a. Les contraintes techniques de l’adduction du baptistère

Dans les états les plus anciens des constructions, les cuves baptismales sont de grandes dimensions et nécessitent donc un gros volume d’eau pour leur remplissage. En général, la dimension des bassins est située entre 1,30 m et 1,60 m de large pour une hauteur située entre 0,70 m et 1,00 m. Il existe aussi des cuves qui dépassent largement ces cotes comme celles de Lyon avec une largeur de 3,66 m, Nantes avec 3,40 m, Marseille avec 2,95 m, Poitiers (2,25 m) ou encore Grenoble avec des dimensions proches. Le baptistère constantinien du Latran disposait d’une cuve de 8,50 m de diamètre ! Théoriquement, le baptême doit avoir lieu dans l’eau courante rappelant ainsi celle du Jourdain. Il est admis que l’eau puisse bouillonner dans la cuve baptismale320. Cette exigence impose une certaine pression au niveau de l’arrivée d’eau et une évacuation continuelle du liquide dans une piscine suffisamment remplie pour permettre l’immersion, même partielle. La mise en place de conduites forcées pouvait permettre sans trop de problème d’assurer le surgissement de l’eau. L’emploi de tuyaux en plomb ou en bois dans les baptistères est en soi un indice permettant de supposer la disposition d’eau vive dans certaines cuves baptismales. Des conduites en plomb ont par exemple été mises en évidence à Lyon (fig. 49), dans le deuxième baptistère de Nantes,321 dans le baptistère secondaire du groupe épiscopal d’Aoste,322 dans les deuxième et troisième cuves du baptistère de Reims,323 ou peut-être dans le baptistère de l’Isle-Jourdain324.La solution d’une conduite constituée de troncs évidés et reliés par des joints de fer est adoptée pour les baptistères de Genève ou de Nevers 325 (fig. 49).La canalisation était composée de sections en bois évidées d’environ deux mètres de longueur qui étaient reliées l’une à l’autre par des frettes. D’autres baptistères pouvaient utiliser des canaux en maçonneries qui peuvent éventuellement supporter une légère pression. Ce système aurait été mis en évidence à Aix-en-Provence326 (fig. 50). D’autres installations utilisent des matériaux de remploi. Des conduites composées d’amphorettes percées se remarquent dans des baptistères de Corse, comme par exemple à Linguizetta327.

Dans certains baptistères, l’eau ne se contentait pas de bouillonner. Des textes mentionnent des dispositifs complexes où l’eau retombe en cascade dans la piscine. D’après le poème d’Ennode328, l’eau jaillissait des colonnes avant de retomber dans la cuve baptismale du second baptistère de Milan Sancto Stefano ad fonte. À Rome et en Afrique, des dispositifs d’agneaux d’or ou de cerfs d’argents329, placés sur les bords de la piscine et crachant de l’eau dans la cuve, sont connus. Ainsi, sur le bord de la cuve du baptistère construit par Constantin au Latran se trouvaient huit niches arquées entre lesquelles étaient disposées dix sculptures en argent et en or représentant le baptême du Christ en une scène groupée (l’agneau, le Sauveur et saint Jean-Baptiste), et sept cerfs330 (fig. 51). D’après les dernières reconstitutions, l’eau s’écoulait des huit représentations animales331. Le procédé de jaillissement de l’eau depuis le centre de la cuve a pu être envisagé pour certaines installations comme, par exemple, celles du baptistère de Barcelone332. L’hypothèse d’un jet d’eau est défendue pour la cuve de Portbail333. Pour que l’eau puisse jaillir, il fallait qu’il y ait un conduit ascendant permettant à l’eau d’être conduite au plus proche, voire au delà, de la surface du bassin. Cet aménagement peut à la rigueur se concevoir pour des piscines de grande dimension, plus difficilement, compte tenu de l’encombrement, pour des installations plus modestes. Certaines restitutions pourraient entrevoir l’existence, au milieu de la cuve, d’un support du haut duquel l’eau aurait pu retomber en pluie dans la cuve. Cette solution est envisagée pour Genève, Grenoble, Nevers, et peut-être à Nantes334.

Une autre question liée à l’hydraulique du baptistère est celle de la quantité d’eau nécessaire à des cérémonies collectives s’étirant dans la longueur de la nuit de Pâques. Une cuve alimentée de manière continue a besoin d’un système d’adduction performant et régulier. Une alimentation depuis un aqueduc apparaît dans ces conditions une solution idéale pour que le système hydraulique du baptistère soit performant. À Genève, Charles Bonnet met en évidence une autre solution d’alimentation. Dans les états de la fin du IVe siècle et du Ve siècle, le baptistère était alimenté depuis un puits profondément creusé, retrouvé à plus de 35 m au sud du bâtiment. Situé à une altitude supérieure à celle du baptistère, le captage se trouve dans une disposition intéressante. Une margelle de forme circulaire était installée dans une grande fosse quadrangulaire située à près de 3 m sous le niveau du sol de la cour (fig. 52). Charles Bonnet envisage la possibilité d’un relevage de l’eau à l’aide d’une pompe afin de capter plus rapidement l’eau335. Walter Berry suppose aussi l‘existence d’un puits pour le baptistère de Reims336.

Notes
320.

Jean-Charles Picard, 1989, p. 1461.

321.

Le deuxième baptistère de Nantes est daté du Ve siècle. Deux cuves baptismales ont été mises en évidence lors des fouilles du chanoine G. Durville dans les deux premières décennies du XXe siècle. Déjà découverte en 1868, la première cuve disposait apparemment d’une évacuation, située dans le fond, caractérisée par une saignée de 8 cm de profondeur sur 10 de large conduisant à une conduite d’évacuation. Xavier Barral-y-Altet, 1996, p. 221-222.

322.

Le baptistère secondaire était alimenté par une canalisation en plomb. Elle a été retrouvée sur plusieurs mètres lors de travaux d’assainissement effectués au nord de la basilique. Charles Bonnet, Renato Perinetti, 1986, p. 28-29.

323.

Les restes d’un baptistère ont été retrouvés lors des dernières fouilles à l’ouest de la nef de l’église primitive. Les systèmes hydrauliques de la première cuve de forme quadrangulaire ne sont pas connus. Robert Neiss, Walter Berry, 1998, p. 108-110.

324.

Le baptistère de l’Isle-Jourdain (au lieu-dit « La Gravette », Gers) a été retrouvé dans une agglomération gallo-romaine située en limite de la cité de Toulouse. Le bâtiment de forme basilicale renferme un grand bassin circulaire dont l’évacuation serait assurée par un tuyau de plomb mis en place dans un caniveau en brique et en mortier de tuileau. Le fouilleur signale que le conduit serait une évacuation des eaux. Cependant, le type de dispositif s’apparenterait plus à une adduction en conduite forcée ce qui expliquerait en partie l’utilisation d’une canalisation de plomb sur une longueur qui dépasse 8 mètres. Le chemisage de la conduite de plomb signalerait un soin particulier avec le souci de pouvoir intervenir sur l’entretien. Une autre observation contredirait l’hypothèse d’une évacuation. En effet, dans la mesure où le bâtiment est une construction homogène, les constructeurs ont cumulé des difficultés qui auraient pu être évitées en évacuant l’eau au plus court. Il n’est cependant pas exclu, que le logement de la conduite de plomb ait pu servir à l’évacuation de l’eau. Jean-Paul Cazes, 1996, p. 154-158.

325.

Pour Genève, voir Charles Bonnet, 1986, p. 5-28. Pour Nevers, le système apparaît extrêmement soigné. L’adduction se fait au centre de la cuve par l’intermédiaire d’un bloc évidé en coude et relié à la conduite de bois. Plusieurs frettes reliant des tronçons de l'ordre de deux mètres ont été mises en évidence. Le caniveau d’évacuation partant vers le sud sert au passage de la conduite qui d’après les traces était de l’ordre de 0,18 m de diamètre. L’origine de la canalisation a été mise en évidence au niveau de la porte méridionale du bâtiment. La position semi-hypogée du baptistère permet d’accentuer la pression en garantissant entre la porte et la cuve une hauteur d’eau de 0,44 m. Dans le cadre de la topographie de Nevers, la situation du groupe cathédrale permet de faire une remarque sur la position de l’adduction. En effet, la conduite forcée prend la direction du fil de la pente qui glisse à cet endroit vers les bords de Loire. Il est malaisé à partir de là d’envisager une source d’eau en contrebas du baptistère. La conduite pourrait éventuellement provenir des parties hautes de la butte où se trouve installée la ville. Dans ces conditions, le passage de la conduite à travers le seuil sud est lié à la facilité d’installation de l’hydraulique de la cuve dans un moment du chantier où le baptistère est en grande partie implanté. Charles Bonnet, 1995, p. 36-38. Voir aussi : Christian Sapin, 1998, p. 57-63.

326.

Le baptistère d’Aix disposait dans un premier état d’une conduite venant de l’est. Entre la cuve et le stylobate, le blocage servant d’assise au sol était traversé par un conduit cylindrique. Au-delà du stylobate et en amont, il s’agit d’un canal. Il n’est pas exclu que ces éléments correspondent à une construction munie d’une conduite forcée qui pourrait être en plomb. En revanche un deuxième état correspondrait, d’après le fouilleur, à une alimentation en eau par canal maçonné. Rollins Guild, Jean Guyon, Lucien Rivet, 1983, p. 192-194.

327.

Noël Duval, 1995-4, p. 336-342.

328.

Ennode, De fonte baptisterii sancti Stefani et aqua aquae per columnas venit, MGH, SAA, VII : Magni Felicis Ennodi Opera, p. 271, n° CCCLXXIX.

329.

Plus généralement, la figuration de cervidés dans les baptistères n’est pas rare. Elle pourrait rappeler le psaume 42 « Comme languit le cerf après l’eau vive, ainsi mon âme languit après toi, ô Dieu. Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant… »,. Des représentations de cervidés se trouvent sur la cuve du baptistère de Marianna en Haute Corse avec la représentation des fleuves du Paradis. On trouve ces figurations dans les baptistères de l’Oued Ramel et Salona. (Jacqueline Lafontaine-Dosogne, 1989, p. 47-48. D’apr. H. Sterne, 1957, p. 381-390). Dans le cas de la mosaïque du baptistère d’Ohrid en Macédoine, la représentation est directement associée à la fonction liturgique du bâtiment. Le sol des trois conques donne une représentation classique de la Fontaine de Vie abreuvant deux cerfs. Comme dans les exemples précédents, le décor s’enrichit aussi des figures des quatre fleuves du Paradis. (Jacqueline Lafontaine-Dosogne, 1989, p. 48).

330.

Irma Della Giovampaola, 2000, p. 69-70.

331.

Brandt O., « Il battistero lateranense da costantino a Ilaro. Un riesame degli scavi », Opuscula Romana , 1997-1998 22-23, p 43.

332.

Intervention de M.F.P. Verrié dans la discussion du XIe congrès international d’Archéologie Chrétienne : Lyon, Vienne, Grenoble, Genève et Aoste (21-28 septembre 1986), p. 1471.

333.

Dans le baptistère de Portbail (Manche), l’eau arrivait par le centre de la cuve à l’aide d’une canalisation de section rectangulaire. L’alimentation pourrait provenir d’un aqueduc mis au jour au XIXe siècle. Jacqueline Pilet-Lemière envisage l’existence d’un jet d’eau. Compte tenu de la pression, il faudrait plutôt envisager, comme dans d’autres cas, un effet de bouillonnement. Jacqueline Pilet-Lemière, 1998, p. 303.

334.

Jean Guyon, 2000, p. 48-49.

335.

Charles Bonnet, 1986, p. 25-28.

336.

Robert Neiss, Walter Berry, 1998, p. 110.