mise en place des systèmes hydrauliques desservant les besoins de la communauté est l’imbrication possible entre le réseau d’eau et les réseaux urbains.

Dans certains cas, les canaux vont modeler le paysage des villes. Ils interviennent directement dans la mise en place de la trame urbaine comme, par exemple, à Babylone. Cette imbrication, qui est sensible en Mésopotamie, se retrouve aussi en plein Moyen Âge45.

Les mondes hellénique et romain vont porter l’eau au sommet des symboles de la civilisation. Des centaines de milliers de mètres cubes d’eau sont déversées chaque jour dans les villes de l’Empire romain. Selon Frontin, l’eau « satisfait non seulement au service et aux besoins du public, mais encore à leur plaisir ». Dans le cadre de la ville romaine, l’eau apparaît comme un élément incontournable d’un mode de vie orienté autour de pratiques culturelles collectives. Elle est une des principales expressions de la culture romaine.

Notes
44.

Vitruve, VIII, 6.

45.

André Guillerme emploie l’expression « petites Venise » pour caractériser les villes médiévales (André Guillerme, 1990, p. 63-89). Nous verrons que les aménagements hydrauliques des moines ont participé de manière non négligeable à la mise en place de la trame urbaine de la ville de Cluny.