II.1.5.2. Les cisterciens et les aménagements de sites

Les travaux hydrauliques permettant d’alimenter les abbayes cisterciennes peuvent montrer une certaine ampleur. Les exemples déjà cités de Cîteaux et de Clairvaux indiquent que les moines blancs n’hésitaient pas à engager des travaux d’adductions pouvant modifier la configuration hydrographique d’un lieu. Les moines de Cîteaux après plusieurs installations successives sur les vallées du Coindon et de la Vouge, décident finalement, vers 1212, de détourner la Sansfond qui coule à 10 kilomètres au nord de l’abbaye. Les travaux terminés en 1221 permettent de prélever l’eau d’un bassin-versant vers celui où est implantée l’abbaye. L’adduction nécessite la construction d’un pont-aqueduc, le pont des Arvaux qui permet de franchir le lit d’un autre cours d’eau, la Varange. Sur les 10 kilomètres de parcours, la dénivelée qui permet à l’eau de circuler n’est pas très importante étant située aux environs de 5 m. Cela fait une pente moyenne de l’ordre 0,5 mm/m. C’est un véritable exploit en matière d’arpentage dont les résultats pourraient faire la fierté d’un ingénieur d’aujourd’hui. En revanche, dans son parcours entre l’abbaye et la Vouge, l’eau canalisée chute de 9 m car elle doit parcourir le coteau où se trouve construit le monastère297 (fig. 45).

Le site d’Obazine est aussi l’objet de travaux exceptionnels permettant aux moines de bénéficier d’eau en quantité. Le relief très accidenté de la vallée du Coyroux rend difficile la mise en eau du site qui se trouve du fait de sa position dominante à l’écart de toute rivière. Les moines vont répondre à ce problème en construisant un canal le long du flanc nord-est de la gorge où coule le torrent. La prise d’eau est placée sur le cours d’eau à près de 1 700 m de l’abbaye. La dénivellation entre le captage et le site d’utilisation est de 70 m. Dans le monastère, l’eau alimentait les latrines, le vivier, puis deux moulins (fig. 45). L’aspect le plus étonnant du dispositif tient à sa construction. D’une profondeur de 0,60 m pour une largeur de 1,20 m en moyenne, l’aqueduc est bâti contre le versant selon diverses solutions qui permettent une adaptation de l’ouvrage à un relief accidenté. Une partie du canal est construite en encorbellement au-dessus du vide. Dans le cas de gros obstacles situés sur le trajet de l'amenée, les moines ont, soit contourné la masse rocheuse en plaçant le canal sur un mur taluté, soit excavé une roche d’origine métamorphique difficile à tailler. Sur l’ensemble de son parcours, la dénivelée de la conduite est simplement de 8 m. À proximité du monastère, l’eau termine sa course en dévalant une pente de près de 60 m298.

D’autres cas d’aménagements n’impliquent pas un transfert d’eau entre deux bassins versants. Les abbayes de Clairvaux et de Pontigny utilisent pour leurs besoins les eaux des rivières près desquelles elles se sont implantées. Les moines de Clairvaux ont détourné l’eau de l’Aube à partir d’un barrage installé en amont du village de Ville-sous-la-Ferté, à plus de 3 kilomètres du monastère. À partir de la cote de 195 m, le bief coule à l’ouest de la vallée en suivant les courbes de niveaux. Pour Pontigny, les travaux sont plus conséquents car le bief enjambe deux cours d’eau à l’aide de ponts-aqueducs. Le captage est installé sur le Serein à un peu plus de 2 kilomètres en amont de l'abbaye à la hauteur d’un barrage-seuil appelé écluse du Boy ou du Boutoir dans les documents du XIIIe et du XVe siècle. Le long de son cours jusqu’à l'abbaye, le bief est muni de plusieurs déversoirs assurant la meilleure régulation du débit299.

Avec des aménagements de moindres envergures, l’abbaye de Valcroissant300 possède un dispositif ingénieux d’amenée d’eau vers le moulin et le canal des latrines. Les prises d’eau sont installées à l’est du monastère à partir de barrages-seuils mis en place sur l’affluent du ruisseau de Valcroissant. L’écluse la plus en amont permettait la dérivation de l’eau vers le canal des latrines. La seconde prise d’eau alimentait le moulin abbatial. Afin de garantir une arrivée d’eau constante, les cisterciens ont complété le dispositif en creusant un bief permettant de récupérer l’eau du cours d’eau principal pour la conduire dans le lit de l’affluent en amont du canal alimentant les latrines. Les vestiges d’un ancien barrage sont encore perceptibles à 150 mètres à l’est des bâtiments monastiques301.

Notes
297.

Karine Berthier, Joséphine Rouillard, 1998, p. 127.

298.

Bernadette Barrière, 1996-2, p. 24-28.

299.

Terryl Kinder, 1996, p. 384-388.

300.

Valcroissant, près de Die (Drôme).

301.

Prospection effectuée en collaboration avec Marion Fouchet, doctorante à l’Université Louis Lumière-Lyon II.