Parallèlement à l’installation des monastères insulaires en Gaule, les premières communautés s’implantent dans les terres. Vers 361, Martin fonde Ligugé, au sud de Poitiers, qui est considéré comme le premier monastère de Gaule. Devenu évêque de Tours, Martin ne renonce pas pour autant à la vie ascétique. Il établit vers 372 un second monastère sur la rive droite de la Loire et près de la cité épiscopale. Un peu plus tard, vers 415-420, Jean Cassien implante à Marseille deux communautés, d’hommes et de femmes. La tradition médiévale place leur implantation sur le tombeau de saint Victor et de saint Sauveur198. Les fondations monastiques sont nombreuses dans la ville ou ses abords. Le rôle des évêques est à prendre en compte dans la mise en place du paysage chrétien des villes. À Arles, les évêques Hilaire, Césaire et Aurélien sont les fondateurs de plusieurs communautés dans l’île de Cappe, dans Arles, à Saint-Jean199 et à Sainte-Croix200. Au VIIe siècle, Arles ne compte pas moins de cinq monastères. La situation de la ville du delta du Rhône n’est pas exceptionnelle. Elle correspond à un courant général d’implantation. Le développement des créations dans les villes entre le IVe siècle et le VIIe siècle est cependant inégal. Certaines villes vont être bien dotées en monastères alors que d’autres n’en possèdent pas201.
La disposition de ces monastères par rapport au site et en particulier par rapport aux réseaux hydrologique et hydraulique des villes paléochrétiennes a peu été abordée. Les difficultés d’approche de cette thématique sont importantes tant par les difficultés d’interprétation des sources que par la difficulté d’obtenir les données archéologiques. Pour les villes du nord de la France, André Guillerme a tenté d’établir une première synthèse sur cette question. Il se propose, entre autres, de chercher, dans la fondation des premiers monastères, d’autres causes plus structurelles que celle de l’emplacement du tombeau d’un martyr ou d’un confesseur. Il remarque que, dans la plupart des cas, le sanctuaire se trouve mis en place près du canal de dérivation permettant l’alimentation des fossés du castrum. Il semblerait donc exister un rapport entre les premières abbayes suburbaines et le réseau hydraulique établi pour les fortifications202. L’auteur envisage ensuite que cette caractéristique de l’implantation des premières communautés chrétiennes soit liée à une volonté des rois et des évêques de christianiser les cours d’eau (fig. 26). Ainsi, à Soissons, au VIe siècle, la fondation de l’abbaye Saint-Crépin à proximité de la Crise203 serait commandée par des considérations qui tiennent à l’hydrographie sacrée204. À Beauvais et dans des contextes topographiques similaires, la fondation de l’abbaye Saint-Lucien procède des mêmes intentions. Le monastère du roi Chilpéric Ier (vers 539-584) se place près de la route de Rouen, sur les reliques du premier martyr de Beauvais, et sur un canal dérivé du Thérain. La protection de la cité est transférée à un martyr chrétien, Lucien, mais il garderait les attributs de Taranis, divinité gallo-romaine à l’origine vraisemblable de l’hydronyme Thérain205. Le phénomène ne semble pas rare et se retrouve par exemple à Évreux206, à Sens207, à Rouen208. Si l’aspect symbolique et prosélyte des installations n’est pas à écarter, il faut aussi envisager la question de l’utilisation du cours d’eau ou de leurs dérivations. Les monastères cités sont placés en amont des castrums. Ce pourrait être une manière de disposer d’une eau de bonne qualité, avant que les eaux ne viennent se répandre à proximité des fortifications.
Il existe différentes légendes pour la fondation de Saint-Victor de Marseille. Gabrielle Démians-d’Archimbaud note l’existence d’une tradition selon laquelle le monastère aurait été fondé par Antoine, et une autre où Jean Cassien se trouve abbé et bâtisseur. Gabrielle Démians-d’Archimbaud, 1995. Voir aussi Michel Fixot, Jean-Pierre Pelletier, 2004, p. 22-23.
Fondation d’un monastère de moniales par Césaire. Consécration en 512.
L’évêque Aurélien aurait fondé un monastère d’homme. La basilique dédiée aux saints Apôtres est consacrée en 547. Le monastère aurait été construit à la demande du roi Childebert. Marc Heijmans 2001, p. 112.
Jacques Biarne, 2002, p. 125-126.
André Guillerme, 1990, op.cit. p. 18.
La crise est un affluent de l’Aisne.
André Guillerme, 1990, op.cit. p. 24.
Thara en 879 ; André Guillerme, idem p. 19.
Idem p. 21-22. À Évreux, Esus, par la christianisation de la rivière Iton, « Hesilina fluvium » au IXe siècle, serait terrassé par saint Taurin. Après la découverte miraculeuse du tombeau du saint dans le courant du VIe siècle, l’évêque d’Évreux, Laudulphe, fonde une chapelle dédiée à saint Martin entre les deux bras de l’Iton. André Guillerme suppose chez l’évêque la volonté, par le glissement Taranis-Taurin, de remplacer dans la protection de la cité le couple Taranis-Esus par celui de Martin-Eseline puis, Taurin-Eseline.
À Sens, Saint-Pierre-le-Vif est implantée dans une position proche des exemples cités précédemment.
Idem p. 25. Le castrum de Rouen apparaît complètement épris par une sacralité païenne que le Christianisme doit réduire. Il neutralise en particulier la puissance des eaux.