II.2.1. Usages antiques de l’eau : l’expression de la culture

Dans le monde ancien, l’utilisation de techniques hydrauliques pour divers usages devient un facteur incontournable de culture sociale. Le développement de dispositifs permettant l’assainissement des zones urbaines révèle l’existence de liens étroits entre les membres d’une même communauté. Des réseaux collectifs peuvent être mis en place pour des usages privés ou collectifs. Dans la vallée de l’Indus, la cité de Mohenjo-Daro (Pakistan) offre, pour les deuxième et troisième millénaires, un exemple particulièrement accompli de réseaux hydrauliques desservant des maisons qui disposaient d’une salle de bain et éventuellement de latrines303. Nous avons pu voir à partir des indications de Vitruve et des renseignements de l’archéologie comment pouvait être distribuée l’eau dans la ville antique à partir du château d’eau. La distribution faisait la part des besoins collectifs et de l’utilisation privée en favorisant en premier lieu l’eau nécessaire à la communauté, puis l’eau des monuments publics, et finalement, l’eau destinée aux propriétés de quelques privilégiés. L’abondance de l’eau est notée par Pline l’Ancien qui mentionne qu’Agrippa construisit dans Rome 700 fontaines et 200 bornes. Dans les villes de l’Empire romain, la profusion de l’eau que dispensent les aqueducs n’est pas liée uniquement à une réelle nécessité. Elle permet de générer d’autres besoins qui deviennent par la suite indispensables. La romanisation se traduit par l’introduction d’un mode de vie qui s’est préalablement initié à Rome.

Les Romains empruntent aux Grecs l’usage d’établir une salle de bain privée dans leur maison. Il faut attendre le courant du IIe siècle av. J.-C. pour assister à l’implantation des premiers thermes publics à Rome. En 33 av. J.-C., la ville disposera de 170 installations. Elles seront par la suite près de 1 000. Le concept des balnéaires romains va être exporté dans tout l’Empire. On ne comptera pas une ville qui n’ait pas au moins un établissement de bains publics. Ces bâtiments attestent de la maîtrise atteinte dans les domaines de la maçonnerie, des techniques hydrauliques et du chauffage.

L’essor des thermes traduit une conception et une pratique précises des rapports sociaux et des modes de vie. Les thermes se révèlent comme un lieu privilégié où le citadin exprime son appartenance au corps social que représente la ville. La dimension des installations est révélatrice de l’importance des thermes dans l’entretien d’une cohésion culturelle du groupe. Les balnéaires étaient des ensembles aux dimensions respectables se situant pour la longueur entre 30 m et 80 m. Les thermes les plus importants de la Gaule se trouvent à Trêves. Ils sont inscrits dans une enceinte de 245 m par 170 m (fig. 47). Un autre indice de l’intérêt de ces installations est le coût modique de l’accès qui souffrait par ailleurs d’exemptions. L’évergétisme est aussi un indicateur du rôle des thermes comme élément de la composante sociale de la ville antique.

Les latrines publiques semblent avoir constitué un autre lieu où il était possible de tisser des rapports entre les différents utilisateurs. Les lieux d’aisance collectifs étaient des endroits de rencontres, où l’on prenait rendez-vous. Certains graffitis de Pompéi signalent de manière évidente le rôle social de ces aménagements. La disposition de l’espace favorise la discussion. Celui-ci était généralement établi dans un bâtiment quadrangulaire dont les murs étaient flanqués de bancs percés à intervalles réguliers. Les bâtiments étaient conçus avec des dispositifs hydrauliques qui permettaient d’évacuer les déchets organiques. Les latrines publiques de Vaison-la-Romaine sont un bel exemple d’une installation qui nécessitait une alimentation régulière en eau. Certaines latrines pouvaient desservir les étages des constructions. Ce dispositif est remarqué à Vaison-la-Romaine, à la maison des Messii. Aménagées au sommet d’un escalier, les latrines étaient munies d’un égout qui longeait un des côtés de la demeure. Cette disposition n’est pas sans rappeler les constructions qui seront établies dans les monastères médiévaux.

D’après Pline, l’eau fait la ville. L’eau dessert des infrastructures qui servent un mode de vie érigé dans tout l’Empire en principe de civilisation. Les constructions, grandioses et ostentatoires, sont établies dans un climat idéologique d’universalité culturelle de Rome. L’eau contribue à sa manière à exprimer l’intégration des différents peuples dans la romanité. Plus vraisemblablement que l’eau massive des aqueducs, l’eau de la fontaine, celle des thermes exercent dans le quotidien du citadin une prégnance culturelle profonde et durable.

Notes
303.

Les eaux usées étaient collectées dans de petites fosses revêtues de briques situées au bas des murs des maisons, puis, elles se déversaient par des conduits dans un réseau ramifié qui les évacuait à l’extérieur de la ville. Les canalisations étaient creusées sous le pavement des rues et recouvertes de briques dures. Les conduites débouchaient sur un système plus vaste d’égouts, également couverts.